François Gorin

Pour ce qui fatalement nous touche de plus près, par ses chansons les plus inusables – pas toujours les plus usitées –, par ce qu'elles nous disent d’instable et de permanent, de difforme et de gracieux, de beau et de con à la fois.

On ne dira jamais assez quel bien celui-ci a fait à celui-là, qui mit sa finesse mélodique et sa science d’arrangeur au service de chansons à l’écriture de plus en plus maîtrisée.

Dans « compassion » chez Brel, il y a toujours et avant tout « passion ».

Jacques Brel, d’une certaine façon, c’est l'anti-Serge Gainsbourg. Ils avaient le même âge, se connaissaient vaguement, ont percé presque au même moment. Lucide, le premier avait prédit au second qu’il trouverait sa voie en se faisant « crooner », quand lui-même postillonnait sur ses tempos les plus lents. Question de nature. Mais surtout, Gainsbourg s’est refaçonné un personnage au-delà de ses chansons, tout en rajeunissant visiblement passé la cinquantaine, sous l’œil allumé des médias.

En somme, le chevalier fourbu aurait trouvé son éden. Mais tout comme le moindre aperçu des Marquises convainc même le doux rêveur qu'il est de moins rudes ébauches du paradis, l'idéal misanthrope, apparemment atteint, continuait de nourrir en son sein quelque rage intérieure, un feu qui embrase justement les plus belles plages de l’album Brel.

Ces messieurs sont ainsi: ils veulent mais ne savent pas, et quand ils ne veulent pas, c'est parce qu'ils croient savoir.

C'est se dire objectif pour cacher qu'on est neutre.

Sur le roc, la caillasse, que peut-on faire pousser, à part la mauvaise herbe ? Pour l'adolescent, le rock est attirant parce qu'il est autre chose, vers quoi on peut tendre. Alors que la culture classique lui parle d'une vie qui lui semble passée. On quitte le jardin et ses sentiers battus pour trouver la caillasse. On y sème, on arrose, et quelque chose, un jour, finit part en sortir. Mais c'est l'effort qui paie, et le sens qu'on lui donne.

Enfin, on aperçoit le but de l'exercice : c'est une petite plage. Elle est rarement déserte mais on ne voit personne. On est presque surpris de marcher sur du sable – doux, accueillant et plat, c'est à peine s'il crisse. On pourrait se retourner comme pour reconnaître l'obstacle franchi. Mais le contentement de soi ne suffit pas. Ce n'est pas le décor : il est des plus communs. Ce n'est pas la rumeur de la mer : elle se tait, sans qu'on sache pourquoi. C'est un éblouissement. Il n'y a que le sens du chemin qu'on a fait et qui nous appartient, comme il est à tout le monde. On sait qu'on va revenir par le sentier du haut, là où vont la plupart et d'où la vue peut plonger sur la côte rocheuse. On ne sait rien de plus que l'enfant stupéfait. On peut seulement le dire à qui veut l'entendre.