Citations de Françoise Grard (44)
J'ai remis au lendemain l'explication que nous n'aurions pas. Puis j'ai ployé sous une vague de désir tremblant qui m'a fermé les yeux.
Car mon désir pour Wilfred, contrairement à ceux que j'avais connus auparavant, était un désir poignant où se mêlaient l'appel de mon corps et un attendrissement mélancolique, plus puissant, plus voluptueux qu'aucun autre.
Plus tard, tandis qu'il plongeait à mes côtés dans un sommeil épais, je me suis collée contre son dos, humant l'odeur de foin de sa nuque, mes bras noués autour de sa taille, et ne souhaitant rien d'autre que sa présence auprès de moi.
Le monde avait retrouvé sa densité, sa bienveillance ; je ne voulais plus penser, seulement savourer la fin de la terrible peur que j'avais eue de le perdre.
(p. 55)
Ma solitude a pris alors un tour radical, comme si j’étais la seule rescapée d’un cataclysme. C’est à ce moment-là que j’ai cessé de guetter les bruits, de fixer le chemin, c’est à ce moment-là que l’espoir d’un secours m’a quittée.
Il était neuf heures du soir, Wilfred ne viendrait plus. Je n’aurais pu dire pourquoi cette certitude se glissait en moi comme un serpent froid entre mes omoplates. Seulement que je savais que mon salut ne passerait plus par lui ; une évidence monstrueuse qui ne me révoltait même pas.
Wilfred ne viendrait plus.
Les enfants que nos parents ont été sont comme des enfants défunts.
La chevelure est la première parure d'une femme.
Le courage, ce n'est pas de ne pas avoir peur ; c'est de dominer sa peur.
Elle était si vivante dans l'ombre palpitante du feuillage, si droite et si courageuse... (...) Vivante comme toutes les jeunesses passées et à venir. Comme tous les étés qui reviennent, malgré la folie des homes, avec leur espoir de soleil, de verdure et de fruits.
On ne se rend compte du prix des choses qu'au moment de les perdre.
Charles, il me serait insupportable de te perdre. Allez, je sacrifierais le monde entier pour te garder. Mathilde la première. Tous dans le gouffre du Grand Veymont. Si tu savais comme il est devenu noir, le monde, depuis que tu es fâché...
Le passé faut pas le déranger, sinon, il se fâche.
Quelque chose de plus vaste que moi, que mon histoire (...), planait pour me rappeler que nos vies ne s'inscrivent sur la ligne du temps qu'en proportion d'un grain de poussière répandue au-dessus de ma tête.
Je devais découvrir par la suite que "petit" ou "petite" était l'adjectif préféré de Madame Lanier. Chez elle, tout était modèle réduit et donc charmant, inoffensif... et contrôlable.
Sans me connaître, car je tardais bizarrement à être introduite. Nous faisions route ensemble, soir et matin, mais toujours elle me quittait devant la majestueuse porte laquée de son immeuble sans m'inviter à la suivre. Et je la regardais disparaître, avec une mélancolie grandissante tandis que résonnait comme un gong impressionnant la porte refermée sur une voûte invisible.
(...) l'école ne doit pas réduire son rôle à l'utilitaire comme on tendrait à le penser aujourd'hui. Elle doit aussi fournir des outils de réflexion qui permettront à nos élèves de "penser leur vie".
Transmettre les valeurs du silence et de l'écoute fait partie de la lourde tâche du professeur qui ne peut exercer son métier sans le secours de deux alliés : sainte Aspirine et sainte Patience.
L'évaluation des enseignants reste un problème important. Ceux-ci manquent à la fois de stimulation et de retour sur leurs pratiques, de soutien et de possibilité pour se perfectionner.
Aujourd'hui, l'autorité n'est plus institutionnelle, elle est à conquérir.
(...) c'est là un des bienfaits de cette profession : on oublie tout ou presque (ou alors c'est vraiment très grave) le temps de faire cours.
Le professeur ne sait pas l'avenir de ce qu'il a semé, l'élève ignore tout de la personne derrière le professeur.
C'est pourquoi évoquer les coulisses du métier, le quotidien d'un enseignant, ses doutes, ses espoirs, son parcours, pourrait peut-être apporter sa modeste contribution à une meilleure compréhension mutuelle.
(...) un professeur reste obsédé par son métier, "nuit et jour à tout-venant", de septembre à septembre, samedi et dimanche compris.
La pluapart du temps, j'aime bien Diane. Parfois je la déteste. Souvent je l'envie. Et deux à trois fois par an, je voudrais qu'elle me prenne dans ses bras et que nous nous tenions serrés l'un contre l'autre, comme des orphelins.
La vérité était que je n'avais plus de maison, puisque le pot de yaourt à la fraise ne me concernait pas, pas plus que le restaurant où ma famille devait à cet instant se pencher sur la carte. En entrée, maman prendrait surement une salade; quand à Adrien, il se jetterait sur les rillettes avec cornichons.
D'un coup de reins, j'ai redressé le petit garçon, en me disant que nous étions presque dans la même situation, lui et moi. Saut que sa propre mère devait être dévorée d'inquiétude tandis que la mienne croquait paisiblement sa frisée aux lardons, sans savoir que j'errais sous le déluge.