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Citations de Franz Liszt (238)


Ensemble irrésistible, qui enchante et qu’on honore ! Balzac a essayé de l’esquisser dans des lignes toutes d’antithèses, renfermant le plus précieux des encens adressé à cette « fille d’une terre étrangère, ange par « l’amour, démon par la fantaisie, enfant par la foi, « vieillard par l’expérience, homme par le cerveau, « femme par le cœur, géante par l’espérance, mère par « la douleur et poète par ses rêves » ’}.

Berlioz, génie shakespearien qui toucha à tous les extrêmes, dût naturellement entrevoir à travers les transparences musicales de Chopin le prestige innommable et ineffable qui se mirait, chatoyait, serpentait, fascinait dans sa poésie, sous ses doigts ! Il les nomma les divines chatteries de ces femmes semi-orientales, que celles d’occident ne soupçonnent pas ; elles sont trop heureuses pour en deviner le douloureux secret. Divines chatteries en effet, généreuses et avares à la fois, imprimant au cœur épris l’ondoiement indécis et berçant d’une nacelle sans rames et sans agrès. Les hommes en sont choyés par leurs mères, câlinés par leurs sœurs, enguirlandés par leurs amies, ensorcelés par leurs fiancées, leurs idoles, leurs déesses ! C’est encore avec de divines chatteries, que des saintes les gagnent au martyrologe de leur patrie. Aussi, comprend-on qu’après cela les coquetteries des autres femmes semblent grossières ou insipides et que les polonais s’écrient, à bon droit, avec une gloriole que chaque polonaise justifie : Niema iak polki2). Le secret de ces divines chatteries fait ces êtres 1) Dédicace de Modeste Mignon. 1) L’habitude où l’on était autrefois de boire dans leur propre soulier la santé des femmes qu’on voulait fêter, est une des traditions les plus originales de la galanterie enthousiaste des polonais. insaisissables, plus chers que la vie, dont les poètes comme Chateaubriand se forgent durant les brûlantes insomnies de leur adolescence une démonne et une charmeresse, quand ils trouvent dans une polonaise de seize ans une soudaine ressemblance avec leur impossible vision , « d’une Eve innocente et tombée, ignorant tout, sachant tout, vierge et amante à la fois ! ! ! »’) — « Mélange de l’odalisque et de la walkyrie, chœur féminin varié d’âge et de beauté, ancienne sylphide réalisée… Flore nouvelle, délivrée du joug des saisons… »2) —Le poète avoue que, poursuivi dans ses rêves, enivré par le souvenir de cette apparition, il n’osa pourtant la revoir. Il sentait , vaguement , mais indubitablement, qu’en sa présence il cessait d’être un triste René, pour grandir selon ses vœux, devenir ce qu’elle voulait qu’il fut , être exhaussé et façonné par elle. Il fut assez fat pour prendre peur de ces vertigineuses hauteurs, parceque les Châteaubriand font école en littérature, mais ne font pas une nation. Le polonais ne redoute point la charmeresse sa sœur, Flore nouvelle délivrée du joug des saisons ! Il la chérit, il la respecte, il sait mourir pour elle… et cet amour, pareil à un arôme incoruptible, préserve le sommeil de la nation de devenir mortel. Il lui conserve sa vie, il empêche le vainqueur d’en venir à bout et prépare ainsi la glorieuse résurrection de la patrie.

1) Mémoires d’outre-tombe. Ier vol. — Incantation. 2] Idem, 3* vol. — Atala.
Il faut cependant reconnaître que d’entre toutes, une seule nation eut l’intuition d’un idéal de femme à nul autre pareil, dans ces belles exilées que tout semblait amuser, que rien ne parvenait à consoler. Cette nation fut la Fi ance. Elle seule vit entre-luire un idéal inconnu chez les filles de cette Pologne, « morte civilement » aux yeux d une société civile, où la sagesse des Nestor politiques croyait assurer « l’équilibre européen », en traitant les peuples comme « une expression géographique » ! Les autres nations ne se doutèrent même pas qu’il pouvait y avoir quelque chose à admirer en le vénérant, dans les séductions de ces sylphides de bal, si rieuses le soir, le lendemain matin prosternées sanglotantes aux pieds des autels ; de ces voyageuses distraites qui baissaient les stores de leur voiture en passant par la Suisse, afin de n’en pas voir les sites montagneux, écrasans pour leurs poitrines amoureuses des horizons sans bornes de leurs plaines natales ! En Allemagne, on leur reprochait d’être des ménagères insouciantes, d’ignorer les grandeurs bourgeoises du Soll und Haben.’ Pour cela, on leur en voulait à elles, dont tous les désirs, tous les vouloirs, toutes les passions se résument à mépriser l’avoir, pour sauver l’étre, en livrant des fortunes millionaires à la confiscation de vainqueurs cupides et brutaux ! A elles, qui encore enfans entendent leur père répeter : « la richesse a cela de bon que, donnant quelque chose à sacrifier, elle sert de piédestal à l’exil !.. » — En Italie, on ne comprenait rien à ce mélange de culture intellectuelle, de lectures avides, de science ardente, d’érudition virile, et de mouvemens prime-sautiers, effarés, convulsifs parfois, comme ceux de la lionne pressentant dans chaque feuille qui remue un danger pour ses petits. — Les polonaises qui traversaient Dresde et Vienne, Carlsbad et Ems, pour chercher à Paris une Espérance secrète, à Rome une Foi encourageante, ne rencontrant la Charité nulle part, n’arrivaient ni à Londres, ni à Madrid. Elles ne songeaient point à trouver une sympathie de cœur sur les bords de la Tamise, ni une aide possible parmi les descendans du Cid ! Les anglais étaient trop froids, les espagnols trop loin.

Les poètes, les littérateurs de la France, furent les seuls à s’apercevoir que dans le cœur des polonaises, il existait un monde différent de celui qui vit et se meut dans le cœur des autres femmes. Ils ne surent pas deviner sa palingénésie ; ils ne comprirent pas que si, dans ce chœur féminin varié d’âge et de beauté, on croyait parfois retrouver les mystérieuses attractions de l’odalisque, c’est qu’elles étaient là comme une parure acquise sur un champ de bataille ; si l’on pensait y entrevoir une silhouette de walkyrie, c’est qu’elle se dégageait des vapeurs de sang qui depuis un siècle planaient sur la patrie ! Par ainsi, ces poètes et ces littérateurs ne saisirent point la dernière formule de cet idéal dans sa parfaite simplicité. Ils ne se figurèrent point une nation de vaincus qui, enchaînée et foulée aux pieds, proteste contre l’éclatante iniquité au nom du sentiment chrétien. Le sentiment d’une nation par quoi s’exprime-t-il ? — N’est-ce point par la poésie et l’amour ? — Et qui en sont les interprètes ? — N’est-ce point les poètes et les femmes ? — Mais, si les français, trop habitués aux conventionalités artificielles du monde parisien, n’ont pu avoir l’intuition des sentimens dont Childe Harold entendit les accens déchirans dans les femmes de Saragosse, défendant vainement leurs foyers contre « l’étranger », ils subirent tellement la fascination qui s’échappait en ondes diaprées de ce type féminin, qu’ils lui prêtèrent des puissances presque surnaturelles.
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D’ailleurs, en ce siècle de calomnies, on calomnie aussi les hommes là, où les femmes ont de quoi braver, vaincre et faire taire la calomnie. Si ces polonaises qui changent une fleur des champs en un sceptre dont on bénit la puissance, ont un sens de la foi plus sublime que les hommes, il n’est pourtant pas plus viril ; si elles ont le goût de l’héroïsme plus exalté, il n’est pourtant pas plus impérissable ; si l’orgueil de la résistance est plus indigné chez elles, il n’est pourtant pas plus indomptable ! Tout le monde dit du mal des polonais ; cela est si aisé ! On exagère leurs défauts, on a soin de taire leurs qualités, leurs souffrances surtout. Où donc est la nation qu’un siècle de servitude n’a point défaite, comme une semaine d’insomnie défait un soldat ? Mais, quand on aura dit tout le mal imaginable des polonais, les polonaises se demanderont toujours : Qui donc sait aimer comme eux ? S’ils sont souvent des infidèles, prompts à adorer toute divinité, à brûler leur encens devant chaque miracle de beauté, à adorer chaque jeune nouvellement monté sur l’horizon, qui donc a un cœur aussi constant, des attendrissemens que vingt ans n’ont pas effacé, des souvenirs dont l’émotion se répercute jusque sous les cheveux blancs, des services empressés qui se reprennent après un quart de siècle d’interruption comme on renoue un entretien brisé la veille ? Dans quelle nation ces êtres, frêles et courageux, trouveraient-elles autant de cœurs capables de les adorer d’une dévotion si vraie, qu’il fait aimer la femme jusqu’à aimer la mort pour elle, sachant que son beau regard ne peut convier qu’à une belle mort ?
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Pour le vrai polonais, la femme dévote, ignorante et sans grâce, dont chaque parole ne brille pas comme une lueur, dont chaque mouvement n’exhale pas le charme d’un parfum suave, n’appartient pas à ces êtres qu’enveloppe un fluide ambiant , une vapeur tiède, — sous les lambris dorés, sous le chaume fleuri, comme derrière les grilles du chonir. —En revanche, la femme intéressée, calculatrice habile, syrène déloyale, sans foi ni bonnefoi, est un monstre si odieux qu’il ne devine même pas les ignobles écailles qui se-cachent au bas de sa ceinture, artificieusement voilées. Qu’en advient-il ? Il tombe dans ses pièges et, quand il y est tombé, il est perdu pour sa génération, ce qui fait croire que les polonais s’en vont et qu’il ne reste plus que des polonaises ! Quelle erreur ! En fût-il ainsi, la Pologne n’aurait point à pleurer ses fils pour toujours. Comme cette illustre italienne du moyen-âge qui défendait elle-même son château-fort et, voyant six de ses fils couchés à ses pieds sur ses crénaux, défiait l’ennemi en lui montrant son sein d’où elle ferait naître six autres guerriers non moins valeureux, les mères polonaises ont de quoi remplacer les générations énervées, les générations qui ont servi d’anneau dans la chaîne généalogique sans laisser d’autres traces de leur triste et terne passage !
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Un proverbe national caractérise mieux en quatre mots cette fusion de la vie du monde et de la vie de foi que ne le peuvent faire toutes les descriptions quand, pour peindre une femme parfaite, un parangon de vertu, il dit : « Elle excelle dans la danse et dans la prière ! » Veut-on vanter une jeune-fille, veut-on louer une jeune-femme, on ne saurait mieux faire que de leur appliquer cette courte phrase : I do tança, i do roianca ! On ne peut leur trouver de meilleur éloge, parce que le polonais né, bercé, grandi, vivant entre des femmes dont on ne sait si elles sont plus belles quand elles sont charmantes ou charmantes quand elles ne sont pas belles ; le polonais ne se résignerait jamais à aimer d’amour celle que personne ne lui envierait au bal, pas plus qu’il ne chérira éternellement celle dont il ne pense pas que, plus ardente que les séraphins dans les cieux, elle fatigue de ses implorations et de ses expiations, de ses oraisons et de ses jeûnes, ce Dieu qui châtie ceux qu’il aime et qui a dit des nations : elles sont guérissables !
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Les latitudes géographiques et psychologiques dans lesquelles le sort les fait vivre offrent également ces climats extrêmes, où les étés brûlans ont des splendeurs et des orages torrides, où les hivers et leurs frimas ont des froidures polaires, où les cœurs savent aimer et haïr avec la même ténacité, pardonner et oublier avec la même générosité. Aussi là, quand on est épris, n’est-ce point à l’italienne, (ce serait trop simple et trop charnel,) ni à l’allemande, (ce serait trop savant et trop froid, encore moins à la française, (ce serait trop vaniteux et trop frivole) ; on y fait de l’amour une poésie, en attendant qu’on en fasse un culte. Il forme la poésie de chaque bal et peut devenir le culte de la vie entière. La femme aime l’amour pour faire aimer ce qu’elle aime : avant tout son Dieu et sa patrie, la liberté et la gloire. L’homme aime l’amour parce qu' il aime à être ainsi aimé ; à se sentir surélevé, grandi au-dessus de lui-même, électrisé par des paroles qui brûlent comme des étincelles, par des regards qui luisent comme des étoiles, par des sourires qui promettent la béatitude dune larme sur une tombe !… Ce qui faisait dire à l’empereur Nicolas : « Je pourrais « en finir des polonais, si je venais à bout des polo« naises »’).
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Les hommages que les polonaises ont inspirés ont toujours été d’autant plus fervens, qu’elles ne visent pas aux hommages ; elles les acceptent comme des pis-aller, des préludes, des passe-temps insignifians. Ce qu’elles veulent, c’est l’attachement ; ce qu’elles espèrent, c’est le dévouement ; ce qu' elles exigent, c’est l’honneur, le regret et l’amour de la patrie. Toutes, elles ont une poétique compréhension d’un idéal qu’elles t’ont miroiter dans leurs entretiens, comme une image qui passerait incessamment dans une glace et qu’elles donnent pour tâche de saisir. Méprisant le fade et trop facile plaisir de plaire seulement, elles voudraient avoir celui d’admirer ceux qui les aiment ; de voir deviné et réalisé par eux un rêve d’héroïsme et de gloire qui ferait de chacun de leurs frères, de leurs amoureux, de leurs amis, de leurs fils, un nouveau héros de sa patrie, un nouveau nom retentissant dans tous les cœurs qui palpitent aux premiers accens de la Mazoure liée à son souvenir. Ce romanesque aliment de leurs désirs prend dans l’existence de la plupart d’entr’ elles, une place qu’il n’a certes pas chez les femmes du Levant , ni même chez celles du Couchant.
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Discrètes par nature et par position, elles manient avec une incroyable dextérité la grande arme de la dissimulation ; elles sondent l’âme d’autrui et retiennent leurs propres secrets, si bien que nul ne suppose qu’elles ont des secrets ! ’) Souvent ce sont les plus nobles

i) II faut observer que malgré la constante reserve et la profonde dissimulation que leur commande la position de leur pays, à elles dépositaires de tant de sentimens, de tant d’incidens, de tant defaits, de tant de secrets, qui à la moindre indiscrétion menaceraient quelqu’un de la déportation et des mines de la Siberie, jamais on ne rencontre chez les polonaises cette insincérilé de tous les instans, ce mensonge perpétuel qui distingue d’autres femmes slaves. Celles-ci, non contentes de pratiquer la non-verité, se sont faites une seconde nature de la contreverité, qu’impose un despotisme dont dépendent toutes les sources de la vie-, tout le brillant de son échaflaudage ; despotisme d’autant plus iuplacable sous ses formes mielleuses que, se sachant réduit à regner par la terreur, il consent à être trompé en étant adulé, à être caressé sans amour, berce sans tendresse, enivré d’un vin frélaté. sans se soucier si le cœur est épanoui quand les lèvres rient, si l’âme est heureuse qu’elles taisent, avec cette superbe qui ne daigne même pas se témoigner. A qui les a calomniées elles rendent

quand la bouche le proclame, si elle ne hait pas celui auquel les yeux jettent leurs plus séduisantes invites. Pour ces femmes, le besoin de la faveur commande la duplicité, comme une condition première, essentielle, inévitable, sine qud non, de tout ce qui fait le bienêtre de la vie, le charme et l’éclat d’une destinée ; le mensonge leur devient par conséquent une nécessité vitale, un besoin imperieux auquel il faut satisfaire sur l’heure, à tout prix. Dans ces conditions, il ne saurait jamais se transformer en un art, toute la ruse du sauvage captif voulant profiter de son maître, non s’en affranchir, rie pouvant se comparer avec le savoir-faire habile et ingénieux du diplomate et du vaincu. Aussi, pour s’entretenir la main, ces femmes, à quelque rang qu’elles appartiennent, femmes de cour ou de quatorzième tchin, ne disent elles jamais, au grand jamais, un mot de pure et simple vérité. Demandez leur s’il est jour à minuit, elles repondront oui, pour voir si elles ont su faire croire l’incroyable. Le mensonge, qui répugne à la nature humaine, étant devenu un ingrédient inévitable de leurs rapports sociaux, a fini par gagner pour elles on ne sait quel charme malsain, comme celui de lassa foelida que les hommes au palais blasé du siècle dernier portaient en bonbonnière. Elles ont comme un goût plus sapide sur la langue sitôt qu’elles se figurent avoir induit en erreur quelque naïf, avoir persuadé quelque bonne âme du contraire de qui a été, de ce qui est, de ce qui sera. — Or, pour autant de polonaises qu’on ait pu connaître , jamais on n’a rencontre une vraie menteuse. Elles savent faire de la dissimulation un art ; elles savent même le ranger parmi les beaux-arts, car lorsqu’on en a surpris le secret, on ne sait ce qu’il faut admirer le plus, du sentiment généreux qui la dicta ou de la délicatesse de ses procédés. Mais, quelqu’ inimaginable finesse qu’elles mettent à ne pas laisser comprendre qu’elles savent ce qu’elles prètendent ignorer, qu’elles ont aperçu ce qu’elles veulent n’avoir pas vu, on ne peut jamais les accuser d’avoir manqué de franchise, surtout pas au detriment de qui que ce soit. Elles ont toujours dit vrai ; tant pis pour ceux qui ne les devinaient pas. Elles sont bien assez habiles pour échapper à tout essai scrutateur, sans recourir au masque qui trahit la vérité et lue l’honneur. Toute l’adresse avec laquelle une polonaise dérobe ce qu' elle veut cacher du secret d’autrui ou du sien, l’impénétrabilité dont elle recouvre le fond de ses sentimens, le dernier mot de ceux que lui un service, qui les a dénigrées devient leur ami, qui a traversé leurs desseins une fois le répare sans s’en douter en les servant cent fois. Le dédain intérieur que leur inspirent ceux qui ne les devinent pas, leur assure cette supériorité qui les fait régner avec tant d’art sur tous les cœurs qu’elles réussissent à flatter sans adulation, à apprivoiser sans concessions, à s’attacher sans trahison, à dominer sans tyrannie, jusqu’au jour où, se passionnant à leur tour avec autant de dévouement chaleureux pour un seul qu’elles ont de subtile fierté avec le reste du monde, elles savent aussi braver la mort, partager l’exil, la prison, les plus cruelles peines, toujours fidèles, toujours tendres, se sacrifiant toujours avec une inaltérable sérénité.
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Au milieu de ces fuyantes habitudes d’esprit, les idées, comme les bancs de sable mouvans de certaines mers, sont rarement retrouvées au point où on les a quittées. Cela seul suffirait à donner un relief particulier aux causeries les plus insignifiantes, comme nous l’ont appris quelques hommes de cette nation qui ont fait admirer à la société parisienne leur merveilleux talent d’escrime en paradoxe, auquel tout polonais est plus ou moins habile selon qu’il a plus ou moins intérêt ou amusement à le cultiver. Mais celle inimitable verve qui le pousse à faire constamment changer de costume à la vérité et à la fiction, à les promener toujours déguisées l’une pour l’autre, comme des pierres de touche d’autant plus sûres qu’elles sont moins soupçonnées ; cette verve qui aux plus chétives occasions dépense avec une prodigalité effrenée un prodigieux esprit, comme Gil Blas usait à trouver moyen de vivre un seul jour autant d’intelligence qu’il en fallait au roi des Espagnes pour gouverner ses royaumes ; cette verve impressionne aussi péniblement (pie les jeux où l’adresse inouïe des fameux escamoteurs indiens t’ait voler et étinceler dans les airs une quantité d’armes aiguisées et tranchantes qui, à la moindre gaucherie, deviendraient des instrumens de mort, Elle recèle et porte alternativement l’anxiété, l’angoisse, l’effroi, lorsqu’au milieu des dangers imminens de la délation, de la persécution, de la haine ou de la rancune individuelle, se surajoutant aux haines nationales et aux rancunes politiques, des positions toujours compliquées peuvent trouver un péril dans toute imprudence, dans toute inadvertance, toute inconséquence ; ou bien, une aide puissante dans un individu obscur et oublié.

Un intérêt dramatique peut dès lors surgir tout d’un coup dans les plus indifférentes entrevues, pour donner instantanément à toute relation les faces les moins prévues. Il plane par là sur les moindres d’entreelles une brumeuse incertitude qui ne permet jamais d’en arrêter les contours, d’en fixer les lignes, d’en reconnaître l’exacte et Future portée, les rendant ainsi toutes complexes, indéfinissables, insaisissables, imprégnées à la fois d’une terreur vague et cachée, d’uni ; flatterie insinuante inventive à se rajeunir, d’une sympathie qui voudrait souvent se dégager de ces pressions ; triples mobiles qui s’enchevêtrent dans les cœurs en d’inextricables confusions de sentimens patriotiques, vains et amoureux.

Est-il donc surprenant (pie des émotions sans nombre se concentrent dans les rapprochemens fortuits amenés par la mazoure lorsque, entourant les moindres velléités du cœur de ce prestige que répandent les grandes toilettes, les feux de la nuit, les surexcitations d’une atmosphère de bal, elle fait parler à l’imagination les plus rapides, les plus futiles, les plus distantes rencontres ! Pourrait-il en être autrement en présence des femmes qui donnent à la mazoure ces signifiances, que dans les autres pays on s’efforcera en vain de comprendre, même de deviner ? Car, ne sont-elles pas incomparables, les femmes polonaises ? Il en est parmi elles dont les qualités et les vertus sont si absolues, qu’elles les rendent apparentées à tous les siècles et à tous les peuples ; mais ces apparitions sont rares, toujours et partout. Pour la plupart, c’est une originalité pleine de variété qui les distingue. Moitié almées, moitié parisiennes, ayant peut-être conservé de mère en fille le secret des philtres brùlans que gardent les harems, elles séduisent par des langueurs asiatiques, des flammes de houris dans les yeux, des indolences de sultanes, des révélations d’indicibles tendresses fugitives comme l’éclair, des gestes naturels qui caressent sans enhardir, des mouvemens distraits dont la lenteur enivre, des poses inconscientes et affaissées qui distillent un fluide magnétique. Kllos séduisent par cette souplesse des tailles qui ne connaissent pas la gène et que l’étiquette ne parvient jamais à guinder ; par ces inflexions de voix qui brisent et font venir des larmes d’on ne sait quelle région du cœur ; par ces impulsions soudaines qui rappellent la spontanéité de la gazelle. Elles sont superstitieuses, friandes, enfantines, faciles à amuser, faciles à intéresser, comme les belles et ignorantes créatures qui adorent le prophète arabe ; en même temps intelligentes, instruites, pressentant avec rapidité tout ce qui ne se laisse pas voir, saisissant d’un coup d’oeil tout ce qui se laisse deviner, habiles à se servir de ce qu’elles savent, plus habiles encore à se taire longtemps et même toujours, étrangement versées dans la divination des caractères qu’un trait leur dévoile, qu’un mot éclaire à leurs yeux, qu’une heure met à leur merci !

Généreuses, intrépides, enthousiastes, d’une piété exaltée, aimant le danger et aimant l’amour, auquel elles demandent beaucoup et donnent peu, elles sont surtout éprises de renom et de gloire. L’héroïsme leur plaît ; il n’en est peut-être pas une qui craignît de payer trop cher une action éclatante. Et cependant, disons-le avec un pieux respect, beaucoup d’entr’elles, mystérieusement sublimes, dévouent à l’obscurité leurs plus beaux sacrifices, leurs plus saintes vertus. Mais, quelqu’exemplaires que soient les mérites de leur vie domestique, jamais tant que dure leur jeunesse, (et elle est aussi longue que précoce), ni les misères de la vie intime, ni les secrètes douleurs qui déchirent ces âmes trop ardentes pour n’être pas souvent blessées, n’abattent la merveilleuse élasticité de leurs espérances patriotiques, la juvénile candeur de leurs enchantemens souvent illusionnés, la vivacité de leurs émotions qu’elles savent communiquer avec l’infaillibilité de l’étincelle électrique.
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Mais, si fréquens que soient les bals officiels, si souvent même que l’on soit obligé d’y engager quelques personnages qui s’imposent ou dejeunes officiers russes, amis de régiment des jeunes polonais forcés de servir pour n’être pas privés de leurs priviléges nobiliaires, la vraie poésie, le véritable enchantement de la mazoure, n’existe réellement qu’entre polonais et polonaises. Seuls, ils savent ce que veut dire d’enlever une danseuse à son partner avant même qu’elle ait achevé la moitié de son premier tour dans la salle, pour aussitôt l’engager à une mazoure de vingt paires, c’est-à-dire de deux heures ! Seuls, ils savent ce que veut dire de lui voir accepter une place près de l’orchestre, dont les rumeurs réduisent toutes les paroles à des murmures de voix basses, à des souffles brûlans plus compris qu’articulés, ou bien d’entendre qu’elle ordonne de poser sa chaise devant le canapé des matronnes qui devinent tous les jeux de physionomie. Seuls, le polonais et la polonaise savent à l’avance que dans une mazoure, l’un peut perdre une estime et l’autre conquérir un dévouement ! Mais, le polonais sait aussi que dans ce tête-à-tète public, ce n’est pas lui qui domine la situation. S’il veut plaire, il craint ; s’il aime, il tremble. Dans l’un ou l’autre cas, qu’il espère éblouir ou toucher, charmer l’esprit ou attendrir le cunir, c’est toujours en se lançant dans un dédale de discours, qui ont exprimé avec ardeur ce qu’ils se sont gardés de prononcer ; qui ont furtivement interrogé sans avoir jamais questionné ; qui ont été atrocement jaloux sans paraître y prétendre ; qui ont plaidé le faux pour savoir le vrai ou révélé le vrai pour se garantir du faux, sans être sortis des sentiers ratissés et fleuris d’une conversation de bal. Ils ont tout dit, ils ont parfois mis toute l’âme et ses blessures à nu, sans que la danseuse, si elle est orgeuilleuse ou froide, prévenue ou indifférente, puisse se vanter de lui avoir arraché un secret ou infligé un silence !

Puis, une attention si incessamment tendue finissant par harasser des naturels expansifs, une légèreté lassante, surprenante même avant qu’on en ait démêlé l’insouciance désespérée, vient s’allier comme pour les ironiser aux finesses les plus spirituelles, à l’existence des plus justes peines, à leur plus profond sentiment. Toutefois, avant de juger et de condamner cetle légèreté, il faudrait en connaître toutes les profondeurs. Elle échappe aux promptes et faciles appréciations en étant tour à tour réelle et apparente, en se réservant d’étranges répliques qui la font prendre, aussi souvent à tort qu’à raison, pour une espèce de voile bariolé, dont il suffirait de déchirer le tissu afin de découvrir plus d’une qualité dormante ou enfouie sous ses plis. Il advient de cette sorte que l’éloquence n’est fréquemment qu’un grave badinage, qui fait tomber des paillettes d’esprit comme une gerbe de feux d’artifice, sans que la chaleur du discours ait rien de sérieux. On cause avec l’un, on songe à un autre ; on n’écoute la réplique que pour répondre à sa propre pensée. On s’échauffe, non pour celui à qui l’on parle, mais pour celui à qui l’on va parler. D’autres fois, des plaisanteries échappées connue par raégarde sont tristement sérieuses, quand elles partent d’un esprit qui cache sous ses gaietés d’étalage d’ambitieuses espérances et de lourds mécomptes, dont personne ne peut le railler ni le plaindre, personne n’ayant connu ses audacieux espoirs et ses insuccès secrets.

Aussi, que de fois des gaietés intempestives suiventelles de près des recueillemens âpres et farouches, tandis que des désespérances pleines d’abattement se changent soudain en chants de triomphe, fredonnés à la sourdine. La conspiration étant à l’état de permanence dans tous les esprits, la trahison apparaissant à l’état de possibilité dans tous les momens de défaillance ; la conspiration formant un mystère qui, à peine soupçonné, jette l’homme dans le gouffre de la police moscovite et ne le rejette dans la vie que comme un naufragé nu sur la plage ; la trahison constituant un plus terrible mystère qui, à peine soupçonné, métamorphose l’être humain en une bête vénimeuse dont la seule haleine est reputée pestiférée, — comment chaque homme ne serait il pas une énigme indéchiffrable à tout autre qu’à une femme aux intuitions divinatrices, qui veut devenir son angegardien en le retenant sur la pente des conspirations ou en le préservant des séduisans appâts de la trahison ? Dans ces entretiens pailletés d’or et de cuivre, où le vrai rubis brille à côté du faux diamant, comme une goutte de sang pur mise en balance avec un argent impur ; où les réticences inexplicables peuvent aussi bien envelopper d’ombre la pudeur d’une vie qui se sacrifie, que l’impudeur d’une lâcheté qui se fait récompenser, — voire même le double jeu d’un double sacrifice et d’une double trahison, livrant quelques complices dans l’espoir de perdre tous leurs bourreaux, en se perdant soi même, — rien ne saurait demeurer absolument superficiel, quoique rien non plus ne soit exempt d’un vernis artificiel. Là donc, où la conversation est un art exercé au plus haut degré et qui absorbe une énorme partie du temps de tout le monde, il y en a peu qui ne laissent à chacun le soin de discerner dans les propos joyeux ou chagrins qu’il entend débiter, ce qu’en pense vraiment le personnage qui, en moins d’une minute, passe du rire à la douleur, en rendant la sincérité également difficile à reconnaître dans l’un et dans l’autre.
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Le russe et la polonaise sont les seuls points de contact entre deux peuples plus antipathiques entre eux que le feu et l’eau, l’un étant fou de la liberté qu’il aime plus que la vie, l’autre étant voué au servage officiel jusqu’à lui donner sa vie. Mais, ce seul point de contact est incandescent, parce que la femme espère toujours inoculer à l’homme le ferment de la bonté, de la pitié, de l’honneur ; l’homme espère toujours dénationaliser la femme jusqu’à lui faire oublier la pitié, la bonté, l’honneur. A ce double jeu chacun s’enflamme et, comme on ne se rencontre guère ailleurs, c’est durant la mazoure qu’on épuise toutes ses ressources, ses stratagèmes, ses assauts, ses embuscades et ses silencieuses victoires. Le bal et la danse sont le terrain de ces grandes batailles, dont le succès consiste à se changer en d’heureux préliminaires de paix entre deux bélligérans amis, sur les bases de quelque haute rançon et de quelque souvenir ému, qui scintille comme une étoile jamais voilée dans le cœur de l’homme, laissant parfois aussi une reconnaissance toujours bienveillante dans celui de la femme’).

Là, où les neiges boréales d’irkutsk, les ensevelissemens vivans de Nertschinsk, forment neuf fois sur dix comme l’arrière-fond, l’arrière - pensée d’une conversation engagée par une polonaise qui effeuille son bouquet

1) Un général russe était chargé de faire executer on ne sait plus quelles mesures vexatoires au couvent des dominicaines, à Kamieniec en Podolie. La prieure fut obligée de le voir pour lâcher d’obtenir quelques adoucissement a ces rigueurs. Appartenant à une des plus antiques familles de la Lithuanie, elle était encore d’une grande beauté et d’une suavité de manières vraiment fascinante. Le général la vit derrière la grille du parloir et causa longtemps avec elle. Le lendemain il lui fit accorder tout ce qu’elle avait demandé, (sans la prévenir qu’un an après son successeur n’en tiendrait aucun compte,) et ordonna ii ses soldats de planter un jeune peuplier devant ses fenêtres ; personne ne devina ce que pouvait signifier cette fantaisie. Bien des années après, la mère Marie-Rose le regardait encore avec complaisance ; il lui rappelait que le général russe avait trouvé moyen de lui rendre un éternel hommage, en faisant dire à cet arbre qui indiquait sa cellule : To polka. entre doux sourires, avec un russe qui déchire son gant blanc en suivant des yeux un pur profil, un galbe angélique, on plaide en apparence pour soi quand un autre est en (cause ; les flatteries par contre peuvent devenir des exigences déguisées. Là, c’est la dégradation du rang et de la noblesse’), c’est le knout et la mort, qui attendent peut-être celui qu’une sœur, une fiancée, une amie, une compatriote inconnue, une femme douée du génie de la compassion et de la ruse, ont le pouvoir de perdre ou de sauver durant les fugitives amours de deux mazoures. Dans l’une, ces amours s’ébauchent ; la lutte commence, le défi est jeté. Durant les longs a parte que elle autorise, ciel et terre sont remués sans que l’interlocuteur sache souvent ce qu’on veut de lui avant le jour, dont l’indiscrétion chèrement payé de quelque inférieur a révélé l’approche, où une écriture Une, tremblante, humide de pleurs, vient se rencontrer avec un homme d’affaires porteur d’un portefeuille tout gonflé. Au second bal, quand la femme et l’homme se retrouvent dans la mazoure, l’un des deux finit par être vaincu. Elle n’a rien obtenu ou elle a tout conquis. Rarement s’est il vu qu’elle n’ait rien obtenu, qu’on ait tout refusé à un regard, à un sourire, à une larme, à la honte du mépris.

1) Le Prince Troubelzkov, revenu dos mines île Sibérie où il avait passe vingt ans et n’avait rien perdu de sa fière imprudence, fit mettre sur ses cartes de visite (aussitôt confisquées) : Pierre Troubelzkoy, né Prince Troubetskoy.
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Pour elles toutes, le polonais n’est pas un gentilhomme, tant louis races sont diverses et leur langage différent. Il est un vaincu, c’est-à-dire moins qu’un esclave ; il est en défaveur, c’est-a-dire au dessous de la bête honorée d une attention souveraine. Mais pour les vainqueurs, les polonaises sont des femmes. Et quelles femmes ! En est-il dont le cœur n’ait jamais été carbonisé par le regard de l’une d’elles, noir comme la nuit ou bleu comme le ciel d’Italie, pour qui il se serait damné… oui… cent fois damné… mais non perdu aux yeux du czar !… Car devant la faveur, la bassesse de l’homme et la bassesse de la femme russes sont aussi équivalentes que la livre de plomb et la livre de plume, ce qu’un proverbe constate à sa manière en disant : mon : i géna, mina saiana « Mari et femme ne font qu’un diable » ! Seulement, la livre de plomb ne bouge pas plus qu’un boulet au fond d’un sac de toile imperméable, la livre de plume remue, voltige, se lève, retombe, se relève et s’aplatit sans cesse, comme un nid de noirs papillons dans un sac de gaze transparente. Cependant, dans les poitrines couvertes du plastron de l’uniforme chamarré d’or, semé de croix et de crachats, emmédaillé et enrubanné, il y a, par dessus le boulet de plomb, on ne sait quelle étincelle d’élément slave qui vit, s’agite, qui parfois flambe. Il est accessible à la pitié, il est séduit par les larmes, il est touché par les sourires. Gare pourtant à qui voudrait s’y fier, car à côté de lui il y a tout un brasier d’élément mongol et kalmouk qui renifle la rapine. Cette étincelle réunie à ce brasier font, que le vainqueur ne se contente pas de larmes et de sourires sans argent, ni ne veut non plus de l’argent qu’avec l’assaisonnement des larmes et des sourires ! Qui dira tous les drames qui dans ces données se sont joués entre des êtres, dont l’un tend des filets d’or et de soie, recule d’effroi comme mordu par un scorpion à la pensée de s’être pris dans ses propres rets ; dont l’autre, friand et glouton à la fois, s’abreuve d’un limpide regard, s’enivre d’un doux parler, tout en palpant les billets de banque qu’il tient déjà sur son cœur.
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Quand les femmes des vainqueurs sont en présence des femmes de vaincus, elles font toutes pleuvoir le dédain de leurs prunelles arrogantes. Ni les « dames chiffrées », celles qui portent un monogramme impérial sur l’épaule, ni les autres qui ne peuvent se targuer d’être ainsi marquées comme les génisses d’un troupeau seigneurial, ne comprennent rien à l’atmosphère où elles sont plongées. Elles ne voient ni les flammes de l’héroïsme, précurseurs de la conflagration, monter en langues étroites et frémissantes jusqu’aux plafonds dorés et là, former une voûte de sombres prophéties sur leurs têtes lourdes et vides ; ni les fleurs vénéneuses d’une future poésie sortir de terre sous leurs pas, accrocher à leurs falbalas leurs épines immortelles, s’enrouler comme des aspics autour de leurs corsages, monter jusqu’à leur cœur pour y plonger leurs dards et retomber, surprises et béantes, n’y trouvant aussi que le vide !
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Mais, dans les bals on n’est pas toujours entre sui. Il faut souvent danser avec les vainqueurs ; il faut souvent leur plaire pour n’en être pas incontinent anéantis. Il faut aller chez leurs femmes et quelquefois les inviter ; il faut être près d’elles, côte-à-côte avec elles, humilies par celles qu’on méprise. Quelles sont dures les femmes des vainqueurs quand elles apparaissent aux fêtes des vaincus ! Les unes se montrent confites dans la morgue des dames de cour sur lesquelles resplendit tout l’éclat d’une laveur impériale, insolentes avec préméditation, cruelles avec inconscience, se croyant adulées sans se sentir haïes, imaginant trôner et régner, sans apercevoir qu’elles sont raillées et tournées en dérision par ceux qui ont assez de sang au cœur, assez de feu dans le sang, assez de foi dans l’âme, assez d’espoir dans l’avenir, pour attendre des générations avant de livrer leur souvenir à la vindicte publique. Etalant le grand air d’emprunt des personnes qui savent à un cheveu près le degré d’élasticité permis au buse de leur corset, elles sont rendues plus froidement impertinentes encore par le déplaisir de se voir entourées d’un essaim de créatures, plus enchanteresses les unes que les autres et dont la taille n’a jamais connu de corset ! D’autres, parvenues enrichies, font papilloter l’éclat de leurs diamans aux veux de celles à qui leurs maris ont volé leurs revenus. Sottes et méchantes, ne se doutant quelquefois pas des taches de sang qui souillent le crêpe rouge de leur robe, mais heureuses d’enfoncer une épingle tombée de leur coiffure dans le cœur d une mère ou d’une sœur, qui les maudit chaque fois qu’elles passent en tourbillonnant devant elle, Ce qui était odieux, elles le rendent risible, en essayant de singer les grands airs des grandes dames. A observer la vulgarité des formes mongoles, la disgrâce des traits kalmouks. qui impriment encore leurs traces sur ces plates figures, on songe involontairement aux longs siècles durant lesquels les russes durent lutter avec les hordes payennes de l’Asie. dont ils portèrent souvent le joug en gardant son empreinte barbare dans leur âme, comme dans leur langue ! Encore au jour d’aujourd’hui, le trésor de l’Etat, comme qui dirait en Europe le ministère des finances, y est appelé la tente princiére : celle où jadis se portait le plus beau du butin et du pillage ! Kaziennaia Ptilata.
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Pourtant, sans un tel pacte le polonais, héritier d’une civilisation huit fois séculaire et dédaignant depuis cent ans de renoncer à ce qu’elle lui a mis au cœur d’élévation, de noblesse, de hautaine indépendance, pour accepter la fraternité des puissans serviles ; le polonais apparaît en Europe comme un paria, un jacobin, un être dangereux, dont il vaut mieux éviter le voisinage fâcheux. S’il voyage, lui, grand-seigneur par excellence, il devient un épouvantail pour ses pairs ; lui, catholique fervent, martyr de sa foi, il devient la terreur de son pontife, un embarras pour son Eglise ; lui, par essence homme de salon, causeur spirituel, convive exquis, il semble un homme de rien à écarter poliment ! N’est-ce point là un calice d’amertume ? N’est-ce point là un sort plus dur à affronter qu’un combat glorieux, qui ne se prolonge pas durant toute une existence ? Néanmoins, chaque jeune-homme et chaque jeune-femme qui durant une mazoure se rencontrent une fois par hasard, ont à honneur de se prouver l’un à l’autre qu’ils sauront boire ce calice ; qu’ils l’acceptent, émus et joyeux, de la main qui pour lors le présente avec un cœur plein d’enthousiasme, des yeux pleins d’amour, un mot plein de force et de grâce, un geste plein d’élégance fière et dédaigneuse.
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Toutefois, mourir c’était trop ! Par conséquent ce n’était pas assez. Tous ne devaient pas mourir, tous cependant devaient refuser de vivre, en refusant l’air libre de leurs prérogatives innées, les franchises de leur antique patriciat dans la grande cité chrétienne ; lorsqu’ils refusaient tout pacte avec le vainqueur qui y avait usurpé sa place et s’y targuait de ses privilèges, (c'était là vraiment un destin pire que la mort ! N’importe ! Celles qui ne craignaient pas de l’imposer, en rencontraient toujours qui ne craignaient pas de l’accepter. S’il y en eut qui ont pactisé avec le vainqueur, plus pour la forme que pour le fond,) combien n’y en eut-il pas qui n’ont jamais voulu pactiser, ni pour le fond, ni pour la forme ! Ils se sont soustraits à tout pacte, même à ce pacte tacite qui ouvrait les portes de toutes les ambassades et de toutes les cours d’Europe, à la seule condition de ne jamais laisser entendre que « l’ours qui a mis des gants blancs » chez l’étranger, se hâte de les jeter à la frontière et, loin de ses regards, redevient la bête inculte, friande il est vrai des saveurs du miel de la civilisation dont elle importe volontiers chez elle les rayons tout faits, mais incapable de voir qu’elle écrase de sa masse informe les fleurs dont ce miel est tiré, qu’elle fait mourir sous ses grosses pattes les travailleuses ailées sans lesquelles il n’existe pas.
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La campagne et la vie de château lui convenaient tellement, que pour en jouir il acceptait une société qui ne lui convenait pas du tout. On pourrait en induire qu’il lui était plus aisé d’abstraire son esprit des gens qui l’entouraient, de leur partage bruyant comme le son des castagnettes, que d’abstraire ses sens de l’air étouffé, de la lumière terne, des tableaux prosaïques de la ville, où les passions sont excitées et surexcitées à chaque pas, les organes rarement flattés. Ce que l’on y voit, ce que l’on y entend, ce que l’on y sent, frappe au lieu de bercer ; fait sortir de soi, au lieu de faire rentrer en soi. Chopin en souffrait, mais ne se rendait pas compte des ce qui l’offusquait, aussi longtemps que des salons amis l’attendirent et que la lutte des opinions littéraires et artistiques le préoccupa vivement. L’Art pouvait lui faire oublier la Nature ; le Beau dans les créations de l’homme pouvait lui remplacer pour quelque temps le Beau des créations de Dieu ; aussi, aimait-il Paris. Mais, il était heureux chaque fois qu’il pouvait le laisser loin derrière lui !
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Tout cela réuni faisait que Chopin, si intimement lié avec quelques unes des personnalités les plus marquantes du mouvement artistique et littéraire d’alors que leurs existences semblaient n’en faire qu’une, resta néanmoins un étranger au milieu d’elles. Son individualité ne se fondit avec aucune autre. Personne d’entre les parisiens n’était à même de comprendre cette réunion, accomplie dans les plus hautes régions de l’être, entre les aspirations du génie et la pureté des désirs. Encore moins-pouvait on sentir le charme de cette noblesse infuse, de cette élégance innée, de cette chasteté virile, d’autant plus savoureuse qu’elle était plus inconsciente de ses dédains pour le charnel vulgaire là, où tous croyaient que l’imagination ne pouvait être coulée dans les moules d’un chef-d’œuvre, que chauffée à blanc dans les hauts fourneaux d’une sensualité âcre et pleine d’infâmes scories !
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Comme il ne confondait son temps, sa pensée, ses démarches,

de la vie. En tout cas, quelqu’emploi qu’elles en fassent, la langue polonaise est dans la bouche des femmes bien plus douce et plus caressante que dans celle des hommes. — Quand eux ils se piquent de la parler avec élégance, ils lui impriment une sonorité mâle qui semble pouvoir s’adapter très-énergiquement aux mouvemens de l’éloquence, autrefois si cultivée en Pologne. La poésie puise dans ces matériaux si nombreux et variés, une diversité de rhythmes et de prosodies, une abondance de rimes et de consonances, qui lui rendent possible de suivre, musicalement en quelque sorte , le coloris des sentimens et des scènes qu’elle dépeint, non seulement en courtes onomatopées, mais durant de longues tirades. — On a comparé avec raison l’analogie du polonais et du russe, à celle qui existe entre le latin et l’italien. En effet, la langue russe est plus mélismatique, plus allanguie, plus soupirée. Son cadencement est particulièrement approprié au chant , si bien que ses belles poésies, celles de Zukowski et dePouchkin, paraissent renfermer une mélodie toute dessinée par le mètre des vers. Il semble qu’on n’ait qu’à dégager un arioso ou un doux cantabilede certaines stances, telles que le Chiite noir, le Talisman, et bien d’autres. — L’ancien slavon, qui est la langue de l’Église d’Orient, a un tout autre caractère. Une grande majesté y prédomine ; plus gutturale que les autres idiomes qui en découlent, elle est sévère et monotone avec grandeur, comme les peintures byzantines conservées dans le culte auquel elle est incorporée. Elle a bien la physionomie d’une langue sacrée qui n’a servi qu’à un seul sentiment, qui n’a point été modulée, façonnée, énervée, par de profanes passions, ni aplatie et réduite à de mesquines proportions par de vulgaires besoins. avec ceux, de personne, la société des femmes lui était souvent plus commode en ce qu’elle obligeait à moins de rapports subséquens. Ayant toujours conservé une exquise pureté intérieure que les orages de la vie ont peu troublé, jamais souillé, car ils n’ébranlèrent jamais en lui le goût du bien, l’inclination vers l’honnête, le respect de la vertu, la foi en la sainteté, Chopin ne perdit jamais cette naiveté juvénile qui permet de se trouver agréablement dans un cercle dont la vertu, l’honnêteté, la respectabilité, font les principaux frais et le plus grand charme. Il aimait les causeries sans portée des gens qu’il estimait ; il se complaisait aux plaisirs enfantins des jeunes-personnes. Il passait volontiers des soirées entières à jouer au Colin Maillard avec de jeunes-filles, à leur conter des historiettes amusantes ou cocasses, à les faire rire de ces rires fous de la jeunesse qui font encore plus plaisir à entendre que le chant de la fauvette.
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faire succéder à des espèces de récitatifs et de thrénodies improvisées, lorsque les sujets qui les occupent sont sérieux et mélancoliques, un petit parler gras et zézayant comme celui desenfans. Est ce pour garder et manifester les privilèges de leur suzeraineté féminine, au moment même où elles ont condescendu à être graves comme des sénateurs, de bon conseil comme le ministre d’un règne précédent et sage, profondes comme un vieux théologien, subtiles comme un metaphysicien allemand ? Mais, pour peu que la polonaise soit en veine de gaieté, en train de laisser luire les feux de ses charmes, de laisser s’exhaler les parfums de son esprit, comme la fleur qui penche son calice sous le chaud rayon d’un soleil de printemps pour répandre dans les airs ses senteurs, on dirait son âme que tout mortel voudrait aspirer et imboire comme une bouffée de félictié arrivée des régions du paradis… elle ne semble plus se donner la peine d’articuler ses mots, comme les humbles habitans de cette vallée de larmes. Elle se met à rossignoler ; les phrases deviennent des roulades qui montent aux plus haut de la gamme d’un soprano enchanteur, ou bien les périodes se balancent en trilles qu’on dirait le tremblement d’une goutte de rosée ; triomphes cliurmans, hésitations plus charmantes encore, entre-coupées de petits rires perlés, de petits cris interjectifs ! Puis viennent de petits points d’orgues dans les notes sublimes du régistre de la voix, lesquels descendent rapidement par on ne sait quelle succession chromatique de demiIons et quarts de ton , pour s’arrêter sur une note grave et poursuivre des modulations infinies, brusques, originales, qui dépaysent l’oreille inaccoutumée à ce gentil ramage, qu’une légère teinte d’ironie revêt par momens d’un faux-air de moquerie narquoise particulier au chant de certains oiseaux. Comme les vénitiennes, les polonaises aiment à zimiluler et, des diastémes piquans, des azophies imprévues, des ■nuances charmantes, se trouvent tout naturellement mêlés à cette caquelerie mignonne qui fait tomber les paroles de leurs lèvres, tantôt comme une poignée de perles qui s’éparpillent et résonnent sur une vasque d’argent, tantôt comme des étincelles qu’elles regardent curieusement briller et s’éteindre, à moins que l’une d’elles n’aille s’ensevelir dans un cœur qu’elle peut dévorer et dessécher s’il ne possède point le secret de la réaction ; qu’elle peut allumer comme une haute flamme d’héroisme et de gloire, comme un phare bienfaisant dans les tempêtes aimant beaucoup les fleurs, il en ornait toujours le sien. Sans approcher de l’éclatante richesse dont à cette époque quelques-unes des célébrités de Paris décoraient leurs demeures, il gardait sur ce point, ainsi que sur le chapitre des élégances de cannes, d’épingles, de boutons, des bijoux fort à la mode alors, l’instinctive ligne du comme il faut, entre le trop et le trop peu.
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L’élégance matérielle était aussi naturelle à Chopin que celle de l’esprit. Elle se trahissait autant dans les

mot prend un sens totalement différent, selon le diapason sur lequel on le prononce. Le L slave, celte lettre presque impossible à prononcer à ceux qui ne l’ont pas appris dès leur enfance, n’a rien de sec. Elle donne à l’ouïe l’impression que produit sur nos doigts un épais velours île laine, rude et souple à la fois. La réunion des consonnes clapotantes étant rare en polonais, les assonances très-aisément multipliées, cette comparaison pourrait s’appliquer a l’ensemble de l’effet qu’il produit sur l’oreille des étrangers. On y rencontre beaucoup de mots imitant le bruit propre aux objets qu’ils désignent. Les répétitions réitérées du eh (A aspiré), du sz (ch en français), du rx, du ez, si effrayans à un œil profane et dont le timbre n’a pour la plupart rien de barbare, (ils se prononcent-à-peu près comme geai et Iche, , facilitent ces mimologies. Le mot dzwiek, son, (lisez dzwienque , en offre un exemple assez caractéristique ; il paraîtrait difficile de mieux reproduire la sensation que la r.ésonance d’un diapason fait éprouver a l’oreille. — Entre les consonnes accumulées dans des groupes qui produisent des tons très-divers, tantôt métalliques, tantôt bourdonnans, sifflans ou grondans, il s’entremêle des diphthongues nombreuses et des voyelles qui deviennent souvent quelque peu nasales, l’a et l’e étant prononcés comme on et in lorsqu’ils sont accompagnés d’une cédille : q, f. A côté du c (tse) qu’on dit avec une grande mollesse, quelquefois â tsie., le s accentué, i, est presque gazouillé. Le z a trois sons ; on croirait l’accord d’un Ion. Le i ijait), le z \zed’ et le : jzied’. L’y forme une voyelle d’un son étouffé, eu, que nous ne saurions pas plus reproduire en français que celui du i ; aussi bien que lui, elle donne un chatoyant ineffable à la langue. — Ces élémens fins et déliés permettent aux femmes de prendre dans leurs discours un accent chantant ou traînant, qu’elles transportent d’ordinaire aux autres langues, où le charme, devenant défaut, déroute au lieu de plaire. Que de choses, que de personnes qui, à peine transportées dans un milieu dont l’air ambiant, le courant de pensées diverses, ne comportent pas un genre de grâce, d’expression, d’attrait, ce qui en elles était fascinant et irrésistible devient choquant et agaçant, uniquement parce que ces mêmes séductions sont placées sous la rayon d’un autre éclairage ; parce que les ombres y perdant leurs profondeurs, les reflets lumineux n’ont plus leur éclat et leurs signifiant. En parlant leur langue, les polonaises ont encore l’habitude de objets qui lui appartenaient, que dans ses manières distinguées. Il avait la coquetterie des appartenons ;
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