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Citations de Franz Liszt (238)


Sa studieuse patience à élaborer et à parachever ses ouvrages le mettait à l’abri des critiques qui enveniment les dissentimens, en s’emparant de victoires faciles et insignifiantes dues aux omissions et à la négligence de la mégarde. Exercé de bonne heure aux exigences de la règle, ayant même produit de belles œuvres dans lesquelles il s’y était astreint, il ne la secouait qu’avec l’à-propos d’une justesse savamment meditée. Il avançait toujours en vertu de son principe, sans se laisser emporter à l’exagération ni séduire aux transactions, délaissant volontiers les formules théoriques pour ne poursuivre que leurs résultats. Moins préoccupé des disputes d’école et de leurs termes que de se donner la meilleure des raisons, celle d’une œuvre accomplie, il eut ainsi le bonheur d’éviter les inimitiés personnelles et les accommodemens fâcheux. Plus tard, le triomphe de ses idées ayant diminué l’intérêt de son rôle, il ne chercha pas d’autre occasion pour se placer de rechef à la tête d’un groupe quelconque. En cette unique occurrence où il prit rang dans un conflit de parti, il fit preuve de convictions absolues, tenaces et inflexibles, comme toutes celles qui, en étant vives, se font rarement jour. Mais, sitôt qu’il vit son opinion avoir assez d’adhérens pour régner sur le présent et dominer l’avenir, il se retira de la mêlée, laissant les combattans s’assaillir dans des escarmouches moins utiles à la cause qu’agréables aux gens qui aiment à se battre, surtout à battre, au risque d’être battus. Vrai grand-seigneur et vrai chef de parti, il se garda de survaincre, de poursuivre une arrière-garde en déroute, se conduisant en prince victorieux auquel il suffit de savoir que sa cause est hors de danger pour ne plus se mêler aux combattans.
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Chopin donna à nos essais, à nos luttes d’alors, si remplies encore d’hésitations et d’incertitudes, d’erreurs et d’exagerations, qui rencontraient plus de sages hochant la téte que de contradicteurs glorieux, l’appui d’une rare fermeté de conviction, d’une conduite calme et inébranlable, d’une stabilité de caractère également à l’épreuve des lassitudes et des leurres, en même temps que l’auxiliaire efficace qu’apporte à une cause le mérite des ouvrages qu’elle peut revendiquer. Chopin accompagna ses hardiesses de tant de charme, de mesure et de savoir, qu’il fut justifié d’avoir eu confiance en son seul génie par la prompte admiration qu’il inspira. Les solides études qu’il avait faites, les habitudes réfléchies de sa jeunesse, le culte dans lequel il fut élevé pour les beautés classiques, le préservèrent de perdre ses forces en tâtonnemens malheureux et en demi-réussites, comme il est arrivé à plus d’un partisan des idées nouvelles.
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Son désintéressement faisait sa force ; il lui créait une sorte de forteresse. Car, ne voulant que l’art pour l’art, comme qui dirait le bien pour le bien, il était invulnérable ; par là, imperturbable. Jamais il ne désira d’être prôné, ni par les uns ni par les autres, à l’aide de ces ménagemens imperceptibles qui font perdre les batailles ; à l’aide de ces concessions que se font les diverses écoles dans la personne de leurs chefs, lesquelles ont introduit au milieu des rivalités, des empiétemens, des déchéances et des envahissemens des styles divers dans les différentes branches de l’art, des négociations, des traités et des pactes, semblables à ceux qui forment le but et les moyens de la diplomatie, aussi bien que les artifices et l’abandon de certains scrupules qui en sont inséparables. En refusant d’étayer ses productions d’aucun de ces secours extrinsèques qui forcent le public à leur faire bon accueil, il disait assez qu’il se fiait à leurs beautés pour être sûr qu’elles se feraient apprécier d’elles-mêmes. Il ne tenait pas à hâter et à faciliter leur acceptation immédiate.
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Il y trouve plutôt occasion de se convaincre que là, personne n’est admis à l’auguste fréquentation des Muses. Les femmes qui se pâment parceque leurs nerfs sont excités, sans rien saisir de l’idéal que l’artiste chante, de l’idée qu’il a voulu exprimer sous les formes du beau ; les hommes qui se morfondent dans leurs cravates blanches parce que les femmes ne s’occupent pas d’eux, ne sont certes, ni les unes, ni les autres, préparés et disposés à voir en lui autre chose qu’un acrobate de bonne compagnie. Que peuvent-ils savoir du beau langage des filles de Mnémosyne, des révélations d’Apollon Musagète, ces hommes et ces femmes habitués dès leur enfance à ne goûter que des plaisirs intellectuels qui frisent la platitude, cachée sous les formes mignardes d’une distinction niaise ? En fait d’arts plastiques, tous tant qu’ils sont s’affolent du bric-à-brac devenu le cauchemar des salons où l’on / se pique d’avoir le goût, ne possédant pas le sentiment des arts ; on s’y éprend de l’insipide quidam qui se laisse surnommer « le dieu de la porcelaine et de la verrerie » ; on s’y arrache le fade dessinateur des vues de château, de vignettes maniérées et de madones guindées ! En fait de musique, on raffole des romances faciles à roucouler et des « pensées fugitives » faciles à épeler !
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Dans son jeu, le grand artiste rendait ravissament cette sorte de trépidation émue, timide ou haletante, qui vient au cœur quand on se croit dans le voisinage des êtres surnaturels, en présence de ceux qu’on ne sait ni comment deviner, ni comment saisir, ni comment embrasser, ni comment enchanter. Il faisait toujours onduler la mélodie, comme un esquif porté sur le sein de la vague puissante ; ou bien, il la faisait mouvoir indécise, comme une apparition aérienne, surgie à l’improviste en ce monde tangible et palpable. Dans ses écrits, il indiqua d’abord cette manière, qui donnait un cachet si particulier à sa virtuosité, par le mot de Tempo rubato : temps dérobé, entrecoupé, mesure souple, abrupte et languissante à la fois, vacillante comme la flamme sous le souffle qui l’agite, comme les épis d’un champ ondulés par les molles pressions d’un air chaud, comme le sommet des arbres inclinés de çi et de là par les versatilités d’une brise piquante.
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Ses Polonaises, qui sont moins recherchées qu'elles ne le méritent, h cause des difficultés que présente leur parfaite exécution, appartiennent à ses plus belles inspirations ; elles ne rappellent nullement les Polonaises mignardes et fardées à la Pompadour, telles que les ont propagées les orchestres dans les bals, les virtuoses dans les concerts, et le répertoire rebattu de la musique maniérée et affadie des salons.
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Marie d’Agoult : « L’amour et le pardon de l’Homme attirent comme un divin aimant l’amour et le pardon de Dieu. »
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Si, lorsque les Bohémiens entrèrent en Europe, de longs siècles les avaient déjà effectivement persuadés de l’infériorité de leur espèce, il eût été encore plus étrange que leur esprit fût resté capable de comprendre ce qui différencie le christianisme d’avec les autres- religions. Toute religion étant devenue à leurs yeux une chose qui n’était point à leur usage, ils les regardèrent toutes comme également arbitraires, soit qu’elles les excluent comme impurs de toute participation à leurs cérémonies, soit qu’elles exigent d’eux qu'ils en adoptent les formes et les simulacres. A force d’avoir vécu au ban de l’humanité, il leur parut démontré qu’ils ne lui appartenaient pas, et qu’il n’y avait ni un Dieu à eux, ni un Dieu pour eux dans le ciel des Divinités.
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Sous le beau ciel de la Grèce, les rhapsodes en voyageant rassemblaient autour d’eux les habitants des villes et des bourgades, pour leur faire entendre des histoires de peuples vaincus, de royaumes renversés et d’aventures merveilleuses. Quand leurs chants furent rassemblés, ils formèrent un monument d’une inimitable perfection. Le génie avait dicté celte narration de tout ce que peuvent inspirer à l’homme des passions qui font sa grandeur, et les âges en se succédant n’ont su que consacrer
l’antique enthousiasme pour ce premier essor de l’invention, sans plus jamais atteindre au sublime homérique qui fait de l’Iliade l’immortel panthéon des énergies et des vertus humaines.
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Cependant, mettant à part la concurrence des artistes qui n’en sont pas, des virtuoses qui dansent sur la corde de leur violon, de leur harpe ou de leur piano, il est certain que Chopin se sentait mal-à-l’aise devant un « grand public », ce public d’inconnus, dont on ne sait jamais dix minutes à l’avance s’il faut le gagner ou l’assommer : l’entrainer par l’irrésistible aimant de l’art vers les hauteurs dont l’air raréfié dilate les poumons sains et purs, ou bien, stupéfier par ses révélations gigantesques et exultantes, des auditeurs venus pour chicaner sur des vétilles. Il est hors de doute que les concerts fatiguaient moins la constitution physique de Chopin, qu’ils ne provoquaient son irritabilité de poète. Sa volontaire abnégation des bruyans succès cachait, à qui savait le discerner, un froissement intérieur. Ayant un sentiment très-distinct de sa supériorité native, (comme tous ceux qui ont su la cultiver au point de lui faire rendre cent pour cent), le pianiste polonais n’en recevait pas du dehors assez d’échos intelligens, pour gagner la tranquille certitude d’être réellement apprécié à toute sa valeur. Il avait vu d’assez près l’acclamation populaire pour connaître cette bête, parfois intuitive, parfois ingénuement et noblement passionnée, plus souvent fantasque, capricieuse, rétive, déraisonnable, ayant encore en elle du sauvage : sottement engouée, sottement encolérée, car elle s’engoue des verroteries qu’on lui jette et laisse passer inaperçus les plus nobles joyaux ; elle se fâche pour des bagatelles et se laisse enjôler par les plus fades flagorneries. Mais, chose étrange, Chopin qui la savait par cœur, en avait horreur et s’en faisait besoin. Il oubliait en elle le sauvage, pour regretter ses naïves émotions d’enfant, qui pleure, qui souffre, qui s’exalte de toute son âme, au récit de toutes les fictions, de toutes les souffrances et de toutes les extases !

Plus « ce délicat », cet épicurien du spiritualisme, perdait l’habitude de dompter et de braver le « grand public », et plus il lui en imposait. Pour rien au monde il n’eut voulu qu’une mauvaise étoile lui donne le dessous en sa présence, dans un de ces combats singuliers où l’artiste, comme un valeureux combattant dans un tournoi, jette son défi et son gant à quiconque lui conteste la beauté et la primauté de sa dame ; c’est-à-dire, de son art ! Il se disait probablement, certes avec raison, que lui, vainqueur au dehors, n’aurait pu être ni plus aimé, ni plus goûté, qu’il ne Tétait déjà par le groupe spécial qui composait son « petit public ». Il se demandait peut-être, non à tort, hélas ! tant sont incertaines les humaines opinions, tant sont ondoyantes les humaines affections, si lui, vaincu au dehors, ne serait pas moins aimé, moins apprécié, par ses plus fervens admirateurs ? La Fontaine l’a bien dit : « les délicats sont malheureux ! »

Ayant ainsi conscience des exigences qu’entraînait la nature de son talent, il ne jouait que rarement pour tout le monde. Hormis quelques concerts de début, en 183I , dans lesquels il se fit entendre à Vienne et à Munich, il n’en donna plus que peu à Paris et à Londres et ne put guère voyager à cause de sa santé. Elle lui fit subir des crises quelquefois fort dangereuses, restant toujours débile, exigeant toujours de grandes précautions ; néanmoins, elle lui laissait de belles saisons de répit, de belles années d’un équilibre qui lui donnait une force relative. Elle ne lui eût point permis de se faire connaître dans toutes les cours et toutes les capitales d’Europe, de Lisbonne à Saint-Pétersbourg, en s’arrêtant aux villes d’université et aux cités manufacturières, comme un de ses amis dont le nom monosyllabique aperçu un jour sur les affiches des murs de Teschen par l’Impératrice de Russie, la fit sourire en s’écriant : « Comment ! Une si grande réputation dans un si petit endroit ! » Néanmoins, la santé de Chopin ne l’eut point empêché de se faire plus souvent entendre là, où il se trouvait ; sa constitution délicate était donc moins une raison, qu’un prétexte d’abstention, pour éviter d’être mis et remis en question.
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Sur ce terrain d’ailleurs, l’on est à la merci des caprices d’une Mode de boutiques, de réclames, d’annonces, de camaraderies, Mode équivoque et de naissance douteuse. Or, si la Mode bien née, la Mode personne de qualité, est toujours une sotte déesse, que doit-ce être d’une Mode sans parens avouables ! Les natures d’artiste finement trempées, éprouveraient sûrement une répugnance bien naturelle à se mesurer corps à corps avec un de ces Hercule de foire, déguisé en prince de l’art, qui guettent le virtuose de race sur son chemin, comme un manant prêt à assaillir de ses coups de bâton le chevalier armé de la veille, en quête de nobles aventures. Mais elles souffriraient moins peut-être d’avoir à lutter contre un si piètre adversaire, que de se voir réduites à recevoir des coups d’épingle qui simulent des coups de poignard, d’une Mode vénale, d’une Mode commerçante, d’une Mode industrielle, insolente courtisane qui prétend en remontrer à l’Olympe des grands salons du beau-monde ! Elle voudrait même, l’insensée, s’abreuver à la coupe de Hébé qui, rougissant à son approche, implore pour la foudroyer, tantôt l’aide de Vénus, tantôt celle de Minerve ! Vainement ! Ni la beauté suprême ne parvient à éclipser son fard de marchande d’orviétan, ni la sagesse armée de toutes pièces ne peut lui arracher sa marotte, dont elle se fait un sceptre de paille goudronnée ! En cette détresse, il ne reste à la déesse de l’immortalité d’autre ressource que de se détourner indignée de cette intruse de bas-étage. C’est-ce qui ne manque pas d’arriver ! L’on voit alors les cosmétiques s’écailler sur ses joues bouffies et vulgaires, les rides se montrer, et la vieille édentée chassée, avant d’avoir eu le temps d’être délaisée.

Chopin avait presque quotidiennement le spectacle, peu dramatique, parfois plaisant jusqu’à la bouffonnerie, des mésaventures de quelque protégé de cette Mode interlope, quoique de son temps l’effronterie des « entrepreneurs de réputations artistiques », des cornacs de bêtes plus ou moins curieuses, plus ou moins artificielles, « produit unique de la carpe et du lapin », était loin d’avoir atteint les impudentes audaces et les proportions millionaires qu’elle a prise depuis. Toutefois, quoique dans l’enfance de l’art, la spéculation pouvait déjà faire assez d’excursions sur le terrain réservé aux Muses pour que celui qui les hantait exclusivement, qui après sa patrie perdue n’aimait qu’elles, qui ne se consolait de sa patrie perdue qu’avec elles, fût comme épouvanté devant cette grande diablesse ! Sous l’impression terrifiée du dégoût qu’elle lui inspirait, le musicien-poëte disait un jour à un artiste de ses amis, qu’on a beaucoup entendu depuis : « Je ne suis point propre à donner « des concerts ; la foule m’intimide, je me sens asphyxié « par ses haleines précipitées, paralysé par ses regards « curieux, muet devant ses visages étrangers ; mais toi, « tu y es destiné, car quand tu ne gagnes pas ton public, « tu as de quoi l’assommer ».
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Chopin savait , il le savait même trop, qu’il n’agissait pas sur la multitude et ne pouvait frapper les masses, car pareils à une mer de plomb, leurs flots, malléables à tous les feux, n’en sont pas moins lourds à remuer. Ils nécessitent le bras puissant de l’ouvrier athlète pour être versés dans un moule, où le métal en fusion devient tout d’un coup une idée et un sentiment sous la forme qu’on lui impose. Chopin avait conscience de n’être parfaitement goûté que dans ces réunions, malheureusement trop peu nombreuses, dont tous les esprits étaient préparés à le suivre partout où il lui plaisait de les conduire ; à se transporter avec lui dans ces sphères où les anciens ne faisaient entrer que par la porte d’ivoire des songes heureux, entourée de pilastres diamantés aux mille feux irisés. Il prenait plaisir à surmonter cette porte, dont les génies gardent les secrètes serrures, d’une coupole dans laquelle tous les rayons du prisme se jouent, sur une de ces transparences fauves comme celle des opales du Mexique, dont les foyers kaléïdoscopiques sont cachés dans une brume olivâtre qui les efface et les dévoile tour à tour. Par cette porte merveilleuse, il faisait entrer dans un monde où tout est miracle charmant, surprise folle, songe réalisé ! Mais, il fallait être des initiés pour savoir comment on en franchit le seuil !

Chopin se réfugiait et se complaisait volontiers en ces régions imaginées, où il n’emmenait que de rares amis. Il professait de les estimer, et les prisait effectivement, plus que celles des rudes champs de bataille de l’art musical, où l’on tombe quelquefois aux mains d’un vainqueur improvisé, conquérant stupide et fanfaron, qui n’a qu’un jour, mais auquel un jour suffit pour faucher un parterre de lys et d’asphodèles, pour intercepter l’entrée du bois sacré d’Apollon ! Pendant ce jour, le « soldat heureux » se sent bien l’égal des rois ; mais seulement des rois de la terre, ce qui est trop peu vraiment pour l’imagination qui hante les divinités des airs et les esprits peuplant les cîmes.
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Dans son jeu, le grand artiste rendait ravissament cette sorte de trépidation émue, timide ou haletante, qui vient au cœur quand on se croit dans le voisinage des êtres surnaturels, en présence de ceux qu’on ne sait ni comment deviner, ni comment saisir, ni comment embrasser, ni comment enchanter. Il faisait toujours onduler la mélodie, comme un esquif porté sur le sein de la vague puissante ; ou bien, il la faisait mouvoir indécise, comme une apparition aérienne, surgie à l’improviste en ce monde tangible et palpable. Dans ses écrits, il indiqua d’abord cette manière, qui donnait un cachet si particulier à sa virtuosité, par le mot de Tempo rubato : temps dérobé, entrecoupé, mesure souple, abrupte et languissante à la fois, vacillante comme la flamme sous le souffle qui l’agite, comme les épis d’un champ ondulés par les molles pressions d’un air chaud, comme le sommet des arbres inclinés de çi et de là par les versatilités d’une brise piquante.

Mais, le mot qui n’apprenait rien à qui savait, ne disant rien à qui ne savait pas, ne comprenait pas, ne sentait pas, Chopin cessa plus tard d’ajouter cette explication à sa musique, persuadé que si on en avait l’intelligence, il était impossible de ne pas deviner cette règle d’irrégularité. Aussi, toutes ses compositions doivent-elles être jouées avec cette sorte de balancement accentué et prosodié, cette morbidezza, dont il était difficile de saisir le secret quand on ne l’avait pas souvent entendu lui-même. Il semblait désireux d’enseigner cette manière à ses nombreux élèves, surtout à ses compatriotes auxquels il voulait, plus qu’à d’autres, communiquer le souffle de son inspiration. Ceux-ci, ou plutôt celles-là, la saisissaient avec cette aptitude qu’elles ont pour toutes les choses de sentiment et de poésie. Une compréhension innée de sa pensée, leur permettait de suivre toutes les fluctuations de son vague azuré.
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Chopin se livrait aussi à des fantaisies burlesques ; il évoquait volontiers parfois quelque scène à la Jacques Callot, pour faire rire, grimacer, gambader des figures fontastiques, spirituelles et narquoises, pleines de saillies musicales, pétillantes d’esprit et de humour anglais, comme un feu de fagots verds, L’Etude V nous a conservé une de ces improvisations piquantes, où les touches noires du clavier sont exclusivement attaquées, comme l’enjouement de Chopin n’attaquait que les touches supérieures de l’esprit, amoureux d’atticisme qu’il était, reculant devant la jovialité vulgaire, le rire grossier, la gaieté commune, comme devant ces animaux plus abjects encore que venimeux, dont la vue cause les plus nauséabonds éloignemens à certaines natures sensitives et douillettes.

Rozjaśnia blaskiem jakby życia zorza,
Którą witamy, czasem ze Izą w oku.
Dalej, uderza nas walki przeczucie ;
Ton, coraz glośniej rozlega się w góre.
Pelen, ponury, objawia w swój nócie
Swiatłoś ukrylą, za posepną, chmurę.
Stróny tak silne, jakby kute w stali,
Zalośnym jękiem, w duszy naszej dzwonią :
Mówią o bolu, co nam scrce pali,
Lecz co zostawia duszę nieskażoną !…
Pozniej, podobny do woni wspomnienia
Znów zakołysać czasem nas powraca.
Z urokicm igra ; kołysząc cierpienia,
Swoim promykiem jeszcze nas ozłaca.
Nareszcie, jako cicha na dnie woda,
Spokój glęboki znót toni się wznosi,
Jak serce, które o nie już nie prosi.
Lecz kwiatów życia, szkoda… mówi… szkoda!..
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Quand ce genre d’inspiration saississait Chopin, son jeu prenait un caractère particulier, quelque fut du reste le genre de musique qu’il exécutait ; musique de danse ou musique rêveuse, mazoures ou nocturnes, préludes ou scherzos, valses ou tarentelles, études ou ballades. Il leur imprimait à toutes on ne sait quelle couleur sans nom, quelle apparence indéterminée, quelles pulsations tenant de la vibration, qui n’avaient presque plus rien de matériel et, comme les impondérables, semblaient agir sur l’être sans passer par les sens. Tantôt on croyait entendre les joyeux trépignemens de quelque péri amoureusement taquine ; tantôt, c’étaient des modulations veloutées et chatoyantes comme la robe d’une salamandre ; tantôt, ou saisissait des accens profondément découragés, comme si des âmes en peine ne trouvaint pas les charitables prières nécessaires à leur délivrance fmale. D’autres fois, il s’exhalait de ses doigts une désespérance si morne, si inconsolable, qu’on croyait voir revivre le Jacopo Foscari de Byron, contempler l’abattement suprême de celui qui, mourant d’amour pour sa patrie, préférait la mort à l’exil, ne pouvant supporter de quitter Venezia la bella.n)

1) Le Nocturne en mi mineur (œuvre 72), nous rend quelque chose des impressions subtiles, raffinées, alambiquées, que Chopin reproduisait avec une sorte de prédilection passionnée. Nous ne nous refusons pas le plaisir de faire connaître à celles qui les comprendront, les vers que ce morceau inspira à la belle C"e Cielecka, née Ct8e Bninska :

Kotysze z wolna, jakby Fais, morza,
Nôty dzwieczncmi, pelnemi uroku.
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Après avoir parlé du compositeur et de ses œuvres, où tant de sentimens immortels résonnent, où son génie, aux prises avec la douleur, lutta, parfois vainqueur, parfois vaincu, contre cet élément terrible de la réalité qu’une des missions de l’art est de réconcilier avec le ciel ; de ses œuvres où se sont épanchés, comme des pleurs dans un lacrymatoire, tous les souvenirs de sa jeunesse, toutes les fascinations de son cœur, tous les transports de ses aspirations et de ses emportemens inexprimés ; de ses œuvres où, dépassant les bornes de nos sensations trop obtuses pour sa guise, de nos perceptions trop ternes à son gré, il fait incursion dans le monde des Dryades, des Oréades, des Nymphes et des Océanides, — il nous resterait à parler de l’exécution de Chopin, si nous en avions le triste courage ; si nous pouvions exhumer des émotions entrelacées à nos plus intimes souvenirs personnels, pour parer leurs linceuls des couleurs dont il faudrait les peindre. Nous ne nous en sentons pas l’inutile force, car quel résultat pourraient obtenir nos efforts ? Réussirait-on à faire connaître à ceux qui ne l’ont pas entendue, le charme d une ineffable poésie ? Charme subtil et pénétrant comme un de ces légers parfums exotiques, celui de la verveine ou de la calla éthiopica, qui ne s’exhalent que dans les appartenons peu fréquentés et se dissipent, comme effarouchés, dans les foules compactes, au milieu desquelles l’air épaissi ne garde plus que les senteurs vivaces des tubéreuses en pleines fleurs ou des résines en pleines flammes.

Chopin avait dans son imagination et son talent quelquechose qui, par la pureté de sa diction, par ses accointances avec la Fée aux miettes et le Lutin d’Argail, par ses rencontres de Séraphine et de Diane, murmurant à son oreille leurs plus confidentielles plaintes, leurs rêves les plus innommés, rappelait le style de Nodier, dont on rencontrait maintes fois les volumes sur les tables de son salon. Dans la plupart de ses Yalses, Ballades, Selierzos, gît embaumée la mémoire de quelque fugitive poésie inspirée par une de ces fugitiv es apparitions. Il l’idéalise quelquefois jusqu’à en rendre les fibres si ténues et si friables qu’elles ne paraissent plus appartenir à notre nature, mais se rapprocher du monde féerique et nous dévoiler les indiscrètes confidences des Ondines, des Titanias, des Ariels, des reines Mab, des Obérons puissans et capricieux, de tous les génies des airs, des eaux et des flammes, sujets, eux aussi, aux plus amers mécomptes et aux plus insupportables ennuis.
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Sans ce type antique, grave et doux, jamais sec et anguleux ; tendrement pieux, jamais bigot et fatigant ; libéral et magnifique, jamais fiévreusement vain, la vraie polonaise moderne n’aurait pas été à même de se produire. Elle enta sur l’idéal solennel de l’aveugle, la grâce et la vivacité françaises, dont sa petite-fille connut toutes les allures alors que l’irrésistible attrait des mœurs de Versailles, après avoir inondé l’Allemagne, arriva jusqu’à la Vistule. Date fatale ! On peut l’affirmer : Voltaire et la Régence sous-minèrent la Pologne et furent les auteurs de sa ruine. En perdant ces mâles vertus, dont Montesquieu dit que seules elles soutiennent les Etats libres, et qui effectivement avaient soutenu la Pologne durant huit siècles !.. les polonais perdirent leur patrie. Les polonaises étant plus fermes en la foi, moins besogneuses d’argent dont elles ne connaissaient pas le prix n’ayant pas eu l’habitude de le manier, moins accessibles à l’immoralité par une horreur innée et instinctive de l’impudeur, elles résistèrent mieux à la contagion mortifère du dix-huitième siècle ! Leur religion, ses vertus, ses enthousiasmes et ses espérances, créèrent en elles le ferment sacré qui fera ressusciter cette patrie si chère !.. Les hommes le sentent ; ils le sentent si bien, qu’ils savent adorer ce qu’il y a d’adorable dans ces âmes dont chacune peut s’écrier : Rien ne m’est plus, plus ne m’est rien, tant que le ciel, assailli de leurs supplications, ne leur aura point rendu l’intégrité de leur type primitif en leur rendant la patrie !
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Elles ne pouvaient disposer par elles-mêmes d’aucune fortune, d’aucune volonté, mais elles ne pouvaient non plus se tromper, être entrainées et devenir blâmables ! C’était là pour elles toutes gaies, tout avantage ; avantage inapréciable, dont elles connaissaient bien tous les échappatoires et les ressources infinies ! N’ayant pas le pouvoir du mal, elles compensaient cette soumission à une vigilance constante, qui dictait les proportions du cadre où elles étaient placées, en prenant un empire presque sans bornes dans la vie privée, où chaque bien était leur attribut. Toute la dignité de la vie de famille, toute la douceur de la vie domestique leur étaient confiées ; elles gouvernaient en souveraines ce noble et important apanage, d’où elles étendaient leur pieuse et pacificatrice influence sur les affaires publiques. Car, elles étaient dès leur première adolescence les compagnes de leur père, qui les initiait à ses poursuites et à ses inquiétudes, aux difficultés et aux gloires de la res publica ; elles étaient les premières confidentes de leurs frères, souvent leurs meilleures amies la vie durant. Elles devenaient pour leur mari et leurs fils des conseillères secrètes, fidèles, perspicaces, déterminantes. L’histoire de la Pologne et le tableau de ses anciennes mœurs présentent sans cesse le type de ces courageuses et intelligentes épouses, dont l’Angleterre nous a offert un splendide exemple en I683, lorsque dans un procès où sa tête était en jeu Lord Russell ne voulut d’autre avocat que sa femme.
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La polonaise d’autrefois, tant qu’elle fut la noble compagne de héros vainqueurs, n’était point ce qu’est la polonaise d’aujourd’hui, ange consolateur de héros vaincus. Le polonais actuel n’est pas plus différend de ce qu’était le polonais antique, que la polonaise moderne n’est différente de la polonaise des anciens temps. Jadis, elle était avant tout et surtout une patricienne honorée ; la matrone romaine devenue chrétienne. Toute polonaise, qu’elle fut riche ou pauvre, à la cour ou à la ville, régnant sur ses palais ou sur ses champs, était grande-dame. Elle l’était par suite de la situation que la société lui préparait, bien plus encore que par la noblesse de son sang et l’orgueil de son écusson. Les lois tenaient, il est vrai, sous une tutelle rigoureuse tout le sexe faible, (qui devient si souvent le sexe fort au milieu des poignantes péripéties de la vie), y compris les « hautes et puissantes châtelaines », que par respect et déférence on apellait biaioglowe, parce que les femmes mariées avaient la tête couverte et les joues encadrées de blanches et vaporeuses dentelles, imitation civilisée, pudique et chrétienne, du voile musulman, injurieux et barbare. Mais, leur sujétion et leur impuissance légale, contre-balancée par les mœurs et les sentimens, loin de les diminuer, les élevaient, en préservant la sérénité de leur âme, qu’elles tenaient en dehors de l’âpre lutte des intérêts, et en ne leur permettant jamais d’être en faute.
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Leur imagination, trop impressionnée par les détails, les grandit démesurément, exagérant la portée des contrastes et les facultés de la métamorphose dans ces Protées aux noirs sourcils et aux dents perlées. Elle en fit ainsi une énigme insoluble, ne sachant point, à force de se perdre entre les petits faits de l’analyse, reconstruire leur large synthèse. Dans une émotion éblouie, la poésie française crut dépeindre la polonaise en lui jetant à la face, comme une poignée de pierreries multicolores, non serties, une poignée d’épithètes sublimes et incohérentes. Elles sont précieuses cependant, car leur éclat multicolore, leur incohérence irraisonnée, témoignent le plus éloquemment de la violente commotion produite sur eux par ces femmes, dont les qualités françaises parlèrent à l’esprit français, mais qu’on ne connaît vraiment que lorsque les héroïsmes de leur cœur, parlent au cœur.
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