Citations de Frédéric Lordon (159)
Il faudrait prendre le temps de montrer en quoi les institutions peuvent être vues comme des dispositifs affectifs collectifs, c’est-à-dire comme des choses sociales munies d’un pouvoir d’affecter des multitudes pour les faire vivre sous leurs rapports […].
Quelle peut être la nature de l’égalité accompagnant une inégalité substantielle, reconnue, des contributions, et qui ne nie pas l’asymétrie de ces situations où la force d’une proposition initiale donne objectivement aux autres contributions un caractère auxiliaire. […] Quelle forme d’égalité réaliser sous le legs de la division du travail ?
[Faire marcher les salariés c’est] leur faire croire que s’activer au service de la capture, c’est œuvrer à leur propre « réalisation », que leur désir est bien là où ils se trouvent, que « le hasard » fait bien les choses puisque l’agréable s’ajoute à l’utile, les « accomplissements » du sujet aux nécessités de sa reproduction matérielle […].
Avant même la conversion du produit en argent, le patron capitaliste capte la même chose que n’importe quel autre patron spécifique (mandarin, croisé, chorégraphe…), l’objet princeps de capture du patron général : de l’effort, c’est-à-dire de la puissance d’agir.
La dépossession opérée par le patronat est donc de l’ordre de la capture de reconnaissance par monopolisation individuelle d’un autorat qui est fondamentalement collectif.
Les enrôlés sont […] voués à des contributions parcellaires, dont la totalisation n’est opérée que par le désir-maître.
Il s’agit donc d’inverser le rapport de la valeur et du désir en posant, à l’exact opposé de nos appréhensions spontanées, que ce n’est pas tant la valeur, préexistante et objectivement établie, qui attire à elle le désir que le désir qui, investissant les objets, les constitue en valeur.
La notion de plus-value est récusée parce qu’elle renvoie à "une théorie substantialiste de la valeur" – dont la substance est ici le temps de travail abstrait.
Le grand mouvement de la production imaginaire sociale se charge d’apporter les justifications de l’arbitraire fait nécessité […].
La plupart des occasions de joie sociale sont différentielles – posséder ce que d’autres n’auront pas – et […] les gestes mêmes de réserver (à soi ou à sa “classe”) et d’écarter (les autres) sont les plus caractéristiques de la domination sociale. Avec cette particularité supplémentaire que pour être parfaitement réussie, l’opération distributive de la domination suppose non seulement de réserver certains objets de désir aux dominants mais non sans les avoir fait reconnaître comme désirables par les dominés ; quoique sous la clause décisive : désirable en général mais pas pour eux en particulier.
L’assujettissement est fondamentalement enfermement dans un domaine restreint de jouissance.
Que reste-t-il de la domination quand l’aliénation est universelle et qu’elle est accompagnée d’affects joyeux ?
Comment alors continuer à parler de domination quand les intéressés sourient aussi uniment à leur fatum salarial ?
Les entreprises de colinéarisation ne sont jamais assurées de leur succès, et leurs effets sont vouées à demeurer très contrastés selon les sujets dont elles se saisissent.
Produire le consentement, c’est produire l’amour par les individus de la situation qui leur est faite.
Ce sont les suggestions ou les commandements à désirer venus d’un autre haï qui donnent au sujet l’idée d’un empiètement sur ce qu’il croit son libre-arbitre, et lui fait entrevoir l’exodétermination.
[L’]ambivalence du désir […] est, sous affects joyeux, […] vouée à la scotomisation qui rejette dans l’oubli le « pas de soi » pour ne garder que le « à soi ».
Il n’y a pas plus de consentement qu’il n’y a de servitude volontaire : il n’y a que des assujettissements heureux.
Nos états d’âme, sauf absurdité patente, ne sauraient en aucune façon être dits « intérieurs », puisque l’ « intérieur » est une indication topologique et que la topologie est réservée à l’attribut Etendue.
Ame et corps [pour Spinoza] ne sont qu’une seule et même chose considérée sous les attributs différents de la Pensée et de l’Etendue.