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En guerre de François Bégaudeau
Les relations ne se nouent ou dénouent pas en parlant. Elles commencent et finissent sans mot, par la seule force des choses. Page 282, Verticales, 2018. |
On ne compte plus les films adaptés de romans, mais ceux qui ont été récompensés de la palme d'or sont plus rares ! François Busnel et ses invités reviennent sur ces chefs-d'oeuvres qui ont été primés au Festival de Cannes pour créer la légende de la littérature et du cinéma. Quels livres ont inspirés quels films ? En 2013, Abdellatif Kechiche recevait la timbale pour "La vie d'Adèle" avec Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, un petit bijou de cinéma tiré d'une bande dessinée de Julie Maroh. L'auteure de "Le bleu est une couleur chaude" s'est-t-elle reconnue dans le film ? "Elle a dit qu'elle reconnaissait son oeuvre, que les deux actrices ressemblaient aux personnages qu'elle avait dessiné et elle disait dans le même temps que le fils était Kechichien" explique Laurent Delmas avant d'ajouter que le réalisateur "a ajouté une dimension sociale qui était peu dans la bande dessinée". Pour le fondateur du magazine Synopsis, une adaptation est toujours un peu trahie. Parmi les quelques adaptations récompensées qui ont réussi à décrocher une palme d'or, "Entre les murs" tiré du roman de François Bégaudeau qui joue lui-même dans le film, a marqué l'histoire du Festival. C'est la première fois qu'un écrivain décroche le titre suprême pour son livre et pour son rôle ! Dernier film de la short list des adaptations saluées, un film multi-récompensé signé par Roman Polanski avec "Le pianiste". Adrian Brody a été révélé dans cette adaptation du livre de Wadysaw Szpilman. Est-ce également la consécration du réalisateur couronné de sept Césars et un Oscar ? "C'est l'histoire de sa vie, c'était très important pour lui sentimentalement mais ce n'est pas une consécration" affirme Christine Masson. Nos invités reviennent sur ces adaptations sacrées au Festival de Cannes. Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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En guerre de François Bégaudeau
Les relations ne se nouent ou dénouent pas en parlant. Elles commencent et finissent sans mot, par la seule force des choses. Page 282, Verticales, 2018. |
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En guerre de François Bégaudeau
L’entrepôt d’Amazon est si vaste, la pause médiane si courte, l’interdiction de se parler si respectée, la proportion d’intérimaires si grande, le turnover des effectifs si incessant que deux employés ne se voient jamais assez souvent ou assez longtemps pour simplement se reconnaître quand ils se croisent. Sur la base de quoi on doute que les animations du genre karaoké sur le parking remplissent l’objectif managérial de créer du lien, ou que les conversations pendant le café-croissant offert le vendredi en bout de nuit puissent ne pas piquer du nez. La viennoiserie industrielle à peine engloutie, chacun se traîne vers le parking en rêvant d’un lit. Page 84, Verticales, 2018. |
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En guerre de François Bégaudeau
L’usine est occupée. Pas une seule machine ne doit tourner. Pas une seule exception à l’union qui c’est prouvé fait la force. Certains empêchés de bosser vitupèrent. On en voit même qui vocifèrent. Ils invoquent leur liberté, et emmerdent ceux qui l’appellent liberté de s’asservir. Ils invoquent le réveillon digne qu’ils entendent offrir à leurs familles malgré tout. On leur retourne que notre dignité arrange bien ceux d’en haut. La dignité est le masque de la docilité. C’est se coucher qui n’est pas digne. Page 17, Verticales, 2018. |
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En guerre de François Bégaudeau
Elle ne racontera pas que les objectifs de productivité de chacun doivent croître en permanence. Ni qu’une panne à l’origine d’un retard doit être justifiée par la note du garagiste sous peine de retrait sur la paie. Ni que les managers nommés associates encouragent les employés à signaler des collaborateurs qui traîneraient les pieds, discuteraient entre eux, auraient un comportement suspect, ou voleraient, si tant est que les travailleurs aussi robotisés par le rythme qu’écœurés par les montagnes de marchandises aient jamais l’idée de voler. Ni qu’en scannant le pickeur se scanne, trace ses déplacements, assure sa propre surveillance. Ni qu’à Pâques les cadres ont organisé une chasse aux œufs, avec à la clé une cocotte en chocolat pour chacun. Ni que, pour une raison peu obscure, les recruteurs prisent particulièrement les anciens militaires. Tout ça restera entre nous. Pages 147-148, Verticales, 2018. |
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En guerre de François Bégaudeau
Sa seule limite, c’est les ménages. Les usagers croient que les bus redeviennent propres rien qu’en passant au dépôt, mais en fait il y a des gens qui les nettoient, parmi lesquels sa mère, qu’elle a toujours vue se tenir les reins. Si elle la dessinait, elle la planterait au pied d’une tour, un revers de main collé au bas du dos. Et pas question d’enfiler une ceinture chauffante comme la plupart de ces collègues. Sans ses maux, sa mère aurait perdu ses repères. Partant du principe que la vie fait mal, une pleine santé l’aurait contrariée. Elle se serait demandé : qu’est-ce-qui ne va pas pour que ça aille si bien ? Louisa ne sera pas sa mère. Les ménages c’est la ligne jaune, là-dessus elle sera inflexible. Pages 51-52, Verticales, 2018. |
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En guerre de François Bégaudeau
Il n’y a pas de travail. Depuis l’usine hors de vue, comment Cristiano s’en serait-il rendu compte ? Depuis cette tour d’ivoire où il négligeait de savourer le privilège d’avoir un emploi ? Désormais il est dans la confidence. On le somme de chercher quelque chose qui n’existe pas. Il est l’enfant de Pâques lancé en quête d’œufs que personne n’a cachés. Il est le tigre de cirque sommé de sauter dans un cerceau introuvable. Le tigre tourne sur lui-même de désarroi, se mord la queue, devient dingue. Égorge le dompteur ? Page 58, Verticales, 2018. |
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En guerre de François Bégaudeau
La première faiblesse dans la main, Luciano Cunhal la ressent en novembre 2015. Et bien sûr il passe outre. Une douleur de plus ou de moins. En 50 ans de plomberie, il ne se souvient pas d’un jour où il n’ait pas eu mal quelque part. Après tout si le travail ne faisait pas de mal il ne serait pas rémunéré. On ne s’arrête pas pour une main légèrement ramollie. On ne s’arrête jamais. On n’est pas un fonctionnaire, sauf le respect. On est artisan. Indépendant et fier de l’être. On y a tenu, on s’est battu. Et une fois à son compte, une interruption d’un jour grève les comptes. Jamais faiblir, jamais faillir. C’est le revers de l’indépendance, la part maudite de l’adrénaline commerçante : si chaque seconde travaillée est un gain, chaque seconde non travaillée est une perte. Pages 160-161, Verticales, 2018. |
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En guerre de François Bégaudeau
Passant des coups de fil aux conseillers municipaux qui traînent dans son répertoire, Romain cherche-t-il à aider les Mauritaniens ou à s’en débarasser ? S’agit-il en général de soulager les pauvres de la pauvreté ou de se soulager d’eux ? Dans trois jours la question profitera de la langueur d’une séance de kiné pour le visiter. Page 229, Verticales, 2018. |
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En guerre de François Bégaudeau
L’adaptation est le nom poli du consentement. Page 184, Verticales, 2018. |
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En guerre de François Bégaudeau
Aussi expert en condition salariale qu’en gastronomie moldave, Alban doit se faire expliquer le principe de la préquantification du temps de travail. Asuman explique, Arka traduit. Avant chaque tournée, le chef d’équipe fixe le nombre d’heures qu’il faudra pour distribuer le paquet du jour. Ce nombre étant systématiquement minoré, le salarié opérerait-il en Porsche, Asuman a calculé, stylo en main et rage au ventre, qu’il accomplit une centaine d’heures impayées par mois. Soit 25% de l’ensemble de son temps effectif de tournée dans l’univers paradisiaque de la Seine-Saint-Denis. Tout en s’excusant de se plaindre, il trouve qu’il y a des limites. Il n’a rien contre la France, il remercie chaque jour les dieux de lui avoir fait une place dans un pays en paix, mais ce statut est, comment dire, il ne trouve pas le mot. Injuste, propose Arka. Oui mais plus. Dégueulasse ? Oui déguelasse très bien. Pages 225-226, Verticales, 2018. |
Salut la morosité