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Citations de Gabrielle Roy (232)


Ce fut la dernière recommandation qu’elle adressa aux
siens. Nick Sluzick n’en pouvait plus de gaspiller son temps.
De toutes les actions humaines, aucune ne lui paraissait aussi
vaine et aussi superflue que le fait de se dire au revoir. Ou bien
l’on ne partait pas, ou bien l’on partait; en ce cas, l’événement
était assez explicite pour se passer de commentaires. Il cracha
sur un côté du traîneau. D’une main, il tira sa grande moustache
jaune, de l’autre il ramassa les rênes. Et l’on fut dans la
neige molle, inégale, en buttes par ici, en creux par là, qui était
la route de Portage-des-Prés.
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Les deux aînés n’étaient pas les seuls enfants Tousignant à
porter des prénoms composés. Comme pour mieux peupler
la solitude où elle vivait, Luzina avait donné à chacun de ses
enfants toute une kyrielle de noms d’après les grands de l’histoire
ou tirés des rares romans sur lesquels elle avait réussi à
mettre la main. Parmi les enfants qui étaient restés à la maison,
il y avait Roberta-Louise-Célestine, Joséphine-Yolande,
André-Amable-Sébastien; le plus petit, un bébé de quinze
mois, répondait au prénom de Juliette-Héloïse.
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Pierre-Emmanuel-Roger avait apporté un fanal qu’il
alluma et glissa sous les couvertures aux pieds de sa mère. Il la
recouvrit d’une peau de bison puis d’une toile cirée destinée à
empêcher la fourrure d’être trempée. On ne voyait presque
plus rien de Luzina, sinon les yeux au-dessus d’un épais cachenez.
C’étaient de clairs yeux bleus, assez grands, tout pleins
d’affection et, en ce moment, humides d’angoisse. De part et
d’autre, on se regardait d’ailleurs avec la même expression de
stupeur douloureuse comme si, tellement unis dans leur isolement,
ces Tousignant eussent été presque incapables d’imaginer
la séparation. Et eux, qui croyaient avoir depuis longtemps
épuisé tout sujet de conversation, en découvrirent
sur-le-champ un tout à fait neuf. Ils se mirent à parler
ensemble.
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Les plus jeunes enfants étaient restés sur la petite île et, à ce
moment, ils firent leurs adieux à leur mère. Ils pleuraient tous.
En ravalant des larmes et sans cris; ils comprenaient qu’il était
trop tard pour la retenir. Les petites mains, sans suspendre un
seul instant leurs mouvements, s’agitaient dans la direction de
Luzina. L’une des fillettes portait le bébé entre ses bras et elle
l’obligeait à faire aller tout le temps sa menotte. Ils se tenaient
tous les cinq serrés à ne former qu’une seule tache minuscule
contre l’horizon le plus vaste et le plus désert du monde. Une
grande partie de la gaieté de Luzina l’abandonna dans ce
moment. Elle chercha son mouchoir qu’elle ne put trouver
tant elle était gênée par ses lourds vêtements. Elle renifla.
— Soyez bons, recommanda-t-elle à ses enfants, enflant sa
voix que le vent emporta en une tout autre direction. Obéissez
bien à votre père.
Ils tâchèrent de se parler d’une rive à l’autre, et ce qu’ils se
disaient était sans correspondance.
Les enfants rappelaient des souhaits caressés depuis toute
une année. À travers leur chagrin ils s’en souvenaient tout de
même fort bien.
— Une ardoise, Maman, criait l’un.
— Un crayon avec une efface, Maman, lançait l’autre.
Luzina n’était pas sûre de ce qu’elle entendait, mais, à tout
hasard, elle promettait:
— Je vous apporterai des cartes postales.
Elle savait ne pas se tromper en promettant des cartes postales.
Ses enfants en raffolaient, surtout de celles qui montraient
de très hauts édifices, des rues encombrées d’autos, et
des gares donc! Luzina comprenait bien ce goût.
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Deux des enfants aidaient le père, l’un poussant, l’autre
tirant, à manoeuvrer la barque sur la glace, et il fallait y aller
avec beaucoup de précaution; on ne pouvait prévoir à quel
endroit la glace commencerait à céder. Sans trop se tremper,
on atteignit le cours libre de la rivière. De gros morceaux de
glace y flottaient; il fallait ramer vite pour les éviter et aussi
avec force contre le courant de la Grande Poule d’Eau qui était
rapide. Puis on tira la barque sur l’autre bord, non sans peine;
on avait pied sur un terrain peu solide.
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Cette année-là, il parut que Luzina Tousignant ne pourrait
entreprendre son voyage habituel. Elle avait les jambes enflées;
elle ne pouvait pas se tenir debout plus d’une heure à la fois, car
c’était une femme assez forte, grasse, animée, toujours en mouvement
dès que ses pauvres jambes allaient un peu mieux.
Hippolyte Tousignant n’aimait pas la laisser partir dans cet
état. De plus, on était au pire temps de l’année. Pourtant, c’est
en riant que Luzina se mit à parler de son congé. En plein été,
au milieu de l’hiver, on pouvait à la rigueur sortir de l’île et
même sans trop de difficultés. Mais au printemps, une femme
seule ne pouvait rencontrer plus de hasards, de périls et de
souffrances que sur cette piste de Portage-des-Prés. Hippolyte
tenta longuement de dissuader Luzina de partir. Douce en
toute autre occasion, elle se montra déterminée. Il fallait qu’elle
aille à Sainte-Rose-du-Lac, voyons! Au reste, elle y consulterait
le médecin pour l’eczéma du bébé. Elle ferait réparer la pièce
ébréchée de l’écrémeuse. Elle s’arrêterait quelque temps à Rorketon
pour les affaires. Elle en profiterait pour voir un peu
ce qui se portait maintenant, «car, disait Luzina, ce n’est pas
parce qu’on vit dans les pays sauvages qu’on ne doit pas se
mettre à la mode de temps en temps». Elle donnait cent raisons
plutôt que de convenir qu’il y avait bien quelque plaisir
pour elle à quitter l’horizon désert de la Petite Poule d’Eau.
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Ce petit village au fond de la province canadienne du Manitoba,
si loin dans la mélancolique région des lacs et des canards
sauvages, ce petit village insignifiant entre ses maigres sapins,
c’est Portage-des-Prés. Il est déjà à trente-deux milles, par un
mauvais trail raboteux, du chemin de fer aboutissant à Rorketon,
le bourg le plus proche. En tout, il comprend une chapelle
que visite trois ou quatre fois par année un vieux missionnaire
polyglotte et exceptionnellement loquace, une baraque en
planches neuves servant d’école aux quelques enfants blancs de
la région et une construction également en planches mais un
peu plus grande, la plus importante du settlement puisqu’elle
abrite à la fois le magasin, le bureau de poste et le téléphone. On
aperçoit, un peu plus loin, dans l’éclaircie des bouleaux, deux
autres maisons qui, avec le magasin-bureau-de-poste, logent
l’entière population de Portage-des-Prés. Mais j’allais oublier:
en face du bâtiment principal, au bord de la piste venant de
Rorketon, brille, munie de sa boule de verre qui attend toujours
l’électricité, une unique pompe à essence. Au-delà, c’est
un désert d’herbe et de vent. L’une des maisons a bien une
porte de devant, à l’étage, mais comme on n’y a jamais ajouté
ni balcon, ni escalier, rien n’exprime mieux la notion de l’inu -
tile que cette porte. Sur la façade du magasin, il y a, peint
en grosses lettres: General Store. Et c’est absolument tout ce
qu’il y a à Portage-des-Prés. Rien ne ressemble davantage au
fin fond du bout du monde. Cependant, c’était plus loin
encore qu’habitait, il y a une quinzaine d’années, la famille
Tousignant.
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J'offris une pomme rouge à Roger qui la refusa net, mais me l'arracha une seconde plus tard, comme j'avais le regard ailleurs. Ces petits Flamands d'habitude n'étaient pas longs à apprivoiser, sans doute parce qu'après la peur bleue qu'on leur en avait inspirée, l'école ne pouvait que leur paraître rassurante. Bientôt, en effet, Roger se laissa prendre par la main et conduire à son pupitre, en n'émettant plus que de petits reniflements.
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La mère, dans un lourd accent flamand, me présenta son fils, Roger Verhaegen, cinq ans et demi, bon petit garçon très doux, très docile, quand il le voulait bien - hein Roger ! - cependant que, d'une secousse, elle tâchait de le faire taire. J'avais déjà quelque expérience des mères, des enfants, et me demandai si celle-ci, forte comme elle pouvait en avoir l'air, n'en était pas moins du genre à se décharger sur les autres de son manque d'autorité, sans doute tous les jours menacé :"Attends, toi d'aller à l'école, pour te faire dompter."
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En repassant, comme il m'arrive souvent, ces temps-ci, par mes années de jeune institutrice, dans une école de garçons, en ville, je revis, toujours aussi chargé d'émotion, le matin de la rentrée. J'avais la classe des tout-petits. C'était leur premier pas dans un monde inconnu. A la peur qu'ils en avaient tous plus ou moins, s'ajoutait, chez quelques-uns de mes petits immigrants, le désarroi, en y arrivant, de s'entendre parler dans une langue qui leur était étrangère.
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Il me revient d’ailleurs maintenant que les instants de
pure confiance que j’ai connus dans ma vie ont tous été
liés à cette sorte d’imprécision heureuse que nous avons
eu le bonheur de connaître, Médéric et moi, du haut de
l’étroit plateau aménagé en belvédère au faîte des collines.
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C’était le gros ennui de ces écoles de campagne, de
contenir tant de divisions, mais aussi leur incroyable
valeur, car, avec des enfants de tout âge, elles
constituaient une sorte de famille, un monde en soi, on
dirait aujourd’hui une commune.
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Ce que nous avons mangé pour souper, je ne m’en
souviens guère. Cela n’avait pas d’importance. Ce qui
devint inoubliable, ce fut le réconfort et la tendre beauté
de cet intérieur, ses deux lampes allumées […] leur éclat
se reflétant dans les vitres envahies par la nuit.
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Je me doutais bien qu’une distance infinie séparait la
vie de là-bas de la nôtre à l’école, mais j’étais encore loin
en dessous de la réalité – entre ces deux vies existait une
frontière pour ainsi dire infranchissable.
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Au soir sombre de leur vie les
atteignait encore cette clarté du matin.
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un sourire vint sur ses lèvres, sa petite main se leva et parut désigner au loin de cette chambre de malade une route? une plaine? ou quelque
pays ouvert qui donnait envie de le connaître.
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Et l’avenir s’en vint se jeter sur moi pour me peindre
mes années à venir toutes pareilles à aujourd’hui. Je me
voyais dans vingt ans, dans trente ans, à la même place
toujours, usée par la tâche, l’image même de mes
compagnes les plus “vieilles” que je trouvais tellement à
plaindre, si bien qu’à travers elles je me trouvais tellement
à plaindre.
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J’étais encore trop jeune moi-même, je suppose,
pour comprendre ce qu’est un coeur allégé. Pourtant, bientôt, j’en eus quelque idée.
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je vis apparaître chez lui aussi […] une expression de rêve heureux
comme s’il avait perdu de vue qu’il était un directeur toujours
occupé à diriger son école.
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il était parti au loin d’une rêverie heureuse où il ne paraissait même
plus se souvenir qu’il était inspecteur des écoles.
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