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Nationalité : France
Biographie :

Geoffroy de Lagasnerie est philosophe, sociologue et chargé de cours à l'IEP.

Source : babelio
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Rencontre animée par Antoine Idier Le sort réservé à Joseph K dans le procès de Kafka a de quoi épouvanter : on y découvre un monde régi par un pouvoir « omniprésent et sans règle, effrayant et illogique, tout-puissant mais insaisissable ». Très loin du nôtre a priori. Et, pourtant, nous y reconnaissons quelque chose. Quel est ce « quelque chose » ? Et n'y a-t-il pas matière à nous méfier de cette identification spontanée ? Ce qui nous semble kafkaïen (injuste, arbitraire et donc opaque et imprévisible) ne retrouve-t-il pas une terrible clarté quand on s'extrait de l'appréhension subjective pour penser avec la sociologie ? Joseph K n'est personne en soi ; mais à lui donner un visage, une classe sociale et le cauchemar kafkaïen devient funestement réel, permettant à Geoffroy de Lagasnerie d'interroger la nature même du système judiciaire dans nos sociétés, y compris la notion de jugement et de culpabilité. « Sans doute est-ce parce que chacun d'entre nous ressent au plus profond de lui-même que notre monde est opaque, que les institutions avec lesquelles nous devons composer pour vivre nos vies sont dotées de fonctions cachées et mystérieuses, (…) que nous cherchons sans cesse, dans la littérature ou la théorie, dans l'art ou la psychanalyse, des interprétations qui pourraient nous dire la vérité de ce qui est – nous révéler ce qui se joue derrière la façade trompeuse des apparences. » Geoffroy de Lagasnerie, Se méfier de Kafka À lire – Geoffroy de Lagasnerie, Se méfier de Kafka, Flammarion, 2024.

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"La relation amicale n'existe réellement qu'à condition que l'ami se pense comme être disponible à l'autre. C'est une relation structurée par la possibilité permanente de l’interruption si l'autre en a besoin."
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[ Le piège familial ]

L’inscription de soi dans la parentalité traditionnelle produit presque systématiquement une orientation de l’investissement psychique vers le foyer et le privé, que l’on ne saurait nommer autrement que comme un repli et une restriction. La sociologie a largement mis en évidence l’existence d’une modification brutale des liens que les individus entretiennent au cours de leur vie à la suite du mariage et de la naissance du premier enfant. « Un homme âgé de 18 à 35 ans sort en compagnie d’un tiers en moyenne 212 fois par an. S’il se marie, il ne sort plus que 58 fois par an avant 35 ans, 36 fois entre 36 et 60 ans. » C’est tout l’univers mental qui bascule avec le basculement de soi dans la vie familiale – une sorte de grand renfermement, d’appauvrissement du tissu relationnel dont on peut se demander s’il n’est pas également nécessairement lié à une modification profonde du rapport à la vie et au dehors et donc aussi à la politique.

On peut étendre l’analyse que Bourdieu consacre à la maison individuelle dans Les Structures sociales de l’économie à la structure familiale et au mode de vie qu’elle emporte. Cet ouvrage est consacré à la question du marché de la maison individuelle, mais Bourdieu le conclut d’une manière quasi prophétique – en prophète de malheur – en soulevant la question des fantasmes sociaux qui se trouvent au principe de l’attachement d’une grande quantité de ménages à posséder voire à faire construire leur propre maison et sur les conséquences psycho-politiques de telles aspirations. Tout ce qu’écrit Bourdieu de l’achat de la maison vaut ici strictement pour l’entrée dans la vie parentale.

L’achat d’une maison est un acte dans lequel se trouve engagé « tout le plan d’une vie et d’un style de vie ». Bourdieu écrit ainsi que la maison individuelle fonctionne en fait comme un « piège » :

Elle tend peu à peu à devenir le lieu d’une fixation de tous les investissements : ceux qui sont impliqués dans le travail – matériel et psychologique – qui est nécessaire pour l’assumer dans sa réalité si souvent éloignée des anticipations ; ceux qu’elle suscite à travers le sentiment de la possession, qui détermine une domestication des aspirations et des projets, désormais bornés à la frontière du seuil, et enfermés dans l’ordre du privé – par opposition aux projets collectifs de la lutte politique par exemple, qui devaient toujours être conquis contre la tentation du repli sur l’univers domestique.

La cellule familiale doit être perçue pour ce qu’elle est : une entité solidaire d’une définition de soi qui s’articule à une idéologie politique : elle engendre une existence centrée sur « l’éducation des enfants » et le « culte de la vie domestique » et incarne le lieu d’une sorte « d’égoïsme collectif ».
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[ utopie et idiorythmie ]

On ne peut comprendre la signification sociologique, et surtout l’importance existentielle de l’invention de nouveaux modes relationnels qu’à condition de l’intégrer à une problématisation renouvelée de la question de l’utopie et de l’aspiration à devenir autre. Lorsque nous venons au monde, des cadres sociaux nous précèdent. Nous sommes produits comme sujets vivants et aimants à l’intérieur de formes instituées : la société est là, elle nous entoure et détermine nos manières d’être, de penser et de sentir – et le sentiment que nos vies vécues sont des vies volées, pré-délimitées, soumises au pouvoir de l’autre, que nous avons finalement très peu de prise sur elles hante la théorie politique, l’éthique et peut-être au fond chacun d’entre nous, intimement. Et si l’amitié comme culture formait l’une des réponses pratiques à la question de la possibilité d’expérimenter d’autres modes de vie ? Si elle fournissait un point d’appui à l’invention de soi, à la possibilité de vivre autrement et donc, en un sens, à sortir de la société ?

Dans Comment vivre ensemble, Barthes s’intéresse à cette question obsédante qui définit le champ d’investigation de l’utopie : celle de la possibilité d’élaborer son existence en dehors des logiques ordinaires de la domination et de la soumission aux autres. Mais plus on lit son séminaire, plus on comprend que les formes de vie utopiques potentielles qu’il évoque sont condamnées à l’aporie et à l’impossibilité.

Barthes aborde la question de l’élaboration de modes de vie différents de ceux qui nous sont imposés à travers la question du temps et du rythme. Il s’interroge sur ce que voudrait dire penser des cadres de vie où l’existence à plusieurs ne s’opère pas au détriment du respect des rythmes individuels. Chacun a ses temporalités, ses désirs, ses territoires, ses moments d’aspiration à la solitude et ses moments d’aspiration à la rencontre, sa manière de vouloir gérer la proximité ou la distance avec les autres. La société lui apparaît dans son ensemble comme une immense machine à uniformiser les rapports au temps, à créer des rythmes de vie dominants et d’autres dominés, dégradés, illégitimes – à soumettre chacun à une organisation de la vie qui ne respecte pas la pluralité des rythmes individuels.

Barthes définit le « fantasme » de l’existence à laquelle il aspire en utilisant le concept d’« idiorythmie ». Sortir de la société, réinventer son existence voudrait dire ceci : inventer un arrangement collectif au sein duquel chacun pourrait vivre avec les autres à son propre rythme et au sein duquel il y aurait une sorte d’harmonie entre les moments de solitude et les moments choisis d’apparition aux autres. Le fantasme de la vie idiorythmique est décrit par Barthes comme l’exact opposé du système-famille :

De ma fenêtre, je vois une mère tenant son gosse par la main et poussant la poussette vide devant elle. Elle allait imperturbablement à son pas, le gosse était tiré, cahoté, contraint à courir tout le temps, comme un animal ou une victime sadienne qu’on fouette. Elle va à son rythme, sans savoir que son rythme est autre. Et pourtant, c’est sa mère ! Le pouvoir – la subtilité du pouvoir – passe par la dysrythmie, l’hétérorythmie1.

Le « Système Famille » apparaît comme l’exact opposé de l’utopie à laquelle Barthes aspire : l’hétérorythmie contre l’idiorythmie. Cette forme de vie est marquée par une logique structurellement mutilante parce qu’elle impose à différents individus de déployer leur existence à l’intérieur d’un lieu partagé de cohabitation, ce qui détermine nécessairement des contraintes collectives puissantes. La famille « bloque toute expérience d’anachorèse, d’idiorythmie », dit Barthes.
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Depuis une vingtaine d'années, la volonté de réguler les pratiques intellectuelles s'est faite de plus en plus forte et de plus en plus hégémonique.

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[ La Femme gelée ]

Dans L’Éducation morale, Durkheim nous incite même à aller jusqu’à sociologiser la capacité d’accès à la notion de personne : « Une personne, ce n’est pas seulement un être qui se contient, c’est aussi un système d’idées, de sentiments, d’habitudes, de tendances, c’est une conscience qui a un contenu ; et l’on est d’autant plus une personne que ce contenu est plus riche en éléments. » Une politique de l’existence doit donc nous amener à réfléchir sur ce qui nous augmente ou nous mutile, nous complexifie ou nous simplifie, nous aide à vivre ou nous empoisonne (l’empoisonnement pouvant aussi bien déboucher sur la paralysie que sur la mort). Dans quelle mesure l’entrée dans la vie familiale ne pourrait-elle être mise en question comme un processus qui engage sociologiquement une diminution et une stéréotypisation de la personnalité et du soi ? Cette forme de vie ne contribue-t‑elle pas à « geler » (Annie Ernaux parle de la femme mariée et vouée aux tâches domestiques comme La Femme gelée) ce que l’on est, à figer les identités adoptées et même les émotions vécues ?
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Nous ne devons jamais, comme dit Adorno, confondre ce que nous sommes et ce que la société a fait de nous. Nous ne sommes pas de toute éternité ce que nous avons été amenés à devenir.
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Ne vivons-nous pas dans un champ politique tel que l’expression de la dissidence est déjà inscrite dans le système et donc en un sens programmée par lui ?
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Combien épousent à 30 ans une vie qu'ils s'étaient promis à 20 ans ne jamais avoir – se marient, ont des enfants, s'installent dans un pavillon individuel...
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Je dirais qu’il y a dans l’affect propre à l’amitié le désir de s’augmenter, d’apprendre, d’envisager d’autres projets – l’aspiration à une sorte d’éducation permanente de soi au sens que donne à ce mot la tradition du perfectionnisme moral, à l’opposé donc de l’approche naïve de l’amitié comme espace désintéressé où chacun aime en l’autre un autre soi-même ou ses pures vertus, qui traverse toute la pensée depuis Cicéron.
Au point que l’on pourrait presque être amené à se demander si, d’un point de vue sociologique, l’amitié ne pourrait pas être comparée pour la vie d’adulte au rôle que remplit l’École pour la vie d’enfant – le lieu possible de la transformation du sujet et du devenir autre ?
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Le projet de Foucault s’inscrit en rupture avec cette position. Le problème qu’il entend poser se veut plus dérangeant. Son intention est plus complexe. Foucault se propose de modifier notre perception spontanée du discours néolibéral. Ainsi, l’une des idées placées au centre de la démonstration menée dans Naissance de la biopolitique, c’est qu’il y a quelque chose de libérateur, d’émancipateur, de critique qui s’élabore et se met aussi en place à travers le néolibéralisme.
(...)
Comment Foucault justifie-t-il cette association entre, d’un côté, le libéralisme et le néolibéralisme et, de l’autre, des mouvements de dissidence ? Qu’y a-t-il de potentiellement émancipateur dans le discours néolibéral ? Ou, plus exactement, en quoi est-il possible de trouver dans ce discours des instruments, des armes pour mener des luttes politiques et démocratiques ?

La potentialité critique inscrite dans la rationalité néolibérale s’enracine dans le fait que cette tradition s’est affirmée dans le cadre d’une opposition à l’État, ou, mieux, à la raison d’État. En effet, à la racine de l’attitude libérale, puis néolibérale, ne se trouve pas un corps constitué d’axiomes théoriques ou philosophiques, ni même quelques principes idéologiques de base. Si l’on voulait caractériser ce qui rassemble les intellectuels néolibéraux au-delà de leurs différences parfois très grandes, il faudrait plutôt invoquer un trait de caractère, un ensemble d’obsessions quasi psychologiques. Car leur pulsion commune, dit Foucault, c’est une « phobie d’État ». Les libéraux sont animés par une hantise de l’État – dont il illustre l’intensité en citant ces propos de l’historien de l’art Bernard Berenson : « Dieu sait si je crains la destruction du monde par la bombe atomique, mais il y a au moins une chose que je crains autant, qui est l’invasion de l’humanité par l’État. » Selon Foucault, le néolibéralisme est traversé par l’idée selon laquelle « “on gouverne toujours trop” » – ou du moins selon laquelle « il faudrait toujours soupçonner que l’on gouverne trop ». En d’autres termes, il y a dans le néolibéralisme la formulation d’une interrogation radicale sur la gouvernementalité étatique. Cette doctrine ne se contente pas de se demander quels seraient les meilleurs moyens, ou les moyens les moins coûteux, d’atteindre des objectifs politiques. Elle questionne la possibilité même de l’État. Elle impose de répondre à ce problème : « Pourquoi donc faudrait-il gouverner ? »

En ce sens, il ne me semble pas faux de dire que Foucault a perçu le néolibéralisme comme l’une des incarnations contemporaines de la tradition critique. (chapitre 10)
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