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EAN : 9782080439383
112 pages
Flammarion (10/01/2024)
2.65/5   10 notes
Résumé :
À travers des récits emblématiques comme Le Procès ou La Colonie pénitentiaire, Kafka a profondément marqué la représentation moderne de la Loi, de l’État et du pouvoir. Ses descriptions d’un pouvoir sans règle et sans lieu, et d’un sujet perdu dans ses filets, nous interpellent. Elles semblent dire quelque chose de notre condition politique, de la bureaucratie ou de la Justice.
Mais ne devons-nous pas nous méfier de notre identification aux thèmes de Kafka ?... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
J'ai décidé de me faire violence et j'ai eu raison.

Lire un essai, même bref (90 pages), de Geoffroy de Lagasnerie, n'allait pas de soi pour moi. Ses postures passées me fatiguent plus qu'elles ne m'intriguent. Son radicalisme épouse trop l'esprit du temps. Son assurance révolutionnaire flirte avec l'arrogance des sachant. Et si en plus, il choisit un titre pour raccoler le lecteur en ce 100e anniversaire de la mort de Kafka…

Pourtant, dès le début, son analyse est intéressante et pertinente. Les romans de Kafka tels que La colonie pénitentiaire ou le procès montrent des personnages condamnés par une administration ou un système judiciaire, sans qu'ils sachent de quoi ils sont coupables et sans qu'ils puissent se défendre à aucun moment. Cette situation évoque chez chacun d'entre nous une certaine familiarité et facilite le sentiment d'identification aux victimes de ces deux romans. Or, écrit Geoffroy de Lagasnerie, les procédures appliquées par cette administration ou ce système judiciaire ne sont pas conformes à la réalité, y compris dans les pires régimes totalitaires. Ce que Kafka décrit n'existe donc pas.

Néanmoins, nous avons l'impression, individuellement, que cela correspond à une vérité ou, du moins, à une inquiétude partagée, celle d'un individu, normalement sujet de droit, désarmé face à un Etat dangereux, dont les motivations demeurent mystérieuses et dont la prise de décision ne s'opère pas du tout comme elle devrait s'opérer. Chez Kafka, le pouvoir de l'Etat est absolu, sans borne – il est « indéterminé » –, sans règle – il est « anomique » – et susceptible de se déchaîner sur chacun d'entre nous à tout moment.

Or, nous dit Geoffroy de Lagasnerie, si nous nous contentons de ce ressenti exclusivement individuel, nous passons à côté de ce que sont vraiment l'Etat, la Justice ou la Loi. Pire : nous nous abusons nous-mêmes. Pourquoi ? Parce qu'un Etat n'est jamais indéterminé et son pouvoir n'est pas anomique. Il poursuit des objectifs, habituellement différents de ceux qu'il affiche (défendre ses citoyens…), que seul un travail sociologique peut « objectivement » dévoiler. Si nous déplorons l'indétermination de cet Etat, l'anomie de son pouvoir et au fond, son imprévisibilité, cela signifie qu'en creux, nous aspirons à du fixe, du prévisible, du visible. Finalement, peu nous importe que les objectifs qu'il poursuit soient eux-mêmes « justes », alors que c'est ce qui devrait nous importer. En d'autres termes, l'inquiétude kafkaïenne est fondamentalement conservatrice, car elle nous conduit à trouver juste un Etat qui, dans le respect des procédures, pourrait commettre les pires abominations. S'il faut se méfier de Kafka, c'est bien parce que ce dernier nous donne une impression biaisée du rapport qui existe entre l'Etat et le citoyen. le citoyen voit un monstre tout puissant aux buts mystérieux, là où l'Etat poursuit en fait des objectifs qui apparaissent clairement, si l'on veut bien faire l'effort de s'extraire de sa petite personne et de mener un travail scientifique.

Là où le bât blesse, c'est que Kafka n'a jamais prétendu faire oeuvre de sociologue – à mon avis, il laissait cela à Geoffroy de Lagasnerie. En outre, à lire ce dernier, j'ai parfois eu l'impression d'aboutir au type de tautologie abrutissante dont ses partisans ont le secret : « braves gens qui aimaient la littérature et, surtout la fiction, méfiez-vous ! Non seulement elle ne vous aide pas à penser les rapports de domination entre l'Etat et vous-même, mais de surcroît, elle vous entraîne sur les chemins de l'aveuglement. Braves gens, remettez la fiction à sa place et, pour connaître le réel, lisez les bons auteurs de sciences humaines, surtout si leur style égale celui de Pierre Bourdieu ». Un peu consternante, cette condescendance des sociologues engagés à l'égard de la littérature et cette idée que nous, pauvres mortels, ne sommes pas capables de distinguer le champ de la fiction de celui du réel ou quand l'avant-garde du prolétariat perçoit ce dernier comme intellectuellement limité…

En fait, c'est moins de Kafka dont Geoffroy de Lagasnerie se méfie que de ces penseurs qui ont forgé notre représentation d'un Etat mystérieux en se référant à l'écrivain de Prague. Dans son viseur : Theodor Adorno, Hannah Arendt, dont on imagine que Geoffroy tremble d'effroi rien qu'en la mentionnant, Gershom Scholem… Dommage qu'il ne soit pas aller plus loin dans son analyse : qu'est-ce qui fait que, dans le champ des sciences sociales, les références à des oeuvres de fiction peuvent parfois être éclairantes, parfois complètement contre-productives et/ou fausses ?

La dernière partie de son essai est stimulante : Geoffroy de Lagasnerie se penche sur la manière dont notre société appréhende la culpabilité. Il se réfère à d'autres écrits de Kafka, notamment la Lettre au père, pour montrer que, loin d'avoir un rapport conservateur à la Justice, Kafka a toujours fait preuve d'une grande empathie à l'égard des « coupables » ou, plus exactement, à l'égard de ce besoin irrépressible que nous avons d'en désigner, toujours et encore.

Si vous supportez que l'on prenne Kafka comme prétexte à une réflexion plus large sur nos représentations de l'Etat, de la Loi ou de la Justice, si les affirmations manichéistes, voire carrément délirantes – du genre : si, aujourd'hui, la police américaine tue un Noir (sic), ce n'est pas une bavure, c'est qu'in fine, son objectif est de tuer des Noirs… – ne vous coupent pas l'appétit de lire, si la sécheresse de certains sociologues ne tarit pas la soif de votre curiosité, alors prenez le temps de feuilleter Se méfier de Kafka qui est loin d'être inutile ou ridicule, comme l'ont écrit certains gardiens du temple du bon goût littéraire.

Merci à Masse critique et Flammarion de m'avoir permis de lire et de penser un peu contre moi-même et à une prochaine fois !
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Dans cet essai, l'auteur démontre que Kafka ne se réduit pas à son volet absurde.
Franz K va plus loin et montre à travers ses romans et surtout La lettre au père que lors d'un acte de justice, l'homme perd la complexité de son existence pour se soumettre à la vision judiciaire de sa simplicité (p.92)
Les juges n'ont qu'une vision parcellaire de ce qu'ils jugent, dès lors l'homme peut rester, en tant qu'homme, innocent (p.84).
J'ai été étonné de la mise en lumière du système judiciaire américain : il y a le système pénal pour les Blancs et le système pénal pour les noirs. Et c'est la police qui produit le tri. (p.63).
Mais 97 pages très aérées pour cette courte démonstration. Je m'attendais à plus consistant.
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Merci à Babelio et Flammarion pour l'envoi de ce livre que je n'aurais jamais osé regarder sur un présentoir de Librairie.
Kafka,quoi ! Mais j'étais bien décidé à me meurtrir quelques neurones restant. Et ce n'était pas, sans compter, sur l'écriture de l'auteur.
Soyons honnête : faut s'accrocher ! Mais ça faut le coup (surtout quand tu prépares des concours de la fonction publique), l'auteur n'essaye pas d'être accessible, ni de t'exposer son point de vue, il t'éclaire juste sur un travail littéraire. Lu en deux heures, Parceque ça reste additif.
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Quelle incommensurable bêtise ! le monsieur nous explique que non, le monde de Kafka n'est pas un monde "réel" – preuves à l'appui. Ainsi, par exemple, dans un monde réel on ne peut pas être condamné sans avoir été mis au courant de l'accusation... Fichtre ! Et moi qui prenais Kafka pour un auteur bien réaliste, soucieux de ses sources !
J'ai tenu une quinzaine de pages, fasciné que j'étais par ce gouffre d'imbécilité.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Je voudrais montrer que, si nous devons nous méfier de la séduction qu’exercent sur nos esprits les textes kafkaïens, c’est parce qu’ils ont très largement tendance à ratifier, renforcer, légitimer des formes mystifiées d’appréhension du pouvoir et de l’Etat. Ce n’est pas un monde caché et souterrain que décrit Kafka. C’est un monde mythologique.
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Ce qui s’appelle « La Justice » chez Kafka n’a rien de commun avec les dispositifs institutionnels auquel ce terme renvoie habituellement, comme par exemple le fait d’être soumis à une Loi dont on connaît les interdits, d’être accusé d’un acte précis, d’avoir la possibilité de se défendre par l’intermédiaire d’un avocat lors d’un procès public présidé par un juge et enfin de connaître sa sentence […].
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« Si nous sommes addicts à Kafka, c’est peut-être que nous sommes addicts à l’erreur. »
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Videos de Geoffroy de Lagasnerie (9) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Geoffroy de Lagasnerie
Rencontre animée par Antoine Idier
Le sort réservé à Joseph K dans le procès de Kafka a de quoi épouvanter : on y découvre un monde régi par un pouvoir « omniprésent et sans règle, effrayant et illogique, tout-puissant mais insaisissable ». Très loin du nôtre a priori. Et, pourtant, nous y reconnaissons quelque chose. Quel est ce « quelque chose » ? Et n'y a-t-il pas matière à nous méfier de cette identification spontanée ? Ce qui nous semble kafkaïen (injuste, arbitraire et donc opaque et imprévisible) ne retrouve-t-il pas une terrible clarté quand on s'extrait de l'appréhension subjective pour penser avec la sociologie ? Joseph K n'est personne en soi ; mais à lui donner un visage, une classe sociale et le cauchemar kafkaïen devient funestement réel, permettant à Geoffroy de Lagasnerie d'interroger la nature même du système judiciaire dans nos sociétés, y compris la notion de jugement et de culpabilité.
« Sans doute est-ce parce que chacun d'entre nous ressent au plus profond de lui-même que notre monde est opaque, que les institutions avec lesquelles nous devons composer pour vivre nos vies sont dotées de fonctions cachées et mystérieuses, (…) que nous cherchons sans cesse, dans la littérature ou la théorie, dans l'art ou la psychanalyse, des interprétations qui pourraient nous dire la vérité de ce qui est – nous révéler ce qui se joue derrière la façade trompeuse des apparences. » Geoffroy de Lagasnerie, Se méfier de Kafka
À lire – Geoffroy de Lagasnerie, Se méfier de Kafka, Flammarion, 2024.
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