Citations de Georges Bernanos (989)
Si le propos n'était très audacieux, je dirais que les plus beaux poèmes ne valent pas, pour un être vraiment épris, le balbutiement d'un aveu maladroit.
Cette épreuve n'est pas nouvelle. Je m'en consolais jadis par l'espoir de quelque événement merveilleux, imprévisible - le martyre peut-être? A mon âge, la mort paraît si lointaine que l'expérience quotidienne de notre propre médiocrité ne nous persuade pas encore. Nous ne voulons pas croire que cet événement n'aura rien d'étrange, qu'il sera sans doute ni plus ni moins médiocre que nous, à notre image, à l'image de notre destin. Il ne semble pas appartenir à notre monde familier, nous pensons à lui comme à ces contrées fabuleuses dont nous lisons les noms dans les livres. Je me disais justement tout à l'heure que mon angoisse avait été celle d'une déception brutale, instantanée. Ce que je croyais perdu au-delà d'océans imaginaires, était devant moi. Ma mort est là. C’est une mort pareille à n’importe quelle autre, et j’y entrerai avec les sentiments d’un homme très commun, très ordinaire. Il est même sûr que je ne saurai guère mieux mourir que gouverner ma personne. J’y serai aussi maladroit, aussi gauche. On me répète: « soyez simples!». Je fais de mon mieux. C’est si difficile d’être simple! Mais les gens du monde disent « les simples » comme ils diraient « les humbles », avec le même sourire indulgent. Ils devraient dire: les rois.
Il est certain que j'ai trop douté de moi, jusqu'ici. Le doute de soi n'est pas l'humilité, je crois même qu'il est parfois la forme la plus exaltée, presque délirante de l'orgueil, une sorte de férocité jalouse qui fait se retourner un malheureux contre lui-même, pour se dévorer. Le secret de l'enfer doit être là.
Nous payons cher, très cher, la dignité surhumaine de notre vocation. Le ridicule est toujours si près du sublime! Et le monde, si indulgent d'ordinaire aux ridicules, hait le nôtre, d'instinct. La bêtise féminine est déjà bien irritante, la bêtise cléricale l'est plus encore que la bêtise féminine, dont elle semble d'ailleurs parfois le mystérieux surgeon.
L'éloignement de tant de pauvres gens pour le prêtre, leur antipathie profonde ne s'explique peut-être pas seulement, comme on voudrait nous le faire croire, par la révolte plus ou moins consciente des appétits contre la Loi et ceux qui l'incarnent... À quoi bon le nier? Pour éprouver un sentiment de répulsion devant la laideur, il n'est pas nécessaire d'avoir une idée très claire du Beau. Le prêtre médiocre est laid.
De toute manière l’indignation, même justifiée, reste un mouvement de l’âme trop suspect pour qu’un prêtre s’y abandonne.
Ces gens-là ne se rassemblent que pour mettre en communs les quelques raisons qu'ils possèdent de se juger meilleurs que les autres.
Le pouvoir de la misère ne se juge pas au nombre apparent de misérables, c’est-à-dire au nombre d’hommes qui manquent absolument du nécessaire. Il est possible que la société moderne en finisse avec la pauvreté, ne serait-ce qu’en éliminant à chaque génération les pauvres-nés, les inadaptés, les inadaptables, grâce à une réglementation des naissances et à une stricte sélection. Je ne crois nullement qu’en réduisant le nombre de pauvres on réduise du même coup celui des misérables. Je pense au contraire que le miséricordieux sacerdoce de la pauvreté fut précisément établi en ce monde pour le racheter de la misère, du féroce et contagieux désespoir des misérables. Si nous pouvions disposer de quelque moyen de détecter l’espérance comme le sourcier découvre l’eau souterraine, c’est en approchant des pauvres que nous verrions se tordre entre nos doigts la baguette de coudrier.
Extrait de "La Vocation spirituelle de la France"
Le pauvre n'est pas un homme qui manque, par état, du nécessaire, c'est un homme qui vit pauvrement, selon la tradition immémoriale de la pauvreté, qui vit au jour le jour, du travail de ses mains, qui mange dans la mains de Dieu, selon la vieille expression populaire. Il vit non seulement de l'ouvrage de ses mains, mais aussi de la fraternité des autres pauvres, des mille petites ressources de la pauvreté, du prévu et de l'imprévu. Les pauvres ont le secret de l'espérance…
Extrait de "La Vocation spirituelle de la France"
Mes rêves, je les voulais démesurés - sinon, à quoi bon les rêves ? Et voilà précisément pourquoi ils ne m'ont pas déçu. Si je recommançais la vie, je tâcherais de les faire encore plus grands, parce que la vie est infiniment plus grande et plus belle que je n'avais cru.
Le métier littéraire ne me tente pas, il m'est imposé. C'est le seul moyen qui m'est donné de m'exprimer, c'est-à-dire de vivre.
Et, si la bouche noire, dans l'ombre, qui ressemble à une plaie ouverte par l'explosion d'un dernier cri, ne profére plus aucun son, le corps tout entier mime un affreux défi :
"TU VOULAIS MA PAIX, S'ÉCRIE LE SAINT, VIENS LA PRENDRE !..."
Sans la confession, l'expérience du péché est-elle jamais complète ? N'y a-t-il pas, dans la honte de l'aveu, même incomplet, déloyal, une sensation âpre et forte qui ressemble au remords, un remède un peu rude et singulier, mais efficace, à l'affadissement du vice ?
Presque au-dessus de sa tête, l'horloge bat à petits coups, comme un cœur. Il ferme un moment les yeux pour mieux l'entendre, vivre et respirer avec elle, l'antique aïeule sans âge, qui dispense à regret, depuis des siècles, l'impitoyable avenir.
C'est là sa vie - tout ce que le temps épargne - qui dans son passé garde encore forme et figure ; le reste n'est rien, son œuvre, ni la gloire. L'effort de cinquante années, sa carrière illustre, trente livres célèbres... Hé quoi ! cela compte-t-il si peu ? ... Que de niais vont s'écriant que l'art... Quel art ? Le merveilleux jongleur en connaît seulement les servitudes. Il l'a porté comme un fardeau. L'harmonieux bavard qui n'a parlé que de lui ne s'est pas exprimé une fois. (...) Tant de lecteurs, pas un ami !
La férocité du mépris que Saint-Marin témoigne aux sots étonne d'abord, car il affecte volontiers par ailleurs un scepticisme complaisant. Mais c'est ainsi qu'il peut manifester au-dehors, avec un moindre risque, sa haine naturelle des infirmes et des faibles.
" Je suis le dernier des Grecs", dit-il de lui-même, avec un rictus singulier.
Aussitôt vingt niais, hâtivement instruits d'Homère par ce qu'ils en ont pu lire en marge de M. Jules Lemaître, célèbrent ce nouveau miracle de la civilisation méditerranéenne, et courent réveiller, de leurs cris aigus, les Muses consternées. Car c'est la coquetterie du hideux vieillard, et sa grâce la plus cynique, de feindre attendre la gloire sur les genoux de l'altière déesse [ Athéna], bercé contre la chaste ceinture où il égare ses vieilles mains...
Ce disant, il marchait à grands pas sur la route de Lumbres, suivi du jeune médecin de Chavranches, au trot. Ce praticien encore imberbe, établi depuis peu de mois, jouissait d'une réputation professionnelle à peine au-dessus de ses mérites. L'aplomb de son bavardage, ses audaces de carabin et, par-dessus tout, son mépris de la clientèle, lui avaient gagné tous les cœurs.
Jusqu'à la mort, lève la main, pardonne, absous, homme de la Croix, vaincu d'avance !
(...) Regardez ces enfants, Seigneur, dans leur faiblesse ! leur vanité, aussi légère et aussi prompte qu'une abeille, leur curiosité sans constance, leur raison courte, élémentaire, leur sensualité pleine de tristesse..., entendez leur langage, à la fois fruste et perfide, qui n'embrasse que les contours des choses, riche de la seule équivoque, assez ferme quand il nie, toujours lâche pour affirmer, langage d'esclave ou d'affranchi, fait pour l'insolence et la caresse, souple, insidieux, déloyal. Pater, dimitte illis, non enim sciunt quid faciunt !
Qu'elle est longue la route du retour, la longue route ! Celle des armées battues, la route du soir, qui ne mène à rien, dans la poussière vaine ! ... Il faut aller, cependant, il faut marcher, tant que bat ce pauvre vieux cœur, - pour rien, pour user la vie, - parce qu'il n'y a pas de repos tant que dure le jour, tant que l'astre cruel nous regarde, de son œil unique, au-dessus de l'horizon. Tant que bat le pauvre vieux cœur.
Il est si aisé de croire à tout le bien qu'on dit de nous !