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Critiques de Georges Navel (16)
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Travaux

J'ai relu ce livre depuis une petite semaine : un livre de ceux que chaque lecteur rêve de croiser dans sa vie, de ceux qui nourrissent l'âme, qui font espérer en l'espèce humaine, qui font regarder l'existence avec d'autres yeux...



Georges Navel né en 1904, écrit là à la fois un récit autobiographique, exprime tout autant une philosophie de vie, raconte le monde ouvrier de ce début de siècle, observe la vie de ceux qui l'entourent.

Son style se veut intime mais tout en retenue, se veut jugement sans amertume, se veut espérance sans illusions.

Il demeure, au fil des phrases, discret sur lui tout en se dévoilant et confessant ce qui l'aide à avancer dans sa vie. La misère est sa compagne mais la liberté l'emporte sur tout regret de possession.





Quand il évoque son père, déjà âgé, confronté aux dures taches des fonderies, qui avance sans se plaindre, et qui trouve réconfort dans le vin bu au café en compagnie de ses compagnons de travail, qui vivent les mêmes tourments que lui, c'est le regard de l'enfant, parfois plein d'incompréhension qui se voile devant tant de détresse et c'est la main maternelle qui encourage ne jugeant point, se voulant appui quand tout se dérobe.



Ce coeur maternel, cette femme toujours à l'ouvrage, toujours gaie, toujours chantante, qui lui donne le goût des jardins et des bois, qui lui fait entendre la mésange ou le crapaud, qui jamais ne se lamente, treize enfants sont nés mais sa volonté de joie dans sa vie est intacte.



Quand il parle de son compagnonnage, c'est au Fred Barthélémy de "La mémoire des vaincus" que l'on songe, celui qui se réalise dans cet art professionnel maîtrisé, cette richesse acquise, qui grandit dans la vie communautaire, qui subit mais finalement subir à plusieurs aide à mieux supporter, quand l'un baisse la tête, c'est l'autre qui encourage...



Quand il évoque le regard de l'enfance sur la vie familiale bousculée par les luttes pour vivre plus décemment, on pense à Louis Guilloux, à ses récits qui redonnent vie à ces âmes dignes, à ces gens de peu qui avancent au prix de sacrifices, plaçant l'honnêteté et la solidarité au rang des premiers engagements, à ces êtres qui cultivent le mot "Liberté" au sens anarchiste du terme...



Il parle de l'Algérie en on pense à Albert Camus, cette douceur du regard, cet humanisme constant, jamais de colère, une dignité de tout moment même quand l'homme est floué. L'Algérie les relie et le même élan vers la nature, celle qui ressource et qui redonne la volonté de repartir, de continuer le chemin, la lutte...



Georges Navel est de ceux que l'enfermement emprisonne, que le toit rend aveugle, que la porte fermée asphyxie : il aspire à trouver besogne au grand air, même si le pain gagné est plus rude , même si le travail y est plus hostile, même si l'exploitation se fait plus criante, au moins ne subit-il pas le bruit des machines des ateliers et la pénombre des jours qui n'en font finalement plus qu'un qui s'étire.



Il y a ceux qui usent de ces hommes, ceux qui les exploitent, ceux qui les affaiblissent un peu plus chaque jour. Georges Navel n'éprouve aucune colère, de l'incompréhension, de la stupeur, mais toujours, sa liberté vaut toute richesse. Il n'a rien mais ne veut davantage.



Il est l'aède de ce monde des "petits", de ceux qui besognent, de ceux qui espèrent en un monde différent, plus juste, plus partagé. Combien en verront l'aube ?





"La providence, écrit Ozanam, met des poètes dans les sociétés qui tombent, comme elle met des nids d'oiseaux dans les ruines pour les consoler"

Georges Navel est bien l'un de ceux-là qui "voient et perçoivent" ce que beaucoup ignorent ou n'appréhendent. Sa flamme le dévore mais son espérance le nourrit. Abattu, mélancolique, il renaît devant le bourgeon qui éclot ou la grive qui fait son nid...

Georges Navel est poète, un homme dont le regard se fait velours sur tous et toute chose, un homme qui apprend à apprivoiser le quotidien dans sa beauté et ses contraintes pour en tisser une existence indigente mais comblée. Lire son écriture, c'est s'émerveiller, réapprendre à ouvrir le regard, à quitter le superficiel pour "pénétrer" toute chose...





Un livre à lire et à relire - et c'est ce que je viens de faire avec un immense plaisir, mon avis de lecture n’en étant que plus long à lire, j’en suis désolée ! - , oserais-je dire une "bible" de la vie acceptée dans tout ce qu'elle signifie de bonheur simple et de félicité ?





(relecture de Septembre 2022)
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Travaux

Dans ce roman autobiographique ,paru en 1945, G.Navel décrit son parcours depuis son enfance auprès d'une mère aimante, toujours souriante malgré sa vie de labeur, et d'un père ouvrier et soumis ,puis de sa propre entrée à l'usine à 12 ans, sa grande boucle pour y échapper et , finalement son retour.

Ce chemin, durant lequel il effectuera toutes sortes de travaux saisonniers : cueilleur de lavande,berger,ouvrier dans les salines d'Hyères,terrassier...est impressionnant.

Il cherche le bonheur et un sens à la vie. Il sera plusieurs fois tenté par la mort mais c'est toujours la nature et sa simplicité envoûtante,la liberté qu'elle représente qui le sauvera.

Il y a une tristesse en lui depuis l'enfance, dès l'école qu'il ne fréquentera pas longtemps " je le savais inconsciemment quand je préférais l'école buissonnière à celle de l'instituteur, celle- là qui,en voulant me donner l'instruction, s'appliquait sans le vouloir à tarir les sources qui rendent heureux."

Son frère Lucien lui ouvre les yeux sur le monde capitaliste,le taylorisme qui utilisent les ouvriers comme de simples machines au mépris de leur vie. En 1919, la révolution russe le fait rêver d'un autre paradigme " les noms de Karl Liebknecht,Rosa Luxemburg, Lénine m'illuminaient"

L'élan de l'espoir se tarit mais il gardera toute sa vie les traces de cet élan révolutionnaire et d'un autre rapport au monde.

C'est pour fuir le bruit et l'obscurité de l'usine qu'il part pendant de nombreuses années effectuer de multiples travaux saisonniers. Il constate cependant avec déception le manque de conscience de classe,de solidarité parmis les salariés. Leur soumission, " leur absence de ressaut". C'est auprès des terrassiers qu'il retrouve cette fierté du savoir faire, cette capacité à s'affirmer et l'esprit de camaraderie et d'entraide qu'il a connu à l'usine. Il leur rend hommage en rappelant que c'est eux qui les premiers ont répondu à l'appel de la première Internationale des travailleurs.

Ainsi,ce n'est pas la fatigue pourtant extrême du travail qui le mine mais son ennui . Son récit questionne ,en effet, avec talent , pertinence, humanité et profondeur le rapport au travail. Ce qui en fait une souffrance plutôt qu'une possibilité d'épanouissement. Il voit l'utilité du travail chez l'artisan,le paysan mais dénonce celui des grandes entreprises qui ne servent que la guerre ou la soif de luxe des classes dirigeantes.

Pourtant, après tous ses périples et malgré son amour pour la nature il revient à l'usine pour des raisons financières et il dit " dans le monde de l'usine ce qui reste de la nature c'est l'homme, c'est le compagnon,le reflet,le semblable."

On ne découvre pas dans ce récit comment G.Navel se met à l'écriture. Ce que je sais c'est qu'il est autodidacte. La qualité de son écrit, l'humanité qui s'en dégage et la pertinence de son regard sur le monde du travail forcent l'admiration !

C'est le magnifique billet de Plumes d'arbres qui m'a orientée vers cet auteur et je l'en remercie vivement.
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Parcours

25 octobre 2022



***Redécouverte épatante !



Deux grandes pensées pleines de gratitude, passée et présente ! L'une envers Michel Polac, qui m'a fait entendre pour la première fois le nom de ""NAVEL", sachant, comme chaque fois, transmettre admirablement ses enthousiasmes, dont celui pour "Travaux"....



La seconde pensée présente est adressée à Patrick Cloux, qui m'avait invitée ce 20 octobre 2022 à une de ses "signatures parisiennes" pour son "dernier-né": "Trois ruches bleues" (La Fosse aux ours, 2022).



Au gré d'échanges à bâtons rompus, Patrick C. a parlé avec une faconde jubilatoire de sa lecture de "Travaux", ainsi que de sa correspondance," Sable et Limon"... Il a d'autant plus développé que certains auditeurs présents ne connaissaient pas du tout, étaient toute ouïe !



Cela m'a transportée loin , en arrière, avec l'irrépressible envie de me replonger dans l'univers unique de cet écrivain-ouvrier, autodidacte, à la plume enchanteresse...



Aussitôt rentrée, je me suis précipitée sur mon exemplaire de "Parcours", pour le relire, ayant déjà relu et chroniqué "Travaux" sur Babelio...il n'y a pas si longtemps !



Comme dans "Travaux", Georges Navel narre son chemin, son enfance, sa jeunesse mouvementée, ses rencontres, ses frères militants, son entrée très jeune dans le monde du travail...car l'école n'était "euphorisante" pour lui qu'à la rentrée et l'hiver, après, , aux beaux-jours, il avait franchement mieux à faire !!



Plume engagée, poétique, bienveillante... En dépit des traumatismes de la guerre, des boulots pénibles...il y a de la vraie camaraderie ouvrière, le militantisme, les réunions avec les camarades, qui stimulent pour lire , apprendre et comprendre ! C'est l' Ecole qu'il s'est choisie !



Ce qui reste totalement admirable, c'est que Georges Navel, en dépit de la pénibilité de certains boulots, conserve intacte cette faculté d'étonnement, d'émerveillement, devant la Vie, simplement !



Il vit dans le "prosaïque" à tout crin,; et cependant , sa plume, son style sont bien loin de tout "réalisme" excessif... Il y a le mot, l'expression...singuliers, détonants, survenant, qui donnent une lumière toute particulière !



"Les grands froids commençaient. J'étais rentré de permission par une nuit de cristal féerique. La neige scintillait sur les arbres en dentelles. Elle couvrait les champs, la route, d'une mince couche craquante, d'un scintillement complice des étoiles clignotantes. La terre semblait s'être parée pour recevoir le père Noël accompagné d'une foule d'archanges. Des milliers d'usines tournaient pour la guerre, des millions d'hommes en uniforme attendaient dans cette nuit- là. "



Emportée à nouveau par l'univers de cet écrivain des plus singuliers, il me faut remettre la main sur "Sable et Limon", sa correspondance, que je n'ai toujours pas lue... Dans un même temps, j'ai réussi à dénicher à la Réserve centrale des Bibliothèques de la Ville de Paris, une publication du Temps qu'il fait: "Georges Navel ou la seconde vue", où je découvre justement un article de Patrick Cloux, datant d'environ 40 ans ! ainsi que des extraits de lettres de Jean Giono..., des analyses diverses de ses écrits par des auteurs connus et moins connus. Un complément fort intéressant !



"Je marchais d'un bon pas, le fond de la clairière m'attirait. Il me semblait toujours que plus on s'éloigne, mieux on comprend le fond des choses. La route baignait là-bas dans des vapeurs bleues.C'était là-bas que je voulais arriver, au bleu de la route, où peut-être je pourrais tout comprendre."



Un écrivain-poète-philosophe (à sa manière), un "grand bonhomme" à lire, découvrir ou relire... car on est bien au-delà des poncifs habituels de la "parole ouvrière" !

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Travaux

En cette toute première journée de cette nouvelle année 2014... j'ai envie de mettre à l'honneur... ce récit autobiographique de Georges Navel. J'avais quelque peu oublié les "pépites" de ce texte... A travers ce choix ancien , je souhaite à tous les amis Babelio, que nos compagnons communs, Les Livres...continuent à nous "apprendre" et à "aiguiser" notre regard sur les êtres et tout ce qui nous entoure... Georges Navel a un regard unique, qui transfigure les réalités les plus obscures, les plus simples...





Comme l'a exprimé fort justement gill ce texte est parmi les plus beaux livres de la condition ouvrière...écrit par un ouvrier-poète au lendemain de la guerre... et que nous pouvons lire et découvrir aujourd'hui grâce à son ami, Paul Géraldy, qui l' a , après le bonheur de l'entendre raconter, encouragé à en faire un livre.

Pour ma part , le "passeur" a été Michel Polac, un certain samedi soir 27 mars 1982 [indication que j'ai prise le temps de noter sur mon "Folio"], parlant avec son enthousiasme légendaire, de ce texte ,à son émission "Droit de réponse"....



Je refais la découverte de ce texte avec un regard différent et une attention accrue, des années après. Une langue magnifique, une manière neuve de "dire", "décrire" les choses , au demeurant, les plus anodines...avec panache. Un récit à lire, savourer doucement ...tout doucement !...



Au hasard, je tombe sur une image incroyable... Navel décrit la simple rencontre de sa mère, femme modeste et méritante rencontrant dans le village "une vieille demoiselle de la bourgeoisie de province du genre très bien" .... et suit... cette infime morceau de phrase qui transfigure le paragraphe entier : "C'était du carreau de vitrail qui passait (...) D'instinct ma mère aimait les riches, leur distinction, comme du linge bien blanc après le passage au bleu et une bonne lessive" (p. 25)



La préface de Paul Géraldy a de surplus le mérite et la qualité de mettre ce texte et son auteur, dans son vrai contexte, avec la force de conviction et -de l'Ami et - de l'Ecrivain, qui apprécie un autre lui-même !



"j'ai souhaité qu'il en fît un livre. Il m'a semblé que dans un temps où les cloisons sociales craquent et se disloquent, la poésie bourgeoise, sur laquelle nous vivons, que je suis loin de renier, à laquelle j'ai été et reste très sensible, était tout de même fatiguée, et tout de même insuffisante, et ce poète ouvrier qui à la passion du "jouir" substitue la passion du "faire", arrivait opportunément. (...)

Un jour, il m'a écrit: "J'ai terminé mon livre. Cela me dépasse un peu d'y être arrivé. Je crois que l'essentiel est dit, que je peux casser l'encrier. Pourquoi devenir écrivain ? J'ai d'autres tâches qui m'attendent, me préparer pour la saison." Je le laisse dire. Il a besoin, je le sens bien, d'activités physiques pratiques. Il ne vivrait pas bien sans un contact direct avec les objets et les bêtes, sans attaches avec le sol. (p.12-13)



" Amour ? Le mot a trop servi, trop porté les rêves des hommes. Ce n'est plus qu'un mot creux, faussement prometteur, un peu écoeurant à la fin. Mais peut-être que- bienveillance-...

Navel est bienveillant pour l'homme et pour les choses. Il leur parle d'une voix claire, avec des mots sensibles, frais, lavés et rajeunis par cette lumière du cœur" (p.14)
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Travaux

Un des livres les plus beaux inspirés par la condition ouvrière.

"Travaux", paru au lendemain de la guerre, est tout de suite devenu un classique.

Georges Navel fait entendre une voix qui n'appartient qu'à lui. Comme l'a écrit Jean Giono : "Cette patiente recherche du bonheur qui est la nôtre, nous la voyons ici exprimée avec une bonne foi tranquille."

C'est un formidable cadeau que nous fait Georges Navel avec ce livre humain et sensible.
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Travaux

Ce livre est de ceux dont on regrette un peu de tourner la dernière page, mais dont on sait déjà qu'on pourra y retourner picorer un peu de plaisir, au hasard des chapitres. Ces chapitres sont en effet presque indépendants les uns des autres, même s'ils suivent plus ou moins une trame chronologique. Mais là n'est pas l'intérêt. Georges Navel nous narre sa vie de prolétaire, tour à tour ouvrier d'usine, terrassier, journalier. Il est avant tout un incroyable conteur, qui nous fait partager tout à la fois les difficultés de cette vie et son émerveillement devant la nature, la maîtrise du geste, le monde. Le livre n'est pas militant, et il n'en est que plus fort lorsqu'au détour d'une phrase sont évoqués avec pudeur le chef de chantier peau de vache, le patron grippe-sou, mais aussi la solidarité de ceux qui n'ont rien. J'ai particulièrement apprécié le chapitre sur les terrassiers, hymne à la liberté qui ne cache rien de ce qu'elle coûte : liberté rime souvent avec pauvreté en ces années trente. Enfin, toujours par petites touches, Georges Navel se fait parfois philosophe, et aborde l'importance de l'attention, du geste juste, la valeur de l'émerveillement, et une vision du bonheur que n'auraient renié ni Épicure, ni Lucrèce lorsqu'il se déclare "heureux comme le sont les bêtes (...) lorsque la faim ne les tourmente pas et que tout cause de douleur est absente". Georges Navel nous offre un bel exemple de frugalité, de simplicité et d'humanité, sans lourdeur, et dans des pages d'une grande beauté. Merci, Monsieur Navel.
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Travaux

Ce livre est présenté en 4ème de couverture comme un formidable témoignage des conditions ouvrières de l'après-guerre (1945).



Mais ce livre est bien plus que cela. Certes, il relate les difficiles conditions de vie et de travail des travailleurs manuels de l'époque ainsi que les prémisses des avancées sociales, mais il est surtout l'occasion de découvrir une très belle plume poétique.



Georges Navel possède l'art de s'arrêter sur chaque belle image et de s'en émerveiller, plutôt que de s'arrêter sur les difficultés brutes de sa vie. Vie qu'il a d'ailleurs choisie. Il a papillonné de travail en travail, se lassant très vite à chaque poste, et privilégiant alors les découvertes, que ce soit en nature (montagne, cueillette, fermes, ...) ou en usine.



Un très beau moment de lecture dont je suis sorti avec de très belles images bucoliques en tête plutôt qu'assourdi par le travail à la chaîne!
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Travaux

Le travail… c’est pas humain !



Comme l’a rappelé Hannah Arendt dans La condition de l’homme moderne, le propre de l’homme c’est l’action, un agir orienté, un agir qui pense. Du travail à l’œuvre, « il y a le passage de l’exigence de penser ce que nous faisons » disait-elle alors qu’elle était pleinement plongée dans sa réflexion sur le totalitarisme. La grande leçon du Procès d’Eichmann n’est-elle pas que le mal peut être fait sans y penser ?



Tel est donc le défi que pose notre civilisation industrielle : comment rester homme lorsque le travail est devenu central ? Car le travail, c’est l’asservissement, c’est l’aliénation, c’est la déshumanisation. Où homo faber est transformé en homo laborans ; où le travail rime avec labeur. Dans ce travail-là, point d’initiative, nulle autonomie, aucun enrichissement possible, ni en or ni en savoir : on pense pour vous la manière d’agir, alors qu’agir et penser devraient rester intimement liés. On chronomètre, on commande, on gueule des ordres. On méprise, on humilie, on rabaisse… Ils survivent les travailleurs, se distinguent peu des forçats. Le travail dont ils dépendent pour vivre est un négation de la vie même : c’est une exécution !



L’essence du travail est indécence : il faut gagner sa vie en travaillant ! Et le travail n’est plus que nécessité. L’essence même des travaux de Nivel et ses compagnons d’infortune, c’est l’absence de sens : leur travail est toujours réalisé au profit des autres. Il ne permet pas de « faire œuvre » de…, de trouver un sens à son existence, de « faire sa vie », de « prendre la main » sur son destin. Dans ces conditions (de travail) peuvent-ils encore être appelés œuvriers/ouvriers ?



Il fallait écrire Travaux, car le travail dans ces conditions mériterait qu’on les regarde en héros ! Il fallait écrire Travaux pour faire œuvre, et même chef-d’œuvre : car Georges Navel le travailleur est un poète dont le style est un enchantement. Il fallait écrire Travaux pour rendre leur dignité d’homme à ceux qui le travail de manœuvre (i faudrait dire mal-œuvre) met au banc de la société. Et qu’on ne s’y trompe pas : Travaux demeure d’une catastrophique actualité.
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En faisant les foins et autres travaux

La mode est aux récits transclasses, innombrables : récits autobiographiques, psychologico-sociologiques, pas toujours exempt d'une fausse modestie enveloppée de quelques remugles de sentiment de trahison. D'autres auteurs assument fièrement leur classe. Pas trop difficile, lorsqu'on nait avec une cuillère d'argent dans la bouche. Et cela peut même être fait gracieusement, à la manière de Jean d'Ormesson.

La littérature prolétarienne, à l'autre bout de la chaîne, est souvent plus rugueuse, revendicatrice et prompte à dénoncer inégalités et mépris à son endroit. Elle compte quelques grands noms, d'Agricole Perdiguier à Joseph Ponthus, en passant par Pierre Hamp, Henry Poulaille et Robert Linhart.



Le cas de Georges Navel est singulier. Lucide sur sa condition de prolétaire, il la revendique tranquillement. Anarchiste, il n'a pas la langue dans sa poche, ce qui lui vaut de se faire souvent remercier ("les patrons, préfèrent les immigrés piémontais, humbles et inorganisés, aux français syndiqués"). Mais il trouve toujours du travail et a le goût d'en changer. Travail à l'usine (Citroën, Berliet), travail dans les champs (cerises, vendanges) chantiers (peinture en bâtiment, jardins, terrassement de routes de montagne). Il a le goût du geste efficace, du travail bien fait, même sous-payé. Surtout, il a le mot juste et "humble", selon son choix, qui est de dire les choses simplement. Mais aussi avec la poésie qui nait de son attention aux choses, aux paysages, dont il dresse tableau en quelques touches. Il en résulte un récit lumineux qui dit la "peine des hommes", mais aussi leur fierté.

Le monde qu'il décrit est celui de la première partie du XXe siècle, jusqu'au Front populaire, dont il rappelle ce qu'il a apporté à la classe ouvrière. Si Navel n'a guère fréquenté l'école, il a fréquenté les livres, tous les livres, de la bibliothèque diocésaine jusqu'aux universités populaires. Sa sagesse s'y arrime, dans la dévotion au souvenir de sa mère, encouragé par des amitiés philosophiques et littéraires de rencontre, quelquefois inattendues (Paul Geraldy !) et surtout dans la fraternité ouvrière.

Son ouvrage "Travaux" qui est en 1945 dans la liste du prix Goncourt, et dont est extrait ce petit livre, témoigne de l'incroyable dureté du travail manuel, mais aussi de la joie qui accompagne son accomplissement.

Il y a du Fabrice del Dongo dans ce Navel qui embauche au petit matin en chantonnant.

On peut se laisse porter par sa prose sans détours, sensible à la beauté du monde autant qu'à son injustice. Les lecteurs de tous âges y retrouveront le temps de naguère avec son authenticité intacte et l'émotion qui l'accompagne.
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Travaux

Magnifique fresque du travail. Il ne s'agit pas d'un récit autobiographique continu, même si l'auteur évoque son enfance et de nombreuses périodes de sa vie, mais plutôt du travail d'un peintre présentant plusieurs tableaux comme dans une exposition thématique... De l'usine à la terre, Georges Navel n'a pas tout essayé, mais il a multiplié les expériences : ouvrier dans la métallurgie, manœuvre sur les chantiers de construction, cueilleur de fruits, jardinier, terrassier... De chaque situation il dépeint les joies et les peines. La solitude lui pèse en beaucoup de lieu ; l'enfermement lui est insupportable... Malgré cela il dépeint aussi la chaleur des relations humaines, la camaraderie, les plaisirs partagés. Le portrait qu'il dresse de ses compagnons terrassiers est brillant ! Ses réflexions philosophiques sur la condition humaine sont intéressantes. S'il est parfois désabusé, cela ne dure pas et il a la capacité de trouver, même dans les situations les plus critiques, une lueur d'espoir... Son seul regret : que le monde nouveau qu'il souhaite voir un jour se mettre en place, lui paraisse parfois si éloigné.
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Travaux

Voici un très beau texte représentatif de ce qu'on appelait la littérature prolétarienne. Il s'agit des mémoires d'où ouvrier français , né dans une famille très pauvre, dans la première moitié du XXe siècle. Il y a beaucoup d'humanité dans ce livre.



C'est un témoignage d'un genre qu'on trouve rarement en littérature, et écrit dans une très belle langue en plus.
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Travaux

Un récit autobiographique sur la vie prolétarienne pleine de poésie, de douceur mais aussi de souffrance, d'ennui et de doutes. Ce roman est pour moi une ode à la simplicité, dans lequel l'auteur parvient au bonheur grâce aux mouvements du corps, au travail, à la contemplation de la nature. Même si des idées suicidaires passent par la tête de Navel je trouve pour autant que ce roman met en avant le bonheur de vivre. Je recommande fortement.
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Travaux

Voici un livre qui m' a profondément marqué. On parle peu de la classe ouvrière dans la littérature française; en tout cas pas comme ça.

Une poésie, une force, une beauté qui font aimer les hommes. L' âpreté de la vie , la simplicité des choses.
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Travaux

Récit autobiographique . L'auteur nous conte son enfance en Lorraine, son temps de scolarité, le passage des Allemands en 1914, son évacuation en Algérie et son retour en France où, dès 12 ans, il commence son apprentissage d'ouvrier. La seconde guerre mondiale et son installation dans le Midi où il exercera divers métiers. ..

Ce roman de la condition ouvrière décrit avec poésie les peines et les joies des travailleurs.
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Travaux

Récit autobiographique sur la condition ouvrière. Écriture magnifique, sensible, forte et sobre. La préface de Paul Garaldy dit tout: "j'ai souhaité qu'il en fît un livre. Il m'a semblé que dans un temps où les cloisons sociales craquent et se disloquent, la poésie bourgeoise, sur laquelle nous vivons, que je suis loin de renier, à laquelle j'ai été et reste très sensible, était tout de même fatiguée, et tout de même insuffisante, et ce poète ouvrier qui à la passion du "jouir" substitue la passion du "faire", arrivait opportunément."
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Travaux

À sa parution, Travaux connut un réel succès, et Michel Ragon, vingt ans plus tard dans son Histoire de la littérature prolétarienne de langue française, écrira que Travaux est très certainement l’un des plus beaux livres, l’un des plus émouvants de la littérature ouvrière ». Cela ne fait aucun doute.
Lien : https://www.actualitte.com/a..
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