"Y a une route" de Gérard Manset avec un peu d'interview
Pourquoi avez-vous cessé de voyager ?
Le monde a changé, qu’on le veuille ou non. Il faut faire avec ces quantités de routards qui trimballent le “Lonely Planet”. Je me revois débarquant seul dans le sud des Philippines où il y avait de vieux hôtels coloniaux. Je choisissais la chambre la moins décatie avec un petit ventilateur, j’y restais un jour ou deux et j’allais voir ailleurs. Mais, désormais, le monde est en marche, avec une quantité de gens qui voyagent. Je ne suis ni déçu ni nostalgique, mais je ne veux pas en faire partie.
Paris Match
Mais où sont passées les lumières
Qui nous guidaient ?
Peut-être étions-nous trop fiers
Pour baisser la tête.
Le monde a tourné sans nous,
Sans nous attendre.
Les ténèbres sont partout
Couvertes de cendres.
Mais souviens-toi
Que l'on s'aimait quand même.
Nous étions si jeunes, si fiers
Et, comment le dire,
Nous avons perdu la lumière,
L'étoile qui caressait nos paupières.
Tout m'est égal...
(Lumières)
Il voyage en solitaire
Il voyage en solitaire
Et nul ne l'oblige à se taire
Il chante la terre
Il chante la terre
Et c'est une vie sans mystère
Qui se passe de commentaires
Pendant des journées entières
Il chante la terre
Mais il est seul
Un jour
L'amour
L'a quitté, s'en est allé
Faire un tour de l'autre côté
D'une ville où y'avait pas de place
Pour se garer
Il voyage en solitaire
Et nul ne l'oblige à se taire
Il sait ce qu'il a à faire
Il chante la terre
Il reste le seul volontaire
Et, puisqu'il n'a plus rien à faire
Plus fort qu'une armée entière
Il chante la terre
Mais il est seul
Un jour
L'amour
L'a quitté, s'en est allé
Faire un tour de l'autre côté
D'une ville où y'avait pas de place
Pour se garer
Et voilà le miracle en somme
C'est lorsque sa chanson est bonne
Car c'est pour la joie qu'elle lui donne
Qu'il chante la terre
Mais reprenons : entrer dans cette écoute, donc par les coups d'archet de quelque synthétiseur apparu là, dans l'ordre, pour le relief d'une musicalité nouvelle. Il n'était pas à l'aise, Alain, ce n'était pas son terril, ce paysage trop évasif, trop évasé et trop finement ciselé. Puis cela s'est dégagé... C'est in vivo que j'ai pu saisir l'activité d'un tel volcan : Vénus. Je les ai vues et eues d'un coup, prises en pleine face, ces pommes et pêches d'or et de diamant roulant au fond d'un val qui pouvait être devenu pour un instant celui de Rimbaud. Brûlure d'une sensation qui signifiait la profondeur et la proximité. N'était-ce l'amour ? dont le visage ami se transformait en un visage unique qui flamboyait : l'elfe prenait position, ses quartiers dominants... que chacun avait connus dans leur liquide fœtal, endormi en fœtus, rêvant de ne plus jamais revenir à la réalité ni voir le jour sans la tenir par la main, cette fée symbolisée par ses fruits légendaires, sans l'avoir avec soi, cette sœur des séminaux liquides..."
Un jour,
L'amour
L'a quitté, s'en est allé,
Faire un tour de l'autre côté
D'une ville où y avait pas de place¨
Pour se garer.
A l'écouter me ciseler ses aphorismes impressionnants et parfois hasardeux, revenait ce fantasme : le peindre. Et pourquoi pas chez lui, ou un sujet sur lui... j'avais le cadreur, le budget, il suffisait que j'indique le jour et l'heure, que je passe... mais trop pudique, trop prude.
De même quand je me trouvais bien des années avant à la frontière de Poi Pet, dans les camps de réfugiés, lors de "Royaume de Siam", et des travées de terre ocre où ça crachait, ça déféquait, mourait.
J'avais le boitier et le braquais sur rien, hésitant, fasciné. Je voyais "l'oeuvre de Dieu" dans la douleur d'enfants dont un grand nombre ne passeraient pas la nuit.
Maintenant je sais : je n'ai jamais su photographier que le beau.
A l'heure prévue, le train de Sila-at s'ébranla. Il quittait Bangkok. A chaque station, quelques voyageurs de plus et, le long des rails, quand le train ralentissait ou s'arrêtait, de jeunes garçons portant des plateaux de poulets rôtis, de fruits et de poissons séchés, montaient et couraient le long des compartiments.
Toutes les dix minutes c'était une nouvelle gare, avec sur la verdure, au loin, les pointes écroulées des temples. Il faisait de plus en plus chaud. Ombre bleue, lumière blanche et le long des voies, les longues bâtisses devant lesquelles se tenaient des paysans immobiles.
Pourquoi ne me réponds-tu jamais ?
Sous ce manguier de plus de dix mille pages
A te balancer dans cette cage
A voir le monde de si haut
Comme un insecte, mais sur le dos...
Vers onze heures, le paysage s'était mis à changer. Au loin, une rangée de montagnes découpait le ciel. Quelques nuages, toujours la même chaleur, et peu de vent. J'étais assis sur un des marchepieds, seul au-dessus de la rivière que nous longions déjà depuis longtemps et je ne me lassais pas de regarder cette eau, les reflets, les algues. Le train s'était arrêté dans une gare qui portait un nom de bateau et de port. Sur la rive d'une rivière importante dont les eaux étaient plus sombres, jaunes, marron, il y avait en effet un débarcadère. Par un jeu de vannes, l'eau des rizières s'écoulait doucement ; c'était une eau limpide parsemée d'herbiers, comme celle d'un lac où se mélangeait le lent courant des canaux ensemble le long des rails. De temps à autre, dans une barque dont le rebord dépassait à peine de la surface, une femme pêchait, ramenant un filet, le crane protégé du soleil par un chapeau de paille ou de feuille de bananier. Chaque village que nous traversions était encore plus beau, plus doux que le précédent.