Citations de Gilles Del Pappas (31)
L'impatience enrichit l'objet que tu désires.
(Jean-Max Tixier)
Les hommes du port larguent une amarre ; à bord, on remonte les dernières passerelles. Enfin, le bateau est libre, on sent la mer sous les pieds. Le mouvement n'est pas très fort, elle est calme, mais il y a un très léger tangage et le ronron du moteur. Rose se serre contre Marius.
- Tu as peur madame Escartefigues ?
Elle sourit:
- Non, je suis avec toi. Mon beau monsieur Escartefigues ! Mon cœur bat la chamade, je ne suis jamais sortie d'Europe !
Les badauds sur le quai font de grands " hou hou ! " Les enfants bougent les bras comme des moulins à vent, les hommes lancent casquettes et hauts-de-forme, les femmes agitent leurs mouchoirs de dentelle de Calais. En troisième classe, beaucoup sentent leur cœur se serrer. Presque tous partent sans se retourner sur leur passé, qui n'est pour la plupart qu'une suite de malheurs, de misères... Ils ont vendu leurs meubles, leurs vêtements, tout ce qui pouvait se négocier. Ils ont placé tous leurs espoirs, patrie intrinsèque de l'homme, dans ce pays dont partout on vante les mérites.
Il rappelle aux hommes que la nature peut être puissante. Il élimine toutes les pollutions de la grande ville rendant ainsi son ciel extrêmement lumineux, intact. S'il était un tant soit peu mystique, c'est exactement à ce moment-là que son esprit communierait le mieux avec l'haut delà.
Il y a dans ces cieux vierges de toute salissure, comme un signe du souffle divin. C'est marrant qu'au moment de mourir ce genre de pensées roule dans sa tête.
Fan de Pute!
Il manque d'éclater de rire, ce qui l'aurait instantanément tué, étouffé… noyé.
"Et étant arrivés au lieu appelé Golgotha, ce qui signifie lieu du crâne, ils lui donnèrent à boire du vinaigre mêlé de fiel; et l'ayant goûté, il n'en voulut pas boire. "
Il est content de mourir avec la pleine lune là-haut qui brille
d'une lumière surnaturelle. C'est ainsi quand le mistral souffle.
Ce vent violent qui courbe les pins jusqu'à les faire ressembler à leurs confrères japonais, rabote les caractères, obligeant les humains à se taire.
Son corps dans la mer est pâle. Encore vaguement éclairé par la lune là-haut, il se dégage du sombre de la mer… blanc bleuté. Il est nu et léger… enfin à part le poids qui l'attire vers le bas… le bout du monde.
Tout ça, c'est la faute à ces putains de parents! Pourquoi l'ont-ils abandonné dans cet hôpital, cette chaude nuit d'été. Depuis il se sent toujours seul. Toujours! Et ne fait confiance à personne.
Non, à personne! Ni ami, ni femme, ni chien… dégun.
C'est un intellectuel.
Le plan était parfait, oui, un plan d'intello. C'est Robert, le
garçon atteint de débilité affective, un terme qui ne voulait absolument rien dire, et surtout d'hypermnésie qui lui avait expliqué sa définition.
. Tu construis les plans dans ta tête avant de les mettre en application, ouais… t'es ce qu'on appelle un intellectuel.
D'ailleurs, des années plus tard, dans le milieu c'est toujours ainsi qu'on l'appelait… Gus la Gamberge.
Le vieux corse qui commande la troupe lui a gentiment expliqué.
. Tu comprends niston, c'est pas notre faute… nous, on t'en veut
pas… mais on est obligé… avec ce que tu as fait!
Il a hoché la tête, compréhensif.
. Bien sûr. Faites votre travail les gars, mais…
Il n'a pu s'empêcher de tenter le coup.
. …tout de même… vous êtes sûr qu’il n’y a pas d’autre
moyen ?
Il a secoué le cigare.
. On peut pas petit… on peut pas.
Hé oui, ils ne peuvent pas… normal, c'était la guerre.
On est entre gens de même milieu. Il n'y a pas de haine, juste, c'est le bisness. Il n'en veut pas aux cacous qui l'ont choppé et qui ont coulé des groles en béton à ses arpions. Au moins, ils ne l'ont pas torturé ni humilié. Ce qui n'aurait pas été le cas s'il avait été attrapé par certains résistants de la dernière heure.
Pourquoi avait-il choisi ce camp? Il ne se rappelait plus.
A l'époque il n'y avait finalement que deux solutions. Soit la résistance, et alors c'était la bande à "Mémé" qui depuis la libération était partout, soit… ouais, il avait choisi la deuxième solution.
Évident ! C’était le mauvais choix.
Peut-être à cause de la traction avant, les possibilités de l'obtenir semblaient plus rapides. Et effectivement…
Ouais, sinon ils se sont tous barrés. Tous sauf les petits, les obscurs… ceux qui avaient exécuté la sale besogne… comme lui. Il n'avait pas pu échapper aux vainqueurs. Le choix des vaincus n'était pas extensible à l'infini pendant la fin de cette guerre.
Aujourd'hui, il s’est tranquillement réfugié en Espagne.
Douillettement blotti dans la dictature de Franco avec Spirito.
Carbones, lui, avait eu moins de chance. Il était mort avant la fin de la guerre dans un attentat mis en place par la résistance qui avait fait sauter le train dans lequel il voyageait.
Les femmes, les drogues, les combats de boxe, et même la contrebande depuis l'Italie, de parmesan. Les nervis du coin ne pouvaient pas préparer un coup sans qu'ils touchent une commission… ouais, entreprenant…
La politique aussi les intéressait énormément et ils y avaient mis le bout de leur nez grâce à la complicité d'un drôle de mec, Monsieur Simon Sabiani. Ancien communiste, celui-ci, à la déclaration de la guerre avait choisi le camp de la mort, celui de la Gestapo.
Il avait dû la faire repeindre en noir quand il avait été recruté aux Baummettes par Carbones. Les Allemands pour qui il travaillait, n'aimaient pas les signes ostentatoires d'élégance, de distinction, d'harmonie brillante. Non, le gris classieux n'avait pas la faveur de ces messiers, ils préféraient nettement le noir.
Monsieur Carbones… avec son complice Spirito avaient mis Marseille et sa région en coupe franche. Ils s'occupaient de tout, c'était des entrepreneurs dynamiques, ça…
Un gris élégant laissant présager un conducteur, cultivé, aisé. Un mec fin de race, fils de bonne famille qui claque son oseille comme ça… sans réfléchir! Une liasse dans la poche attachée avec une épingle à cravate, fumant des américaines à bouts filtres, des souliers anglais cousus mains aux pieds…
La plus rapide des voitures de grand tourisme!
Une sacrée bagnole qui quille tout le monde.
D'ailleurs, depuis le gang des Tractions qui avait sillonné et mise à sac la France avant guerre, les flics n'arrivant pas à leurs coller au cul, le milieu en avait fait son véhicule de prédisposition.
La sienne était grise.
Oui, de façon complètement irraisonnée il pense aux routes empruntées à toute allure, avec sa fameuse et aimée Quinze.
Monsieur Citroën a bien fait d'inventer le fameux cardan,
entraînant la fabrication de la traction-avant. Une création qui a bouleversé toutes les lois régissant l'ingénierie de l'automobile pour aboutir à ces merveilles de mécanique, cachées sous cette belle robe racée.
La pente brutale n'est pas, malgré la situation, sans lui rappeler les courses qu'il faisait en voiture, à fond sur la petite route qui longe le bord de mer… la corniche. C'est la dernière image qu'il emporte avec lui pour l'enfer. Une suite de petites lumières jaunâtres qui forme un collier brillant au cou de Marseille, sa ville folle qu'il aime tant.
Immédiatement la descente est rapide. Il sent ses cheveux, qu'il porte généralement assez long et retenus en arrière par une couche de brillantine "Gomina" être brutalement attirés sur le haut de son crâne et flotter tel une traîne sur la tête d'une vierge s'apprêtant au sacrifice ultime du mariage.
Cette fois, ça y est!
Un des hommes frissonne malgré son gros manteau, inquiet de sortir en barquette par ce zef violent.
. Un mistral à déraber la queue des ânes!