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EAN : 9782070325139
328 pages
Gallimard (13/04/1989)
3.56/5   79 notes
Résumé :
Les démocraties contemporaines, marquées par le dépérissement des grands projets collectifs, seraient entrées dans l'ère du vide. Cependant, ce vide idéologique n'est pas nécessairement un mal mais constitue aussi une chance. Chacun peut désormais se consacrer tout entier à lui-même et mener une vie "à la carte". Gilles Lipovetsky, évitant l'écueil de la déploration, analyse sans les juger le... >Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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« La culture du narcissisme », livre du sociologue américain Christopher Lasch, publié en 1979, avait radicalement changé ma vision de la société moderne. « L'ère du vide », du sociologue français Gilles Lipovetsky, publié 4 ans plus tard, le complète parfaitement.

Le sujet du livre est l'individualisme post-moderne et le narcissisme contemporain, le même que Lasch. D'ailleurs, Lipovetsky cite maintes fois son collègue américain dans l'essai intitulé « Narcisse ou la stratégie du vide ». Tandis que Lasch abordait cette thématique à travers le prisme de la famille, du sport ou de la thérapie par exemple, Lipovetsky étend encore l'analyse. Il formule le concept de « séduction », qui peut se définir comme la possibilité d'un choix à la carte de l'existence individuelle, conduisant à une atomisation des individus au sein de la société. Il s'intéresse aux thématiques de l'humour et du comique, de l'art, de la violence, de l'honneur, de la révolution et même de la musique. Cette étude large du phénomène individualiste post-moderne permet de mieux saisir ses enjeux, ses manifestations concrètes.

Mais on en vient ici à ce qui constitue ici le défaut de la thèse de Lipovetsky, selon moi. Ce défaut, c'est la fatalité extrême de l'émergence de la personnalité narcissique chez les individus post-modernes. Je le rappelle, selon Lipovetsky, le système contemporain est un système de séduction, qui propose un maximum de choix et de possibilités aux individus, leur permettant de fabriquer leur existence à leur convenance. Mais le corollaire de cette définition est que tous les choix de vie, dès lors qu'ils sont compris dans le cadre temporel de la post-modernité, plongent leurs racines dans un individualisme et un narcissisme excessifs. Ainsi, peu importe les phénomènes sociaux et les projets idéologiques, tous peuvent être expliqué par la volonté égocentrique des individus qui les portent.

Vous êtes ultra-connectés et vous ne pouvez plus vous passer de votre smartphone ? Vous êtes donc individualiste car vous vous renfermez sur vous-même et cherchez à vous couper du monde. A l'inverse, vous avez abandonné votre smartphone et cherchez à vous ouvrir aux autres et au monde ? Vous êtes également individualiste et narcissique car votre choix est marginal et à contre-courant, vous psychologisez vos relations à autrui et cherchez à améliorer votre petite existence par la rencontre et l'expérience ; vous recherchez la sensation, ou le sens de VOTRE vie.

La thèse de l'auteur ne laisse donc aucune issue : dès l'instant où vous faites un choix de vie, quel qu'il soit, vous devenez un produit de la société post-moderne individualiste. Comme plus aucun grand système de sens, aucune grande institution, aucune grande valeur ne guident le groupe, chaque individu est livré à lui-même et condamné à être libre, et donc narcissico-égocentrique. Fatalisme pessimiste ou Réalisme glaçant ?

De plus, il m'a semblé que beaucoup de traits considérés par l'auteur comme propres au narcissisme post-moderne étaient en réalité beaucoup plus anciens voire intemporels : philosophie moniste, culte du corps, rapport de domination dans les relations interpersonnelles, volonté de détachement passionnel et d'invulnérabilité émotionnelle, refuge dans une citadelle intérieure… Cela peut faire penser aux stoïciens, à Montaigne ou à Spinoza, non ? J'en déduis donc que les individus ne sont narcissiques que parce que leur époque l'est, et qu'ils n'ont donc aucun moyen de ne pas l'être…

Le texte est parfois ardu, l'auteur utilise un vocabulaire de niche, des concepts et des néologismes rares, parfois des phrases à rallonge. Mais dans l'ensemble, le propos est limpide et le message clair, et on trouve au fil des pages quelques paragraphes brillants.

Il faut aussi saluer le talent visionnaire exceptionnel de l'auteur, qui refuse les poncifs absurdes ou les constats obsolètes, comme par exemple : « Olalala la société de consommation nous pousse à acheter et à nous définir uniquement à travers ce que nous possédons, elle détruit les codes traditionnels pour créer un consommateur uniformisé et standardisé tel un robot… ». Non, au contraire, Lipovetsky va beaucoup plus loin, il comprend que la consommation purement matérialiste ne dépasse pas les années 60, et que la logique de la séduction s'immisce beaucoup plus profondément dans la personnalité. A ce sujet, il écrit : « c'est le « matérialisme » exacerbé des sociétés d'abondance qui, paradoxalement, a rendu possible l'éclosion d'une culture centrée sur l'expansion subjective, non par réaction ou « supplément d'âme », mais par isolation à la carte. La vague du « potentiel humain » psychique et corporel n'est que l'ultime moment d'une société s'arrachant à l'ordre disciplinaire et parachevant la privatisation systématique déjà opérée par l'âge de la consommation. ». C'est quand même bien plus poussé !
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L'auteur présente en tout début d'ouvrage la caractéristique de ce qu'il nomme les sociétés post modernes, à savoir l'émancipation du plus grand nombre d'individus des règles uniformes prévalant jusqu'à lors et qui s'imposaient à la masse. le libre déploiement de la personnalité, la jouissance assumée sont les caractéristiques de ces sociétés qui mettent en avant l'hédonisme sinon le narcissisme.
Ainsi, l'auteur entrevoit il le post-modernisme, également marqué par un désintéressement de masse qui touche tous les domaines : travail (absentéisme et pré-retraite), famille (expansion des divorces et de la monoparentalité), engagement public (syndicalisme en crise, abstentionnisme électoral), de manière sombre. Pour avoir été écrit en 1983, l'ouvrage avait d'ores et déjà analysé et prédit cette orientation.
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Ce livre date de 1983...L'auteur faisait déjà référence à cette époque à ce que la future société allait engendrer, à savoir l'individualisme roi, la perte du sens commun, la concurrence à tout prix..Il gardait cependant espoir en évoquant non un écroulement des valeurs morales, mais une sorte de transfert vers l'humanitaire notamment...une sorte de refuge pour l'homme, pour ne pas sombrer dans une société dépourvue d'humanité où seul le marché aurait droit de cité...En 1983 on aurait pu douter des transforamtions qu'il annoçait, même la perte des équilibres, où du moins d'une espérance dans une solution alternative y est décrite, à savoir l'écroulement du bloc de l'Est...a relire donc....
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Une écriture prétentieuse, à la limite de l'intelligibilité, qui s'apparente plus à une démonstration d'érudition par un assemblage de mots rares et brillants qu'à un discours structuré, porteur de sens et conçu pour être compris. Il suffit de lire le pénible avant-propos pour s'en convaincre. Dommage pour une matière qui pourrait être si intéressante!
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Sombre et pédant, lipovetsky livre pourtant au travers de son livre une analyse non moins lucide sur le monde post-modèrne, où le sacré et le collectif ne sont plus, où l'homme se met en scène et voue son existence au paraître, non plus à l'être.
La question qui se pose une fois son oeuvre terminée, est de savoir quel recul prendre par rapport au négativisme profond de chaque phrase parcourue, et de comment utiliser positivement ce savoir pour changer les choses.
Car après avoir déconstruit, le plus dur sera de reconstruire.
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Rien n’est plus étrange en ce temps planétaire que ce qu’on désigne par « retour du sacré » : succès des sagesses et religions orientales (zen, taoïsme, bouddhisme), des ésotérismes et traditions européennes (kabbale, pythagoricisme, théosophie, alchimie), étude intensive du Talmud et de la Torah dans les Yéchivot, multiplication des sectes ; incontestablement, il s’agit là d’un phénomène très post-moderne en rupture déclarée avec les Lumières, avec le culte de la raison et du progrès. Crise du modernisme pris de doute sur lui-même, Incapable de résoudre les problèmes fondamentaux de l’existence, incapable de respecter la diversité des cultures et d’apporter la paix et le bien-être de tous ? Résurrection du refoulé occidental au moment où celui-ci n’a plus aucun sens à offrir ? Résistance des individus et groupes devant l’uniformisation planétaire ? Alternative à la terreur de la mobilité en revalorisant les croyances du passé ? Reconnaissons que nous ne sommes pas convaincus par ce type d’analyses.

Il convient avant tout de remettre à sa juste place l’engouement actuel dont jouissent les multiples formes de sacralité. Le procès de personnalisation a pour effet une désertion sans précédent de la sphère sacrée, l’individualisme contemporain ne cesse de saper les fondements du divin : en France, en 1967, 81 % des jeunes de quinze à trente ans déclaraient croire en Dieu ; en 1977 ils n’étaient plus que 62 %, en 1979, 45,5 % seulement des étudiants déclaraient croire en Dieu. Qui plus est, la religion elle-même est emportée par le procès de personnalisation : on est croyant, mais à la carte, on garde tel dogme, on élimine tel autre, on mêle les Évangiles avec le Coran, le zen ou le bouddhisme, la spiritualité s’est mise à l’âge kaléidoscopique du supermarché et du libre-service. Le « turn over », la déstabilisation a investi le sacré au même titre que le travail ou la mode : quelque temps chrétien, quelques mois bouddhiste, quelques années disciple de Krishna ou de Maharaj Ji.

Le renouveau spirituel ne vient pas d’une absence tragique de sens, n’est pas une résistance à la domination technocratique, il est porté par l’individualisme post-moderne en en reproduisant la logique flottante. L’attraction du religieux est inséparable de la désubstantialisation narcissique, de l’individu flexible en quête de lui-même, sans balisage ni certitude – fût-ce dans la puissance de la science –, elle n’est pas d’un autre ordre que les engouements éphémères mais néanmoins puissants pour telle ou telle technique relationnelle, diététique ou sportive. Besoin de se retrouver soi-même ou de s’annihiler en tant que sujet, exaltation des rapports interpersonnels ou de la méditation personnelle, extrême tolérance et fragilité pouvant consentir aux impératifs les plus drastiques, le néo-mysticisme participe de la gadgétisation personnalisée du sens et de la vérité, du narcissisme psy, quelle que soit la référence à l’Absolu qui le sous-tend. Loin d’être antinomique avec la logique majeure de notre temps, la résurgence des spiritualités et ésotérismes de tout genre ne fait que l’accomplir en augmentant l’éventail des choix et possibles de la vie privée, en permettant un cocktail individualiste du sens conforme au procès de personnalisation. (pp. 169-171)
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...,c'est à un détachement émotionnel qu'aspireraient de plus en plus les individus,en raison des risques d'instabilité que connaissent de nos jours les relations personnelles.Avoir des relations interindividuelles sans attachement profond,ne pas se sentir vulnérable,développer son indépendance affective,vivre seul,tel serait le profil de Narcisse.
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La séduction renvoie à notre univers de gammes optionnelles, de rayons exotiques, d’environnement psy, musical et informationnel où chacun a loisir de composer à la carte les éléments de son existence. « L’indépendance, c’est un trait de caractère, c’est aussi une façon de voyager à son rythme, selon vos désirs ; construisez « votre » voyage. Les itinéraires proposés dans nos Globe-Trotters ne sont que des suggestions qui peuvent être combinées, mais aussi modifiées en tenant compte de vos souhaits. » Cette publicité dit la vérité de la société post-moderne, société ouverte, plurielle, prenant en compte les désirs des individus et accroissant leur liberté combinatoire. La vie sans impératif catégorique, la vie kit modulée en fonction des motivations individuelles, la vie flexible à l’âge des combinés, des options, des formules indépendantes rendus possibles par une offre infinie, ainsi opère la séduction
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Communiquer pour communiquer, s'exprimer sans autre but que de s'exprimer et d'être enregistré par un micropublic, le narcissisme révèle ici comme ailleurs sa connivence avec la désubstantialisation post-moderne, avec la logique du vide.
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Et c'est précisément ce renversement du rapport immémorial de l'homme à la communauté qui va fonctionner comme l'agent par excellence de pacification des comportements. Dès lors que la priorité de l'ensemble social s'efface au profit de l'intérêt et des volontés des parties individuelles, les codes sociaux qui rivaient l'homme aux solidarités de groupe ne peuvent subsister : de plus en plus indépendant par rapport aux contraintes collectives, l'individu ne reconnait plus comme devoir sacré la vengeance du sang, qui pendant des millénaires a permis de souder l'homme à son lignage.
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