Bien. Vous partez sur le vol CFAP et vous atterrirez à Marseille, dans moins d’une heure. De là, un hélicoptère de la gendarmerie vous transportera à Château - Arnoux.
Enzo contempla son supérieur, intrigué.
— Châteauroux, vous dites, ou ai-je mal entendu ?
Le divisionnaire soupira.
— Château - Arnoux, dans les Alpes de Haute Provence, entre Sisteron et Digne. Vous ne connaissez pas ?
Ses deux subalternes secouèrent négativement la tête.
— Bref, une patrouille de gendarmerie sur place a trouvé deux cadavres dans la mairie de la ville, la Section de Recherches d’Aix - en - Provence a été missionnée par le magistrat instructeur et le patron de la SR12, votre copain … Un certain …
Pas besoin de me faire un dessin. Je vais te dire une bonne chose, ma première autopsie, je suis tombé dans les pommes, la seconde, j’ai dégueulé mes tripes et boyaux, la troisième, je tenais à peine debout et ainsi de suite jusqu’à ce que j’arrive à me détacher de ce que je voyais. C’est horrible, mais tu ne peux pas faire autrement. Il n’y a que dans les films où les héros mangent leur sandwich devant la table avec le légiste en train de découper un corps en rondelles ! Alors ne t’inquiète pas et comme cela, je n’aurai pas besoin de mentir quand je ferai mon rapport sur toi. Marania fut aussitôt soulagée.
Enzo, comment s’y est pris le capitaine Delcourt pour missionner le GIGN ? Normalement pour ce genre d’arrestation et étant donné que nous sommes à Marseille, n’est - ce pas le RAID22 qui devait intervenir ? Battista haussa les épaules.
— GIGN ou RAID, même combat ! Derrière, on trouve des mecs très compétents, formés aux petits oignons et avec une paire si grosse qu’il leur faut une brouette pour les transporter ! Mais là, je pense que Florent a actionné les bons leviers et fait jouer ses relations. Normalement, tu as raison, c’était une mission pour le RAID. Personnellement, je m’en fous, tout ce que je veux c’est qu’on puisse serrer notre cible ! Marania le contempla.
— C’est vrai que, lorsqu’on voit les reportages à la télévision, les membres de ces forces d’élite sont vraiment des supermen !
Esther se précipita comme une furie. Herbert tenta de la retenir et elle lui échappa malgré ses efforts. L’autre sortit son arme de service et fit feu. Une seule fois. Esther fut arrêtée net et fit lentement demi - tour pour regarder son mari. Elle tendit la main vers lui alors qu’une tache de sang s’agrandissait à hauteur de sa poitrine. Elle essaya de parler et tomba doucement sur le sol, ses jambes cédant sous son poids. Dans un dernier effort, elle se retourna sur le dos et ses yeux cherchèrent son regard comme l’ultime planche de salut. Herbert était pétrifié. Elle eut la force d’un sourire et expira.
— Non … gémit - il, la voix pleine de sanglots. Le responsable vociféra et s’en prit au tireur.
Céline n’avait jamais écouté les ragots du village, les bruits colportés pour faire mal et nuire aux gens –envers de la médaille de la vie en province. Cathy, la sœur de Pierre, en avait largement payé le prix. On y était au calme, mais il ne fallait pas qu’un brin d’herbe dépasse de la pelouse, sous peine de se voir mis à l’index. La différence y était un crime ! Alors, l’homosexualité… Combien de Cathy, combien de Sylvio faudrait-il pour que les esprits puissent enfin évoluer ?
Il y avait des moments où seul le silence pouvait dire l ’ essentiel.

Il observa sa soeur de profil, elle semblait apaisée, calme et profitait de l’instant. Il lui semblait qu’elle avait toujours été comme cela et pourtant, ce n’était pas le cas. Ce périple au coeur de la nature sauvage corse serait le voyage initiatique de Claire, ou plutôt le sien, car Marc ne comprenait toujours pas ce qui avait pu la transformer ainsi. À son égard, elle était comme autrefois, aimante, câline, parfois piquante, voire chiante, songea-t-il, mais Claire ne lui avait jamais manqué de respect. Non, cela concernait sa soeur et ses parents.
Que s’était-il passé ?
— À quoi penses-tu ?
Sa question le sortit de ses réflexions.
— Que tu deviens bougrement jolie et ça m’énerve de savoir que les mecs te courent après.
Claire éclata de rire.
— T’es quand même pas gonflé de me dire ça. L’hôpital qui se fout de la charité ! Pas plus tard qu’hier, tiens, dans le magasin de fringues... Toutes les gonzesses te bouffaient du regard...
Claire prit un air de grande dame et singea une voix de crécelle.
— Et bien sûr, Monsieur, comme vous avez raison, Monsieur, et patati et patata... Et que je te fasse des sourires, et que je me frotte ! Non, mais oh ! Je ne suis pas aveugle, hein ?! Toutes les nanas voulaient ton numéro de téléphone et tu n’avais plus qu’à claquer les doigts pour en...
— Stop ! Pas de vulgarités, s’il te plaît.
Puis Marc finit par rire à son tour. Elle posa la tête sur son épaule.
— J’suis fière que tu sois mon frère, rien qu’à moi. Je t’aime, frangin...
Une bouffée d’amour s’empara de Marc et il se contenta de l’enlacer pour la serrer plus fort contre lui.
— Moi aussi, je t’aime, Claire. T’es la meilleure des petites soeurs.
Épaule contre épaule, frère et soeur admirèrent le paysage sauvage qu’un géant avait certainement modelé, uniquement à leur attention. En cet instant, ils étaient seuls au monde et leur complicité les fit taire, submergés l’un et l’autre par une tendresse fraternelle qui s’exprimait beaucoup mieux dans le silence et dans lequel tant de sentiments se révélaient.
— Mon supérieur hiérarchique, le commissaire divisionnaire Jean de Maison-Neuve, le fameux patron de l’OCBC à Paris. L’homme qui me supporte, ou peut-être l’inverse.
Nouveaux rires. De Maison-Neuve lui sourit et hocha la tête.
— Rien à faire, Battista, vous n’êtes pas fichu de vous habiller convenablement même pour une telle journée...
Ceux qui connaissaient bien Enzo fermèrent les yeux et retinrent leur souffle. C’était tout à fait le genre de provocation qu’il fallait pour lancer le commandant sur son terrain favori, celui de la contradiction. Battista se contenta de sourire et retourna à son bureau. Il ôta la veste et la cravate puis remonta ses manches de chemise avant de revenir.
— Merci, patron, je me sens mieux.

Son père tira sa montre gousset de sa poche et tempêta:
– Nous allons finir par être en retard ! Ah, si nous n’avions pas perdu de temps à vous convaincre de venir, nous n’en serions pas là ! Quand je pense que vous ne vouliez pas être présenté à votre future épouse ! Après tout le mal que j’ai eu à convaincre son père ! Heureusement, grâce à mes relations…
– Grâce au fait surtout que votre fils est aujourd’hui un héros, l’interrompit sa mère.
Pierre soupira. Voilà, ils étaient de nouveau repartis dans une querelle sans fin. Sur un sujet qui le heurtait au plus haut point, mais où il n’avait pas son mot à dire. Il était promis à cette Clémence, fille d’un général attaché à l’Empereur dès la première heure. Et il savait pertinemment que sa mère avait raison : c’était en raison de ses glorieux faits d’armes qu’il avait été choisi. Et lui, on ne lui avait pas donné le choix.
Tristement, il se plongea dans la contemplation du spectacle parisien, par la fenêtre. Dommage que la vie ne soit pas comme un champ de bataille. Au moins, il aurait le choix.
Oui, Madame, vous m ’ avez mise au monde... Une mère demeure une mère en protégeant son enfant, sa vie durant. Elle ne l ’ abandonne pas au profit de l ’ argent ou d ’ un mariage inique avec un monstre qui viole sa progéniture... Madame.