Citations de Gina Lamanna (54)
C'est amusant, Lulu. Car figurez-vous que trois autres femmes m'ont raconté exactement la même histoire. J'ai quatre confessions sur les bras, quatre femmes, chacune prétendant avoir agi seule, mais un seul cadavre - le compte n'y est pas.
La chaleur du petit corps avait quelque chose d’apaisant. Sans avoir eu le temps de s’en rendre compte, Emily tenait un bébé dans ses bras.
Cette petite fille a probablement très peur de moi, pensa Emily. Elle n’avait qu’une envie, la serrer contre elle et se gorger de son odeur de nourrisson, sentir le savon et le talc sur sa peau lisse. Les bébés percevaient-ils la peur des autres, à l’instar des chiens ? Car Emily transpirait la peur, la convoitise et la colère. Et quelque part sous cette colère se trouvait une blessure si profonde que rien ne saurait jamais la refermer.
Emily prit une vive inspiration, assaillie par une poussée de culpabilité. Elle ne s’était pas déplacée pour consoler Sydney mais parce qu’elle était intriguée par le bébé. De façon égoïste, elle avait surtout songé à découvrir quels sentiments naîtraient en elle quand elle poserait les yeux sur la petite chose qui se tortillait dans sa couverture. Ne s’étant plus approchée si près d’un nourrisson depuis si longtemps, elle éprouvait le besoin de vérifier si elle en était encore capable. Si elle viendrait à le regarder, à le sentir, à le toucher… sans se sentir écrasée.
Nous n’étions pas riches, simplement une petite famille normale qui travaillait dur… jusqu’au jour où ils sont morts. (Elle secoua la tête.) Vous avez entendu le ton que Janice a pris pour me parler ? Pas étonnant que mes parents se soient éloignés de ces gens-là. Je n’en reviens toujours pas d’avoir été invitée à ce mariage, même s’il est vrai que la mère d’Arthur a été une bénédiction pour moi, après la mort de mes parents. Elle m’a aidée financièrement pour les obsèques, ce genre de choses. Par culpabilité, sans doute.
Elle se donna une contenance en s’enfonçant dans son fauteuil puis en tournant la tête vers le bar. Un soupir de soulagement lui échappa lorsqu’elle constata que Lulu, de retour de son escapade dans les étages, s’installait sur le tabouret voisin de celui de son époux, qui s’adressait à elle les lèvres pincées.
En plus de rides de stress sur le front, cette femme avait les yeux cernés trahissant un manque de sommeil chronique. Elle semblait à peine assez âgée pour avoir un enfant ; on l’aurait plus volontiers imaginée se baladant sur un campus, un sac à dos sur l’épaule, qu’avec un bébé plaqué sur la poitrine.
Elle avait en outre tout à fait l’allure d’une femme aisée ne buvant qu’en société : en plus du jean et des talons aiguilles les plus chics de sa garde-robe, elle portait un chemisier noir moulant bordé de dentelle. S’ajoutaient à cela quelques-uns de ses accessoires favoris – une montre-bracelet très fine, qu’elle possédait depuis des lustres, deux petits diamants aux oreilles, ainsi qu’un collier en argent qui n’avait pas coûté grand-chose mais qui avait une grande valeur sentimentale pour elle, car Whitney le lui avait offert à l’époque de la fac. Sa tenue n’avait rien de luxueux mais elle s’était donné la peine d’avoir de l’allure. C’était un aspect essentiel de la comédie.
Emily pouvait s’arrêter de boire quand elle le décidait, elle n’était donc pas alcoolique. Elle avait même décliné un verre ce soir ! Les alcooliques sont incapables d’une telle prouesse. (Peu importait qu’elle en ait commandé un autre peu après, elle avait d’elle-même refusé de boire sur le moment. Cela avait été une décision cohérente, logique, et non une contrainte.) Elle n’avait pas voulu que Lulu lui offre ce verre, c’est tout.
Cette femme est un don de Dieu. Franchement, j’ai presque du mal à comprendre pourquoi elle reste avec moi. Elle n’est pas ma meilleure moitié, comme on dit, mais plutôt mes meilleurs quatre-vingt-dix pour cent ! Sans elle, je… je serais sans doute mort. Mort de faim, quelque chose comme ça.
Je t’aime. Tu m’aimes. Nous avons trois merveilleux enfants. Elsie est une ado et traverse certaines épreuves – c’est normal. Cet incident est peut-être une bonne chose, finalement. Nous allons passer une semaine entière ensemble ; ces quelques jours de détente nous permettront peut-être de la convaincre de s’ouvrir à nous.
C’est normal, quand on voyage avec des enfants, dit l’hôtesse, qui, compréhensive, posa une main sur l’épaule de Ginger. Mais si vous pouviez vous installer rapidement, avec votre charmante famille, pour nous permettre de décoller…
Ces derniers temps, Ginger avait le sentiment d’être la pire épouse au monde et une mère encore plus catastrophique. Elle ne cessait de se faire du souci. À propos de ce vol, par exemple, à propos d’Elsie, renfermée sur elle-même depuis quelque temps, à propos du prix des nouvelles chaussures à crampons de Tom, ou encore à propos des médicaments de Poppy.
Lulu y découvrit quelques mots et reconnut instantanément l’écriture de Pierce. Et le pire, c’est qu’il avait daté son message, cet imbécile ! Il était ainsi certain que Pierce était remonté dans la chambre dans le seul but de rédiger cette lettre sordide.
Les mains tremblantes, Lulu entreprit de lire le billet doux à coup sûr destiné à l’autre femme.
Que de secrets dans cette expression ! Lulu avait passé l’âge de s’approcher en douce de son mari de soixante-quatorze ans pour surveiller ses « regards furtifs ».) Il tourna la tête vers elle, non sans curiosité, mais ne parut pas l’apercevoir, sans doute parce qu’elle s’était tapie derrière une plante verte, le cœur battant à tout rompre. Elle n’avait pas éprouvé une telle angoisse depuis l’époque où, petite fille chahuteuse, elle jouait à cache-cache. Pour tout dire, sa nervosité était telle qu’elle fut soudain saisie d’une envie pressante.
Nourrir de telles pensées à propos de son mari, confinant à la paranoïa, faisait horreur à Lulu ; elles étaient comme un poids sur sa conscience. Elle culpabilisait de soupçonner ainsi Pierce alors qu’elle n’avait même pas trouvé suffisamment d’assurance en elle pour aborder franchement la question avec lui.
C’est l’avantage d’avoir épousé un vieil homme fortuné dont les bonnes manières remontent à la Grande Dépression.
Les tambours et trompettes ne sont pas vraiment ma tasse de thé, voyez-vous. J’aime l’amour. La romance, la passion, le désir. Il est question de tout autre chose lors d’une cérémonie de mariage.
Lulu n’aimait pas évoquer ses précédentes relations en présence de Pierce, dont elle jugeait le passé beaucoup plus flatteur que le sien. En effet, il avait mené une brillante carrière d’avocat, possédait une splendide maison et jouissait d’un compte épargne retraite fourni, sans mariage raté derrière lui. Son unique casserole était d’être resté célibataire la majeure partie de ses soixante-dix ans d’existence.
Elle apportait un peu de piment dans leur vie, brisant la monotonie des dernières décennies, au cours desquelles les deux sœurs avaient passé leur temps à entretenir un perron surchargé de plantes mortes et à s’occuper d’un chat aveugle.