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Citations de Gouzel Iakhina (312)


Gouzel Iakhina
Les contes et les légendes, c'est la base ! La base de l'âme, ses fondements qui sont posés dans l'enfance, sur lesquels repose toute l'essence humaine.
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Petit Coucou prit le sein. Retrouvant enfin du lait maternel, il s'accrocha au sein de la paysanne qu'il arrivait à peine à faire entrer dans sa bouche et se mit à téter avec rage. Il déglutissait hâtivement, bruyamment, en gémissant ; le lait faisait des bulles et coulait sur le menton du nourrisson. Parfois, il s'étouffait, grondait avec dépit, puis s'accrochait encore plus fort à la source de nourriture au-dessus de lui.
Délicatement, sans gêner Petit Coucou dans sa tétée, la paysanne sortit son deuxième sein, et y mit son bébé. Elle était assise, ses gros bras écartés comme deux ailes, chacun abritant un bébé. Ses énormes seins brillaient dans la pénombre du wagon, son visage était radieux et majestueux.
Deiev était debout à côté d'elle, incapable de détourner le regard de la femme, sentant l'odeur aigre du pain qui montait de son corps. Il avait failli lui faire des reproches pour avoir commencé trop tôt à nourrir son propre enfant, mais sa chair était si énorme et nourrissait si généreusement les bébés qu'il se retint.
La commissaire était également là et regardait. C'était à la fois gênant : Deïev avait honte (de lui ? de la paysanne impudique ?), mais il aurait voulu prolonger cette minute, comme si elle les unissait, lui et Blanche, dans la participation à quelque chose d'important et de sacré.
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Il ne mesurait plus le temps en minutes, mais à la rosée du matin et du soir, au cheminement des étoiles dans le ciel, aux phases de la lune, aux chutes de neige, à l'épaisseur de la glace sur le fleuve, à la floraison des pommiers et au vol des oiseaux sur la steppe. (...) Le temps, s'il ne ralentissait pas, devenait presque imperceptible, manquait de disparaitre, comme le courant le plus rapide peut disparaitre dans une anse profonde, couverte de roseaux et de lentilles d'eau.
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Ignatov ne comprenait pas comment on peut aimer une femme. On peut aimer des choses grandioses : la révolution, le Parti, son pays. Mais une femme ? Et comment peut-on utiliser le même mot pour exprimer son rapport à des choses d’importance si différente : comment mettre sur la même balance une quelconque bonne femme et la révolution ? C’était ridicule.
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Parfois, elle avait l’impression qu’elle était déjà morte......Mais lorsque Zouleikha s’approchait des latrines improvisées dans un coin de la cellule, qui consistaient en un grand seau de fer-blanc sonore, et qu’elle sentait ses joues brûler de honte, elle comprenait soudain qu’elle était encore en vie. Les morts ne connaissent pas la honte.
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Quatre mille kilomètres, c'était exactement la distance qu'allait devoir franchir le train sanitaire de Kazan au Turkestan. Le train lui-même n'existait pas encore : l'ordre de sa formation avait été signé la veille, le 9 octobre 1923. Il n'avait pas non plus de passagers, qu'il faudrait récupérer dans les foyers d'enfants et les centres d'accueil, filles et garçons, entre deux et douze ans, les plus faibles et les plus épuisés par la faim. En revanche ce convoi était déjà pourvu d'un chef : Deiïv, un vétéran de la guerre civile, un jeune. Il venait tout juste d'être nommé.
(Incipit)
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Au soir, j'avais froid. Je me suis serré contre les jambes de ma mère, mais elles ne me réchauffaient pas. J'ai pensé la couvrir avec le manteau en mouton, mais je me suis souvenu qu'au printemps on l'avait échangé contre un demi-seau de pommes de terre. Je me suis glissé sous la jupe de ma mère, j'ai étreint ses genoux, froids et durs comme de la pierre. Je lui ai fermé les yeux pour qu'ils ne souffrent pas du froid.
Le corps maternel répandait un tel froid, comme si nous étions sous terre, que j'en tremblais (...).
La jupe maternelle semblait être non en tissu, mais en givre, glacée au toucher. Son saroual aussi, et les tissus enroulés autour de ses pieds aussi. Alors, j'ai compris que le givre dans ses cheveux étaient en train de se répandre dans tout son corps, se communiquant aux choses et transformant tout autour d'elle en glace.
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 On s’était mis à désigner par essor des koulaks l’enrichissement rapide des paysans exilés. Envoyés à des milliers de kilomètres de leur maison natale, ils avaient, en six à huit ans, réussi à se remettre du choc, à se faire à leur vie nouvelle, et se débrouillaient pour gagner ici aussi un sou de plus, le mettre de côté, puis l’utiliser pour acheter de l’outillage et même du bétail pour leur usage personnel. Bref, les paysans dépouillés jusqu’à l’os se rekoulakisaient, ce qui, bien évidemment, était inadmissible. C’est pourquoi les hautes sphères de l’État avaient pris une sage décision : il s’agissait de stopper immédiatement l’essor, de punir les coupables, et d’organiser en kolkhozes ces koulaks qui, même en exil, avaient manifesté perfidement leur propension inextirpable à l’individualisme. Une vague punitive parcourut les rangs du NKVD, fauchant ceux qui avaient toléré cette rekoulakisation, y compris dans les plus hauts échelons, et se fondit dans le courant général des répressions de 1937-1938. 
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Seuls des esprits limités peuvent supposer que les événements historiques naissent de telle ou telle personnalité. Ce sont les idées qui mettent l’Histoire en branle. Elles ne se contentent pas de s’emparer des masses et d’y acquérir le poids nécessaire ; elles prennent la forme, en chair et en os, de gens concrets, pas toujours appropriés. Et c’était une idée qui, en Russie, avait fait la révolution, après s’être personnifiée, au gré des circonstances, dans un petit homme à la santé vacillante [Lénine], avec une capacité de travail et un talent oratoire hors du commun, et l’avoir emporté comme une comète à travers toutes les difficultés et les dangers : arrestations, exils, trahisons, attentats. S’il n’avait pas existé, le pays aurait eu un autre chef, plus ou moins grand que lui, aux cheveux plus ou moins foncés. 
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La mort est partout. Zouleikha l’avait compris enfant déjà. […] Elle s’était habituée à cette idée comme le bœuf s’habitue au joug, comme le cheval s’habitue à la voix de son maître. Certains n’avaient droit qu’à une toute petite pincée de vie, comme ses filles, d’autres s’en voyaient offrir une poignée, d’autres encore en recevaient une quantité incroyablement généreuse, des sacs et des granges entières de vie en réserve, comme sa belle-mère. Mais la mort attendait chacun d’eux – tapie au plus profond d’eux-mêmes, ou marchant tout près d’eux, se frottant à leurs jambes comme un chat, s’accrochant à leurs habits comme la poussière, entrant dans leurs poumons comme de l’air. La mort était omniprésente – plus rusée, plus intelligente et plus puissante que la stupide vie, qui perdait toujours le combat. 
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Il jurait majoritairement en russe, mais il pouvait le faire aussi en kirghize, en tatar, en bachkir, il connaissait des injures tchouvaches, mordves et ourdmourtes, tchérémisses et kalmoukes : les mots et les langues se collaient à lui comme des chardons à ses pantalons.
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« … Les Gnadenthalois, comme les autres habitants de la Volga, ont depuis leur enfance le « sens du grand fleuve » : où qu’ils se trouvent – dans une forêt ou dans la steppe –, leur organisme peut sans se tromper indiquer de quel côté est le fleuve, et trouver les yeux fermés le chemin de la Volga. Les scientifiques ne sont pas parvenus à déterminer si ce sens est contenu dans un organe ou dans une zone du cerveau en particulier (plusieurs tentatives ont été faites par des expéditions des universités de Kazan, Saratov et Saint-Pétersbourg). Cette boussole intérieure agit très simplement : il suffit d’écouter à l’intérieur de soi et d’avancer dans la direction indiquée, comme on suivrait l’appel de la voix aimée… 
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« L’épouse est un champ dans lequel l’époux plante les graines de sa descendance, lui avait appris sa mère avant de l’envoyer dans la maison de Mourtaza. Le laboureur vient au champ quand il le désire, et le laboure autant qu’il en a la force. Il ne convient pas au champ de contredire son laboureur. » Elle ne le contredisait pas : serrant les dents, retenant sa respiration, elle supportait. Combien d’années avait-elle vécu sans savoir qu’il pouvait en être autrement ? Elle savait, à présent.
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Depuis que le roman existe, les hommes ont écrit cent fois plus de mauvais romans que les femmes, c’est un fait difficile à contester. 

Lioudmila Oulitskaïa
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Oh, comme Gnadenthal avait changé !....Le sceau du délabrement et d’années de malheurs avait marqué les façades des maisons, les rues et les visages......Les maisons s’étaient ridées de mille fissures, les visages – fissurés de mille rides. Les cours abandonnées béaient comme un ulcère sur la peau. Les tas de détritus noircis faisaient penser à des tumeurs violettes. Les cerisaies négligées – à des cheveux emmêlés de vieillards. Les champs à l’abandon – à des crânes chauves.
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Cette porte ne menait pas à une pièce, mais au balcon d'orchestre. Et elle était occupée non par des enfants, mais par des squelettes d'enfants : c'est l'impression qu'eut Dieïv en entrant. Des chiffons étaient posés sur des chaises rassemblées en bancs. Dessus, reposaient des os - des os fins, recouverts d'une peau grise et flasque. La même peau recouvrait des crânes, les visages, qui ne semblaient composés que d'une immense bouche et de deux orbites. Parfois, les os remuaient : les yeux vides s'ouvraient, les corps oscillaient mollement sur leur couchette. Le reste du temps, ils gisaient immobiles, les paupières baissées (...). C'était les grabataires, ceux que la famine avait déjà passer par des évanouissements, la fièvre et les œdèmes, et qui avaient été sous-alimentés si longtemps - pas des mois, mais des années - que leur organisme, sans être mort de la faim, s'était épuisé et rétréci à la suite du manque constant de nourriture. C'étaient les enfants qu'on ne pouvait sans doute déjà plus sauver. Au plafond, des amours de plâtre les contemplaient en souriant.
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Zouleika ouvre les yeux Il fait noir comme au fond de la cave à provisions Derrière le rideau fin, les oies soupirent dans leur sommeil. Le poulain d'un mois clappe des lèvres, cherchant la mamelle de sa mère. De l'autre côté de la petite fenêtre près de la tête de lit, une tempête de neige mugit sourdement. Mais l'air glacé de janvier n'entre pas dans l'isba : Merci, Mourtaza, d'avoir calfeutré les fenêtres avant les grands froids. Mourtaza est un bon maître de maison. Et un bon mari. Il ronfle dans la partie des hommes, d'un ronflement ample et satisfait. Dors, dors - c'est le sommeil le plus profond, juste avant le lever du soleil.
Le moment est venu. Allah tout-puissant, aide-moi à réaliser mon idée, fais que personne ne se réveille.

(Incipit)
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Ils écoutaient mutuellement leur respiration, même s'ils étaient dans des pièces différentes ; il suffisait que l'un aspire l'air un peu plus profondément ou plus lentement que d'habitude, pour que l'autre lève immédiatement les yeux : ne s'était-il pas passé quelque chose ? Ils lisaient les sentiments de l'autre dans ses mouvements : un pas un peu plus pensif, un geste un peu plus impatient, une tête levée plus brusquement, une orientation différente des épaules ou du dos - tout avait son importance, tout révélait chaque chose. Chacun savait, sans regarder l'autre, quelle expression avait son visage : ils n'avaient même pas besoin de se regarder, à plus forte raison de parler.
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La tête rasée du mangeur brillait exactement comme, au centre de la table, le pain rond badigeonné de jaune d’œuf et doré au four ; ses joues épaisses avaient la roseur du jambon perlant d'humidité disposé en tranches épaisses sur une assiette ; ses petits yeux sombres avaient exactement la couleur des baies dans la bonbonne de liqueur ; quant à ses oreilles, blanches et larges, qui dépassaient belliqueusement de sa tête, elles rappelaient d'une manière frappante les grosses ravioles empilées dans une jatte creuse. Ses doigts épais, pareils à des saucisses, attrapèrent du chou fermenté et le portèrent à sa bouche ; ses moustaches ébouriffées et sa barbe ressemblaient tant à ce chou que Bach dut plisser les yeux pour faire cesser l'illusion.
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À la fin de 1928, un fin ruisseau de dékoulakisés coula des vastes espaces de ce qu’on appelait encore la province de Kazan jusqu’à sa capitale. Les déplacés devaient être rassemblés, chargés dans des wagons et envoyés dans leurs lieux de relégation. La prison étape avait été choisie pour accueillir ce contingent pas vraiment criminel, mais qui n’en devait pas moins être gardé, d’autant que les anciens koulaks allaient suivre les routes de prisonniers devenues depuis longtemps classiques (la Kolyma, les bords de l’Énisseï, du Baïkal, l’île de Sakhaline…), souvent dans les mêmes convois que les condamnés au bagne, mais dans des wagons séparés.
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