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Citations de Grégoire Polet (134)


Rien de plus simple. Une journée, taillée sur mille facettes. L'éclatement d'une semence dans la terre, une explosion, l'étoilement d'une goutte d'encre tombée sur le papier, un tout petit big-bang, l'efflorescence de visages neufs comme des cristaux de givre sur une vitre, comme des formes inventées dans le volume des nuages. Vite, très vite, car tout fond, tout se mue, tout avance et tout disparait, pour ne plus exister que dans les feuillets d'un livre, dans le feuillage d'un arbre, le murmure des lèvres qui lisent et la rumeur de l'air.
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Coller des affiches. Protégé des voyageurs par deux seaux, balises précaires, qui délimitent une petite zone de travail sur le quai. Déplier les grands papiers, les coller, un par un, à la colle à poisson, bien ajuster les bords et découvrir, révéler, morceau après morceau, l'affiche dans son ensemble. Tout un spectacle : en attendant leur métro, les gens regardent. Ils admirent son adresse, sa technique à la brosse, ils devinent les mots tronqués : "Vi" "Comm". C'est un rébus. Un demi-visage de femme, une épaule nue, le colleur prépare le morceau d'affiche qui se placera sous l'épaule : nu ? vêtu ? Les gens jouent au petit bonhomme pendu. Il y en a même qui laissent passer un train, pour connaître le fin mot de l'histoire. "Vi", "Comm", et ce demi-visage de femme blonde, deux mètres de hauteur au bas-mot : combien de visages véritables faudrait-il pour en remplir la surface ? Deux cents ? Deux cents visages, un visage. (p. 14-15)
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Je m'étais toujours étonné de ce qu'un tableau attribué à Jérome Bosch cesse du jour au lendemain d'éveiller tout l'intérêt qu'il avait suscité jusqu'alors quand on découvrait, au milieu d'une déception finalement imbécile, qu'il était de la main d'un suiveur plus tardif. Si le tableau avait plu jusque-là, pourquoi s'en détourner soudain?
Et en sens inverse: pourquoi tel tableau anonyme, dans tel musée, le jour où quelques érudits découvrent qu'il s'agit d'un Van Dyck sans signature, devient tout à coup la vedette, est déplacé dans une autre salle et mis en évidence pour l'admiration des visiteurs?
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Relire, c'est une activité curieuse. D'abord, on reconnaît le livre comme un vieux copain, on se souvient, on le prévoit, on s'étonne de ce qu'on avait oublié, on y trouve de nouvelles choses. Puis, quand c'est la troisième, la quatrième fois, on le connaît si bien qu'on y entre comme dans un lieu familier, comme chez soi. C'est reposant. On a l'impression qu'on l'a écrit, qu'on est exactement son auteur. Les pages et les chapitres deviennent les pièces, les chambres, les couloirs, l'escalier, les fenêtres et le jardin d'une maison qu'on habite.
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On fait son pain. On verse de la farine dans le plat, on y ajoute un peu d'eau, un sachet de levure, une pincée de sel, on pétrit, on laisse reposer, on met au four, et avec la chaleur se lèvent lentement des effluves merveilleux. Déjà le sourire vient aux lèvres. On secoue le tablier, on balaie la table, la farine volatile se suspend dans l'air qu'on respire et dans la rainure d'un meuble vient se poser, pour combien de temps, grain minuscule, la mémoire de ce que furent les meules, les camions, la moisson, les épis, les vents et les orages, le jaune, le vert, le bleu, la semence dans le sillon en quelque point de ce champ réparti sur la Terre et vaste comme quatre France, où l'on cultive en rangs serrés blé dur et froment.
Ce grain-ci probablement vient de la campagne voisine.
Ou bien par train, camion, paquebot, de nouveau train, puis camion, d'aussi loin que le Montana américain, comtés de Hill et de Chouteau, où la prairie est vaste, plate et beige comme une crêpe, les horizons festonnés de lointaines ondulations noires et bleues, les montagnes, semblant des dos d'animaux endormis, où l'espace pâle et divisé en mosaïque est clairsemé de fermes modulaires au toit rouge, posant pour les spectateurs du ciel comme des Mondrian involontaires, tandis qu'au-dessus d'elles le ciel, aussi limpide que la terre, semble une culture d'azur clairsemée de fermes blanches.
Ou de ce petit champ bossu que je connais, dans le Brabant, en forme de hérisson quand les épis se sont dressés sur lui et, quand il est chauve, d'août à février, en forme plutôt de tête d'homme couché, comme si la couverture marron de terre humide et retournée était un linceul souple posé sur un corps mort, se soulevant en épousant les formes proéminentes de la tête et rondes du front et du crâne, donnant à tout moment l'impression que ce mort pourrait se relever et le champ noir glisser et tomber comme un drap, car en effet il renferme, ce champ, sous sa bosse presque humaine, des ruines justement d'une ferme où il y a deux mille ans cent vingt ouvriers gaulois engrangeaient pour un notable romain venu de Lucques ou de Capoue, le blé, l'orge et la luzerne fleurie dont la culture vallonnée rappelait sans doute au mélancolique colon les vues de son enfance en Toscane ou de la Campanie, les pentes douces d'où descendaient, échauffés par le labeur et le soleil, les bœufs placides, indifférents à leur sonnaille, précédant le bouvier et attendant ces deux setiers de vin qu'on leur versera dans la gorge selon la prescription de l'aimable Columelle, dételés, le soir tombant, avant d'être menés à l'abreuvoir.
À moins que, ni dans le Montana froid ni dans le Brabant humide, ce petit grain ne germât plutôt aux chaleurs de l'Inde intérieure, quelque part entre Jabalpur et Bhopal, où naguère, il y a un quart de siècle tout de même, pour qu'un hectare de blé rendît mieux et pour que le pays pût cesser d'importer tant de blé cher, on fit construire par des gens qui avaient sans doute moins le souci du blé de l'Inde que de leur pèze à eux, cette géante usine branlante de pesticides dont il ne reste aujourd'hui que quelques poutres rouillées et des toits éventrés en bordure de la route et du chemin de fer, après qu'en une nuit de décembre, à cause d'une fuite dans un réservoir, le gaz vénéneux qu'on destinait aux insectes nuisibles empoisonna cent mille personnes et en tua, d'un coup, près du quart. "You've got the brawn, I've got the brains, let's make lots of money".
S'il ne vient pas d'Inde, il vient peut-être de Chine, ce grain de blé devenu grain de farine, des rives où le fleuve du Paon, quand il a patiemment creusé la terre du Tibet, devient le fleuve Jaune et dépose sur la campagne ses alluvions fertiles, ou bien plus au nord, au-dessus des Corée, de cette plaine mandchoue où l'on voyait jadis, spectacle disparu, des petites trinités de laboureurs suivant un cheval, le cheval tirant la charrue, le soc de bois ouvrant le sillon, le premier laboureur dirigeant la manœuvre, suivi comme son ombre par le semeur, une boîte percée entre les mains qu'il va agitant de gauche et de droite et d'où tombent parcimonieusement et en rythme les semences, que le troisième homme fait disparaître en refermant le sillon de quelques coups de houe sans cesse répétés sur toute la longueur du champ, puis repartant, tous trois, le cheval et la charrue, en boustrophédon. Quand c'était du blé, on le gardait ; quand c'était du soja, une portion partait avec le convoi jusqu'au marché local, où l'acheteur le mettait en sac, l'acheminait jusqu'au poste ou à la station, pour qu'il descende, en quantités plus grandes accumulées par un acheteur plus important, par voie d'eau ou sur les rails, jusqu'aux ports de la mer Jaune, et de là s'en aille, vers les pays barbares.
Petit éloge de la gourmandise - Grégoire Polet - Folio - pp. 73-75
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Le gourmand se met dans une position de contradiction assez sublime, tournant le dos au monde — mais se jetant tout près du coeur de la vie. Et les bouilles rouges et joufflues d'une réunion d'enthousiastes masticateurs gourmands ne ressemblent à rien tant qu'à l'agitation continue des ventricules et des oreillettes, pompage, renflement, aspiration, injection, enflure, envoi, déflation, réabsorption, gonflement, creusement, inflation, systole et diastole.
Alors, évidemment, l'on fait, à toutes les tables où la gourmandise n'est pas déçue, une tellurique fête au monde ! On mange et on s'échauffe comme le magma, cent milliers de mètres sous la table. Ce n'est pas pour rien que c'est en général en buvant et en mangeant qu'on refait k monde. Ce n'est plus qu'un vaste moment d'incorporation délectable, d'échanges moléculaires, d'ingestion, de croissance de formes et d'arrondissement global. La figure, d'ailleurs, de la gourmandise est typiquement le rond (la figure typique du gourmand ne dément pas cette idée, ni la forme de son ventre). Le rond est la forme qu'affectent le plus souvent les éléments de vaisselle, verres, plats, assiettes' et le plus ancien instrument de couvert, la cuillère. Rond comme la tasse, la coupe, comme la plupart des fruits ; rond comme la Terre, la Lune, le Soleil ; rond comme les deux o du cosmos', rond comme les yeux, les joues et la bouche qui engloutit, rond comme le monde et comme une queue de pelle. Un vin n'est-il pas rond et rond en bouche ? Comme le goulet et le goulot de ce qui le contient. Tout est rond autour du gouliafre, du goulu, du gourmand et du glouton. Tout dans la gourmandise prend spontanément la forme ronde du monde, la contrefait et y tend.
C'est peut-être parce qu'il y a roue dans rouge que j'ai toujours intuitivement ressenti qu'au plaisir de la table correspondaient la forme ronde et la couleur rouge. Mais c'est tout de même la couleur que prend le visage au plus fort de la mangeaille ! Mettez deux yeux à un verre de bourgogne, c'est le portrait du gourmand. Rond et rouge comme le raisin et le vin qu'on en tire, et dont une part importante du sens est de ressembler au sang parce qu'il n'y a, immédiatement, pas d'image plus forte de la transfusion qui est à l'oeuvre ici.
Tout est rond entre le gourmand et le monde, parce qu'ils sont justement deux ronds qui s'abouchent, deux bouches' qui se touchent, la bouchée est un baiser et tout est fusion, infusion et transfusion de la partie et du tout.
Chaque gorgée est comme une alliance.
Et la bouche ronde est la bonde du monde.
p. 56
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J'eus le sentiment d'avoir trouvé ma place dans la grande Histoire de la Peinture. L'artiste ultime, dont la création est destruction. Le génie qui anéantit et fait proliférer.
J'avais tué le concept excluant et exclusif de l'oeuvre d'art et, en considérant objectivement l'oeuvre comme un objet, je libérais le monde du complexe qui l'opresse depuis toujours : vouloir être seul dans un monde peuplé d'autres; vouloir être unique dans un monde peuplé de semblables.
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J'avais tué le concept excluant et exclusif de l'œuvre d'art et, en considérant objectivement l'œuvre comme objet, je libérais le monde du complexe qui l'oppresse depuis toujours : vouloir être seul dans un monde peuplé d'autres ; vouloir être unique dans un monde peuplé de semblables.
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La justice ne devrait pas faire la part des choses. C’est ce qui la rend forcément et tragiquement injuste.
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Le vrai, le faux, ce sont des inventions commerciales, des plus-values de marchants, des mensonges de maquignons, des arguments d’hypocrites. C’est une manière de créer des supériorités, de justifier des exclusions, d’exagérer des amours, d’exacerber des haines. Une manière de fonder le bonheur des uns sur le malheur des autres. Une raison de nier l’égalité, d’empêcher la fraternité, de miner la paix et de justifier les guerres.
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