Henri ne pouvait détacher les yeux de cette image abjecte d'hommes et de femmes qui semblaient avoir été enfoncés au fond de la cloche à l'aide d'une pioche. Leurs corps étaient défoncés , encastrés les uns dans les autres en un amas de chairs arrachées et d'os.
Henri resta quelques instants à contempler la dame de pierre, appréciant cette quiétude matinale qui donnait cette sensation folle qu'il était le seul être vivant sur cette terre. Puis il rentra dans l'édifice qui l'agressa aussitôt : une température glaciale régnait à l'intérieur. des êtres invisibles mordirent à même sa chair tandis qu'il frissonnait, retenant presque son souffle.
La plupart étaient fins saouls, assoupis, hurlant des chansons confuses ou des contes de guerres inconnues, tandis que d’autres étaient occupés à se presser derrière des servantes qui, robe relevée, penchées en avant, les laissaient faire. Tous ressemblaient à des bêtes rendues folles, forniquant sans plaisir, aboyant sans être entendues et comprises.
N'Hul comprit rapidement qu'il s'agissait de trophées dédiés à la beauté, à la femme et à ce qu'elle représentait en général du point de vue du regard des hommes ; un animal bien particulier à chasser, dont la cage était un lit duquel on la libérait pour en mettre une autre.
Les yeux de la jeune femme avaient cessé de luire, mais les traits de son visage – d’une grande beauté, bien que d’une froideur extrême – restaient comme figés. Elle ressemblait à une statue douée de vie. Elle avait ôté sa tunique recouverte de sang, et en partie en lambeaux après le combat, et exposait un corps sculptural, orné par endroits de tatouages qui n’étaient rien d’autre que les cicatrices d’anciens affrontements. Ses épaules étaient larges, tout comme ses hanches. Sa peau ruisselait d’eau de pluie, qui semblait prendre plaisir à l’envelopper d’un vêtement miroitant et délicat.
Ces hommes et ces femmes, qui vivaient dans leur citadelle, dans leur tour d’ivoire, étaient ce qu’il y avait de plus civilisé, de plus raffiné – bien qu’elle aurait été incapable de décrire de quels raffinements il pouvait s’agir –, usant de mots inconnus, presque sacrés, de par ce savoir qui leur était inculqué depuis leur plus jeune âge. Ces êtres avaient l’opportunité de comprendre le monde, de tirer sur quelques-unes de ces ficelles qui le faisaient avancer et entrer en guerre, et profitaient ainsi de leurs droits avec d’autant plus de précautions.
Elle savait que, le moment venu, elle saisirait chacun des mots, chaque sous-entendu. Il fallait juste faire preuve de patience. Elle posa les yeux sur des perruques, qui semblaient être composées de véritables cheveux – elle préférait ne pas imaginer ce qu’il était advenu des femmes qui les avaient cédés, de gré ou de force –, et sur toutes sortes de bijoux. Les pierres qui les ornaient avaient l’apparence de pépites et elle rêva à la fortune qui dormait en ce lieu.
Ce qui n'était rien d'autre que des craies de chair à vif avait creusé des sillons qui s'entrecoupaient les uns dans les autres dans des signes de croix parfois indéchiffrables. Les sœurs avaient cru jusqu'au dernier instant qu'elles avaient une chance de s'en sortir vivantes. leur foi inébranlable leur avait donné la force de se battre.
Rien ne leur était impossible. Les seigneurs noirs étaient les faiseurs de miracles que tous les puissants étaient voués, un jour ou un autre, à rencontrer.
Les gens de pouvoir se permettent tous les privilèges, plus encore quand ils ont des hommes et des femmes sous la main.