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Critiques de Harry Crews (159)
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La foire aux serpents

Mystic. Un bled perdu en Georgie, USA. On y organise tous les ans un grand concours de chasse aux serpents. Grande affluence des alentours. Et c'est la fete. La Fanfare des Crotales de Mystic joue. On elit la Miss Crotale Mystic. Et c'est la foire. On se promene avec des serpents autor du cou. On vend des mosaiques d'ecailles de crotale, des bibelots crotales, des godes crotales, des preservatifs crotales. On mange du serpent. Grille. En sauce. La sauce piquante de Louisiane. On boit. Bieres. Whisky en sacs papier pour les blancs. Pour les noirs de la gnole locale.



Mais Mystic c'est aussi des fermiers souls. Des soulards qui n'ont pas de ferme. Une equipe de football (americain): Les Crotales Fatals du Vieux Bahut de Mystic. Un ancien joueur-star de l'equipe qui n'a que son passe devant lui. Des majorettes vicieuses. Un sheriff avec une jambe en bois qui utilise sa prison comme bordel prive. Un vieux qui entraine des chiens pour des combats a mort. Une fille qui passe sa vie devant la tele et se badigeonne les cheveux de merde. Un avocat de passage qui ne peut jouir qu'en pensant a Auschwitz. Des noirs qui rasent les murs et repondent oui a tout sauf une, toute jeune, qui coupe la bite de son violeur. Et des serpents. Partout. Des serpents a sonnettes. Des crotales. Dans leurs cachettes. Dans des cages chez l'habitant.





Crews decrit longuement les principaux personnages, leurs journees, leurs habitudes, leurs faits et leurs mefaits; pour nombreux d'entre eux leur violence exacerbee, violence pour cacher le mal-etre, une desillusion oppressante, la folie qui guette. Un defile de personnages bizarres, degeneres, la pire caricature du bouseux sudiste, engages en une sorte de nihilisme hedoniste-violent, obscene et desespere. Les cavaliers ivres d'une apocalypse redneck.



On comprend tout de suite que ca ne peut que mal finir. On ne voit pas comment, on n'augure pas les details, mais on sent le drame qui se declenche. le pouls du livre s'accelere peu a peu, non sans nous avoir rappele le passe d'un petit meurtre gratuit pour chasser l'ennui, et a force de coups gratuits, de boisson, de bagarres pour le plaisir, de whisky, de baise vache, de litres de biere, d'agressions, de viols, de blessures, de combats de chiens, de deguelis, de racisme ostentatoire, de gnole pourrie, d'affolement serpentin, il devient frenetique, enfievre, et met a mal le lecteur, qui doit de temps en temps interrompre sa lecture pour calmer son pouls a lui, pour ne pas vomir. Ca a ete mon cas.





Ce livre n'est pas a vrai dire un polar. C'est un livre noir de noir, noir d'ebene, noir de negre. du gothique noir. Un livre cruel, douloureux, transgressif et provocateur. A force de violence, de folie destructive, on attend la catharsis. Et elle sera atroce. Une apotheose. Une explosion de delivrance par la haine. Tres realiste en fait, l'Amerique nous ayant presque habitues a ce genre de deflagration. L'ultime vaccin contre la rage.





J'essaie d'apaiser les battements de mon coeur. Je me calme. Apres tout, ce livre est peut-etre un livre moral, et Crews un precheur combatif, aux diatribes feroces, effarant et malmenant son auditoire pour mieux le convaincre.

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La malédiction du gitan

Un petit trésor découvert grâce à mon amie Stockard "merci ma poulette, sans toi, serais bêtement passée à côté d'un sacré bon livre".



En début de lecture on est surpris, les personnages sont un peu ébréchés, pas complètement finis. C'est le cas du héros Marvin Molar qui a été un rien "oublié le jour de la distribution", mais aussi de son père d'adoption Al, le vieux lutteur fatigué, et de leurs amis Pete et Leroy qui ont pris un peu trop de coups sur la tête.

Ils ont aussi une drôle de façon de parler, de l'argot et de la gouaille plein la bouche... ou plein les mains. C'est un délice d'expressions irrévérencieuses et de situations burlesques qui m'ont bien fait marrer. Ce genre de littérature peut vous laisser de marbre mais ce serait dommage car on découvre bien des choses sous le vernis.



Harry Crews décrit des personnages "hors normes" mais quand on connaît bien la "norme" - plutôt décevante - on est plutôt content de les connaître. D'ailleurs l'une des choses qui m'a le plus "frappée" - façon de parler parce que l'histoire se passe essentiellement dans un gymnase peuplé de boxeurs et de "fous de la fonte" - c'est l'immense tendresse et le grand respect que montre l'auteur pour ses personnages fracassés mais bien plus humains qu'il n'y paraît.



Et puis dans ce monde de testostérone et de naïveté touchante, un paquet bourré d’œstrogènes et de progestérone se pointe, une femme ! On pourrait se dire alors que la suite est attendue, mais non, ne croyez pas que ce soit une bête explosion d'hormones qui va suivre car c'est beaucoup plus que ça, tellement plus complexe et intriguant que j'ai été suspendue jusqu'à la dernière ligne. Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus car ce serait déflorer l'histoire et il faut la lire cette histoire, la savourer et la découvrir jusqu'au bout pour en prendre toute la dimension.



Alors, que les auteurs de thrillers et de polars à la petite semaine aillent se rhabiller, quand Harry Crews promet du roman noir, c'est du roman noir ! Peut-être noir d'amour, qui sait ? Tout ce que je peux vous dire c'est lisez-le, lisez-le, c'est du pur génie.
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Le chanteur de gospel

“Enigma, Géorgie, était un cul-de-sac”.

Enigma, prototype du trou du cul de l'Amerique, de ces petites agglomerations du Sud isolees, un Sud profond et defait ou proliferent, au debut du 20e siecle, l'analphabetisme et l'ignorance, le fanatisme religieux, la haine raciale.

Enigma, une culture de micro-pourritures dans une boite de Petri.

Enigma, ou bataillent des reformes de l'entendement dans les marecages de la mauvaise fortune.



C'est la que Crews fait coincider, pour deux jours fatidiques, un noir qui a tue la plus belle jeune fille blanche du lieu a coups de piolet (j'ai du laisser le politiquement correct a la consigne, bien qu'il n'y ait pas de gare dans le coin), un chanteur de gospel celebre, natif du lieu mais qui ne pense qu'a le fuir, un cirque exhibant des “freaks” (pour qui n'aurait pas vu le celebre film eponyme de 1932, des personnes de constitution anormale, des monstres), un precheur avide de gain qui a plante un enorme chapiteau pour un “revival” religieux ou doit se produire le chanteur.



Ce chanteur est repute pour ramener son public vers Dieu, sauver des ames, et meme faire des miracles. Mais il n'est en fait qu'un pecheur invetere, pour qui “chanter les évangiles c'était un moyen de gagner du pognon, un moyen de s'échapper d'Enigma, un moyen de ne pas passer sa vie à barboter dans le purin. Il n'avait pas prévu que Dieu viendrait glisser son nez là-dedans. Lui qui n'était pas particulièrement porté sur la religion, il perdait un peu les pédales et prenait peur quand quelqu'un venait lui raconter qu'il avait sauvé une âme”.



Ca ne peut que mal finir. Tres mal finir. C'est du Crews. Apres avoir developpe longuement les tenants il nous mene vers les aboutissants en un crescendo oppressant, ou le lecteur, affole, panique, asphyxie, attend la catastrophe qu'il subodore sans pouvoir la spécifier exactement.



C'est le premier livre de Crews. Son premier jet. Je l'ai trouve un peu moins abouti que les prochains que j'ai lus. La fin est un suspense angoissant mais il tarde beaucoup a se mettre en route.

Et pourtant la marque de fabrique qui va caracteriser Crews est deja la. Les freaks pour lesquels il a une enorme compassion, meme de la tendresse. Et les autres, les paumes oublies de la civilisation, abandonnes a eux-memes par la societe environnante, objets de la rapine de precheurs vereux, qui ne peuvent se rebeller contre leur destin que par la violence, ou la folie.

Beaucoup de ce qu'on trouvera dans ses ecrits ulterieurs est deja la. La mauvaise distribution des opportunités, les mecanismes affligeants de la renommee, l'absence de veritable justice, qui amene les gens a la prendre en mains, les perversions de ce qu'on presente comme la morale, le vice et sa penitence, et autour de cela sa critique a l'influence de la religion. le theatre d'un monde decadent, dans lequel les freaks jouent les maitres de ceremonie. Ou comme toujours il semble nous jeter à la figure sa sempiternelle question: qui sont les vrais freaks? Les veritable monstres?



Ce livre est un noir de noir, dur de dur, qui finit en orgie psychotique, aux accents tristement sudistes. Mais Crews a eu pitie de nous, ses lecteurs. Il a accole a cette fin un epilogue. Comme une legere brise d'esperance. Ou serait-ce son ultime pied de nez? Tout n'est peut-etre pas perdu. Comme le dit la pancarte: “NOUS ON NE PISSE PAS DANS VOS CENDRIERS – ALORS NE JETEZ PAS DE MÉGOTS DANS NOS PISSOTIÈRES”.

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La malédiction du gitan

Les contes de mon enfance etaient des contes terrorisants (suscitant surement des cauchemars que je ne me rappelle pas) qui, par une sorte d'intervention de Deus ex pagina, avaient une fin heureuse et consolante. Mais Crews ecrit des contes pour adultes ou, meme quand tout est bien, cela ne peut que finir mal. Il ne nous fera pas de rabais sur l’horreur qu'il nous vend.



Ca commence avec les personnages. Marvin Molar, un sourd-muet aux jambes de 8 centimetres et des bras faisant 50 de circonference, vivant dans un gymnase avec des freaks plus sonnes l'un que l'autre. Un monstre de foire qui, en plus d'avoir ete oublie par Dieu, a ete maudit par un gitan qu'il avait battu au bras de fer: “Que encuentres un coño a tu medida ! Puisses-tu trouver un con à ta taille, qu'il disait Fernando quand on jouait au bras de fer et que je lui aplatissais le poignet contre la table. […] Trouve-toi un con à ta taille et tu seras plus jamais le même, qu'il disait. Seras plus jamais en paix”. Et il a trouve son con. Une deesse. La femme fatale archetypique. Predatrice et destructrice. Celle qui declenche l'avalanche. Celle par qui le malheur arrive. Et nous savons, des qu'elle apparait, qu’il arrivera, meme si nous ne devinons pas que sera ce malheur.



Je crois que Crews devait etre misogyne. Ici sa misogynie le sert a appuyer, par contraste, sur l'entraide, la generosite naïve des locataires masculins du gymnase, l'altruisme qui se cache derriere les gestes durs et le peu de paroles, la charite intrinseque de ces marginaux de la societe.



Dans ce gymnase ou s'entrainent des boxeurs, des adeptes de la musculature, des "tares de la fonte", c'est le lecteur qui se prend tous les directs, les crochets, les uppercuts, mais meme sonne, il se rend compte que ces habitants de la face obscure de la planete ne sont pas differents de ceux qui vadrouillent dans sa face eclairee. Les personnages de Crews n'ont que faire ni des bonnes manieres ni du bon gout. Ils savent que la realite du monde est cruelle, qu'elle peut ne leur offrir que douleur et souffrance, mais ils font avec, avec entetement et meme une petite dose d'optimisme. Ils sont directs, entiers et sinceres, et peut-etre, en un certain sens, plus sains. Plus sains que qui? Plus sains que nous, car c'est nous que Crews interpelle dans ce livre. Ses personnages reveillent en nous degout et empathie en un meme temps. Ils nous donnent le vertige. Parce que nous sentons que c'est de nous qu'il s'agit. Leurs bassesses et leur grandeur sont nos bassesses et notre grandeur. C'est nous, nous tous, les “normaux", qui sommes mis en question. Ce livre est le miroir que Crews met a notre face.



Dans La malediction du gitan il n'y a aucune place pour le sourire, bien qu’il y ait beaucoup d'humour. C’est du realisme sale. Les situations grotesques sont innombrables, mais elle ne se pretent a notre gouaillerie que quand Marvin affronte le monde, jamais dans son intimite, avec sa “famille" ou sa “fiancee". Les personnages ne pleurent pas et nous ne ricanons pas de leurs excentricites et leurs deboires. Parce que leurs deformations, physiques et mentales, ne sont pas les stereotypes que peut nous inculquer un mainstream social et culturel. Au contraire: Crews exacerbe toutes les caracteristiques de la masculinite, du machisme, la force, la violence, la proximite masculine, pour les rendre bizarres et les denoncer. Alors est-il misogyne? Peut-etre misanthrope? Ou peut-etre au contraire aime-t-il le genre humain, meme dans ses abjections, dans sa degradation. Le genre humain, pour le meilleur et pour le pire. Parce que dans ce gymnase, dans ce petit monde, on ne sait pas ce qu'est la tendresse, mais on sait tres bien decliner la preoccupation de l'un pour l'autre.



Un bon livre, pas plaisant, mais choquant. Il moleste, il malmene le lecteur. Du Crews pur jus. Du realisme sale. De l'excellent realisme sale (c'est magique!). Que pouvait-on attendre d'autre d'un auteur qui s'est tatoue au bras, sous une tete de mort, ces vers de E. E. Cummings: How do you like your blue eyed boy, Mr. Death?

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La foire aux serpents

Ce livre est comme une morsure de serpent : brutale et venimeuse.



Nous sommes en Géorgie et dans l'esprit du roman de James Dickey "Délivrance", (celui ou quatre copains partant camper vont se faire traquer, violer et tuer par de charmants autochtones) or James Dickey, Géorgien lui-même, affirmait que son livre reflétait fidèlement la réalité....

Les habitants de la charmante bourgade de Mystic sont pour la plupart des abrutis violents, alcooliques, incultes et complètement arriérés.

La cruauté envers les humains ou les animaux, la bêtise crasse, le viol, le racisme ordinaire du Sud... Tout y est.

La folie y a déjà pris ces quartiers, elle triomphera lors de cette foire aux serpents.

Du noir, du très noir, mais du très bon.



Harry Crews a été élevé à la dure et s'est engagé à dix-sept ans dans les marines. Il fera de la prison, sera tabassé par un Indien unijambiste et croisera des destins hors du commun. Totalement atypique, souvent féroce avec les gens normaux et tendre avec les monstres, il s'est imposé comme l'un des plus grands écrivains américains de romans noirs.



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Le faucon va mourir

Quelques semaines après qu'ai je retenu de remarquable de ce roman ? Malheureusement rien.

Le livre se traverse comme un écran de fumée, sans aspérités dignes d'intérêt.

Ah si, nous apprenons comment dresser un faucon sauvage, ce qui me servira le jour où l'un d'entre eux viendra toquer à ma porte. Mais cela peut faire l'objet d'un article de "Science et vie", pas d'un roman.



Pour tout connaître de l'intrigue, il suffit de lire la 4eme de couverture ; elle se déroule en la vraie Amérique, chez les rednecks, entre middle class et prolétariat, et même si l'auteur en est issu son tableau reste pathétiquement plat et peu intéressant. N'est pas Faulkner ou Steinbeck qui veut, même si l'on s'en revendique.

Je n'ai pas compris cette œuvre sûrement parce qu'il n'y a pas grand chose à comprendre ; aucun des personnages, aucune des situations, n'ont un intérêt quelconque, et ce pensum se traîne jusqu'à un point final où l'on bien content pour le faucon, le seul à avoir une personnalité dans ce condensé de poncifs maintes fois recuits.

J'en suis d'autant plus désolé et déçu que j'avais bien apprécié récemment "La foire aux serpents" du même auteur. Je lirai une autre œuvre de Crews,soigneusement choisie en amont cette fois, pour ne pas rester sur cette amère sensation de vide.
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Les Portes de l'enfer

La non-action de ce petit roman "gris" (et donc même pas noir !) ne se concentre que sur 24 heures mais j'avais l'impression que les minutes s'étiraient en éternité, tellement je me suis ennuyée.



Le récit se passe entièrement dans une maison de retraite de la Géorgie étasunienne. Vous allez me dire qu'une telle institution louable n'est certes pas une palpitante maison close... bien que dans les alcôves de celle-ci...

Le résumé au dos du bouquin ne ment pas, or il suggère une histoire (je cite :) "aussi déchirante qu'irrésistible" avec la venue de quelques protagonistes atypiques sensés ficher le bouzin dans cet établissement réglé comme une horloge et où les vieillards se changent en dépouille à l'écart de ceux qui vont suivre...

Mais il ne se passe rien, ou presque, sous ce soleil de sweet Georgia où les terres étaient autrefois irrigués par les gouttes de sueur des noires.



J'ai alors essayé, vraiment essayé (!), de m'attacher à un ou deux personnages : à la jeune directrice Axel, au physique masculin et peu avenant qui a été élevée dans ce Senior club... ou encore à son contraste : le beau nain masseur musculeux qui utilise ses poings pour éjaculer son fiel... les deux petits vieux qui aimeraient "LE" faire une dernière fois malgré leurs bobos aux os et au dos... le maigre représentant en concessions tombales, tout de verdâtre vêtu, que les femmes ont laissé, jusqu'ici, de marbre (ou de stuc)... la grosse carlita s'exprimant en espagnole, mélange de cultures et de couleurs de peau qui cherche sa voie vaudou...



Mais ni leurs passés dissimulés par bribes dans le texte, ni leurs conditions tout juste humaines, ni les quelques passages pouvant s'apparenter à de l'humour... ont remué la moindre vaguelette dans mon for intérieur dont on peut dire qu'il est resté complètement à l'extérieur de cette histoire prétendument tragi-comique.



Ou alors... je n'ai rien compris à tous ces personnages qui se parlent, qui, pour certains d'entre eux, se fréquentent depuis de nombreuses années, et qui sont pourtant incapables de se comprendre.

C'est peut-être ça... l'enfer ...dont l'auteur, dans un langage direct et sans arabesques, nous a entrebâillé les portes ?





Je remercie la masse critique Babelio et les éditions Sonatine pour ce roman qui ne m'a, hélas, pas ouvert les huis du paradis livresque.
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La malédiction du gitan

Une vraie bénédiction cette malédiction…



A chaque fois que je cherchais un roman d’Harry Crews dans une médiathèque, le bouquin me faisait toujours faux bond. Une vraie malédiction…



Pour rompre le mauvais sort, j’ai dû faire appel au père noël angevin (que je salue au passage) pour m’offrir « La malédiction du gitan » dont la couverture doit faire un sacré effet sur les femmes. Pour ma part, je préfère largement le bikini de « Fantasia chez les ploucs » mais il en faut pour tous les goûts !



Et puis, dès lors que l’on plonge dans le roman d’Harry Crews, on comprend mieux pourquoi le corps bodybuildé de la couverture se prête parfaitement à l’illustration du récit.



Direction Tampa en Floride dans une salle de sport ou de remise en forme, le Fireman's Gym où se côtoient volontiers boxeurs, culturistes ou sportifs amateurs.



Gérant le lieu d’une poigne de fer, Al Molarski, ancien lutteur âgé de soixante-dix, a recueilli un enfant abandonné par ses parents qu’il appellera Marvin Molar. Et il faut avouer que Marvin a joué de malchance dans sa vie.



Un corps de cinquante centimètres dont les jambes atrophiées l’oblige à marcher sur les mains. Qui plus est, déjà privé de l’usage de la parole à la naissance, Marvin parachève son lourd handicap par une surdité survenue à la suite d’un accident de numéro de cirque.



Et oui ! Pour épater la galerie et surtout pour survivre, Marvin réalise des prouesses acrobatiques en pivotant de tout son poids sur un seul doigt, tout ceci grâce à son entrainement quotidien sous l’œil attentif de son coach paternaliste Al.



Jusqu’au jour où Hester, la copine de Marvin, une jeune femme aux jambes majestueuses et au corps de rêve, débarque dans cet univers jusque là réservé aux hommes…



Ecrit à la première personne et avec un tel réalisme, sous le personnage cabossé et attendrissant de Marvin, je n’ai pas été étonné d’apprendre qu’Harry Crews avait perdu son père à l’âge de deux ans, vécu des moments difficiles avec un beau-père alcoolique et violent et plus surprenant encore, avoir subi une paralysie des jambes, pendant quelques mois dans son enfance (1).



Dans la lignée des grands romans dont une femme fatale déclenche un véritable ouragan, j’ai retrouvé l’écriture écorchée et chaotique d’ «une poire pour la soif » de Ross, les personnages cabossés de « Nuit de fureur » de Thompson ou encore l’incertitude et la tension palpable autour d'un couple jusqu’à la fin du roman de « La fille des Collines » de Williams.



Tout simplement, j’ai adoré ce roman d’une force incroyable, à la fois tendre et cruel, souvent drôle mais dramatique. Bref, un roman noir lumineux…



En guise de conclusion, méditez sur l’étrange malédiction du gitan d’origine américo-hispanisante: « Trouve-toi un con à ta taille et tu ne seras plus jamais le même » apparemment bien différente de l’origine européenne cette expression (2).







(1) Le récit de son enfance en Géorgie A Childhood : The Biography of a Place, (Des Mules et des hommes), est considéré par l’écrivain James Crumley comme « peut-être le meilleur livre de la littérature américaine contemporaine »





(2) Pendant plusieurs années, le Derby d'Epsom, une course de chevaux en Angleterre, fit l'objet d'une malédiction. L'histoire veut que l'année marquant le tournant du siècle, une gitane du nom de Lee prédit que le cheval "Blew Gown" devait remporter la course.



Elle en était à tel point convaincue, qu'elle inscrivit sa prédiction sur un morceau de papier. Mais lorsque qu'on lui fit remarquer que le cheval s'appelait en réalité "Blue Gown", sans le w dans le premier mot, la gitane fut prise d'une rage folle de peur que l'on se moque d'elle.



D'ou sa malédiction: tant qu'elle vivrait, aucun cheval dont le nom comprendrait un w ne pourrait gagner cette course, et aussi étrange que cela puisse paraître, c'est ce qui se produisit. Lorsque la gitane mourut en 1934, sa famille paria sur un cheval nommé "Windsor Lad" qui l'emporta à 7 contre 1.

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Le chanteur de gospel

Eh, eh, le chanteur de gospel est arrivé sans s'presser, avec sa cadillac rutilante, avec sa belle gueule et sa voix d'ange,

son vieux banjo et son nouveau impresario...

Son retour à Enigma en Georgie ne passe pas inaperçue.

Tout le bled des bouseux est de sortie pour accueillir l'enfant prodigue convié à chanter pour Mary Bell, son ancienne dulcinée trucidée par un illuminé..On l'accueille comme une star au son des guitares, des braillements et des cris de gorets.

Sûr que c'est un saint, qu'il peut faire des putains de miracles. Ils sont tous là, les paralytiques, les sourd-muets, les freaks à lui tourner autour comme des mouches.

Le chanteur n'est pas une vache, il ne peut pas les chasser d'un coup de ...fouet. Alors que va t-il faire ? Ben, chanter un gospel d'enfer !

Le premier Harry Crews est sorti en 1968 en pleine période psychédélique. Il a dû manger des champignons hallucinogènes et écouter en boucle Purple Haze de Jimmy Hendrix pour voir des freaks partout comme leur chef surnommé Pied qui a le plus grand panard du monde...

Avec Harry Crews, on plonge les pieds dans le purin puritain de l'Amérique profonde en compagnie de Redneck, de monstres de foire et d'allumés de premières, ses frères de sang. Et on assiste à un revival gospel déjanté inoubliable.

Un beau pied de nez à tous les prédicateurs et les idoles en toc.

Le chanteur de gospel, c'est le genre noir très spiritual !

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Des mules et des hommes : Une enfance, un l..

« Où que j’aille dans le monde, ils viendraient avec moi ».



Une enfance, un lieu mais aussi ces hommes et ces femmes de Bacon County en Géorgie : voilà ce que raconte superbement Harry Crews – traduit par Philippe Garnier – dans Des mules et des hommes.



« J’ai toujours eu l’impression de n’avoir pas tant été mis au monde que de m’être réveillé dedans ».



Loin d’une autobiographie linéaire ou chronologique, Crews se raconte par fulgurances, digressions souvenirs et anecdotes, pour témoigner de cette terre du Deep South qui l’a profondément marqué.



Une terre que l’on vénère, tout comme les éléments naturels qui lui permettent de produire, tant elle est dure à cultiver pour ce monde de gagne-petits. Une terre dont la propriété est la base du statut social et le début du respect.



« À cette époque, la terre d’un homme était inviolable, et il y avait intérêt à faire attention à ce qu’on disait à quelqu’un si on se trouvait sur sa terre ».



Dans un style direct, parfois patoisant et lourdaud (assumé par le traducteur), Crews réussit très souvent à laisser s’envoler sa plume pour nous décrire avec amour et poésie les paysages qui l’ont bercé. Une écriture contrastée qui sait aussi être pleine d’esprit :



« Comme fréquentations, il avait un faible pour les femmes très propres et les hommes très sales. Il pensait que c’était l’ordre naturel des choses ».



Jamais le mot racines n’a eu autant d’importance que dans ce que Crews nous décrit et si ce mot vous parle, précipitez-vous !



« Je viens d’une lignée de gens qui considèrent le pays, là d’où vous venez, comme étant aussi vital que le battement de votre cœur. C’est cette maison où vous êtes né, où vous avez passé votre enfance, où vous avez grandi et atteint l’âge d’homme. C’est ça qui vous ancre en ce monde, cet endroit, ça et le souvenir de vos proches à la longue table, chaque soir, savoir qu’elle existerait toujours, ne serait-ce que dans la mémoire ».

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Nu dans le jardin d'Eden

"Nu dans le jardin d'Éden" ne vous parlera pas d'Adam et Eve chassé du Paradis, mais plutôt le contraire : Dieu qui fou le camp, abandonnant ses misérables créatures dans ce qui se rapprocherait plus de l'Enfer que du Paradis d'Éden !



1960. Garden Hills, une petite ville de Floride, sorte de trou du cul du monde d'où on extrayait du phosphate, tient plus d'un enfer que d'autre chose : les tâches y sont harassantes, horriblement sales à cause du phosphate, et répétitives à la limite de l'absurde, comme ce trou qu'un homme - Wes - creuse tous les jours et qui est rebouché la nuit



On pourrait croire que les habitants n'étaient pas heureux, mais c'est tout le contraire : ils étaient tout content, les gens qui bossaient à l'usine d'extraction de phosphate de monsieur O'Boylan ! La routine, certes, mais l'argent de leur salaire les faisait vivre... Jusqu'à ce que O'Boylan (Dieu) se retire de ce trou à rat, laissant les gens en plan.



Une douzaine de familles résistent encore et toujours, s'accrochant aux collines poussiéreuses et aux lacs sans poissons au lieu d'aller chercher fortune ailleurs. Car dans leur petite tête, O'Boylan va revenir, cette absence de la divinité, qui les nourrissait en les faisant travailler, ne peut être que temporaire.



C'est ce constat qui donne un sens à leur présence dans cet endroit désolé.



Ici, nous sommes dans un vrai roman noir, limite huis clos puisque, en plus d'être dans le trou du cul phosphaté du monde, nous suivons la vie de trois personnages principaux (Fat Man, Jester et Dolly) et quelques autres secondaires (Wes dit "Iceman" et Lucy). Les seuls moments où nous quittons la petite ville, c'est lorsque nous suivons leur parcours de vie "antérieure".



Si ces habitants attendent le retour de O'Boylan comme d'autres attendent le Messie, c'est parce que Fat Man - 280 kg à poil - a entretenu cette flamme en racontant sa fable : O'Boylan reviendra !



Fat Man, dont le père a touché un pactole en vendant les terres à O'Boylan, trône dans sa grande baraque sur les hauteurs. Un autre Dieu puisqu'il a maintenu un simulacre de vie normale à Garden Hills depuis le départ de l'usine et que "Les hommes pour qui Dieu est mort s'idolâtrent entre eux" (Le Chanteur de Gospel - 1968).



Les familles qui végètent à Garden Hills sont des pathétiques doublés d'assistés. D'ailleurs, s'il n'y avait pas le talent d'écriture de l'auteur additionné à un scénario bien monté, des personnages travaillés et goupillé avec tout le reste, on pourrait même dire que ces gens sont des cons, des débiles et des gros naïfs.



Mais cela eut été trop simple et trop facile que d'en faire des cons, et le roman n'aurait pas mérité son titre de roman "noir". Non, on l'aurait appelé "Lost Story", tout simplement. Ces gens, on apprend à les connaître et on comprend le pourquoi du comment... Une partie de la force du roman réside là-dedans.



Mensonges, cupidité, trahisons, manipulations, freaks (monstres humains) prostitution soft (pelotage), espoirs entretenus, despotisme, misère, voyeurisme,...



C'est tout cela qui est réuni dans ce livre dont je ne puis vous en dire plus tellement le scénario est riche sans être alambiqué, travaillé, bien pensé, bien pesé, jusqu'à un final dantesque.



Une lecture coup de cœur, coup de poing, courte, mais bonne et qui va me trotter dans la tête durant de longues années !



Note : dans la salle de bain de Fat Man, construite par O'Boylan, il y avait la représentation de Michel-Ange "La Création" où Dieu et Adam se touchent le doigt, car si Dieu a créé l'homme à son image, l'homme a créé Dieu à la sienne. Et tout s'explique...


Lien : http://the-cannibal-lecteur...
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Body

Comment vont mes petits Phoenix aujourd’hui ? je vous présente…

« Body » Un Livre de Harry Crews (Mort à : Gainsville , le 28/03/2012 ) (Traduit par Philippe Rouard) – 320 pages – Gallimard (1999).



« Marcher sur le fil du rasoir, c'est vivre.

Le reste n'est qu'attente. »

(Karl Wallenda)

C'est le message entre tous que je trouve le plus important. On peut beaucoup paraphraser mais l'idée générale est celle d'un équilibre...



Russell est coach en musculation, il fait faire des abdos à ses « filles » jusqu’à ce que leurs seins soient plats comme des jaunes d’œuf.

« — Ça fait mal, Russell.

— Je te dirai quand ça fait mal. »

« (…) la salle où elle s'entraînait (l'Empire des Douleurs, comme l'appelait Russell) »

« Quand, à quarante ans, il avait commencé à perdre ses cheveux, il s'était rasé le crâne et l'avait gardé rasé. Tout ou rien, tel était Russell Morgan. Exigeant de soi la même discipline que celle qu'il imposait à ceux qu'il entraînait »

Shereel est la meilleure « poulaine » de Russell. Un sacré personnage !



Je trouve que Russell est vraiment trop exigeant envers Shereel.



« Ce fut à ce moment-là qu'il l'embrassa (…) »



« — Russell, dit calmement Shereel, tu es fou.

— Je te montrerai ce qu'est la folie avant que tout ça soit fini. Je te montrerai. »



Après, le reste, ça m’a saoulé car j’ai quasiment jamais fait de musculation dans ma vie, je suis pas du tout sportif. Un vrai Otaku ! Donc normal que je m’arrête là…

Même si je fais un peu de piscine, ça n'a rien à voir!



J’ai cependant trouvé pas mal de pépites stylistiques.



Un dernière chose à dire sur ce livre ? Les Body Builder s’imposent une discipline très stricte, un don de soi, une abnégation, un peu comme des sado maso. Il se subliment à travers leur endurance. On dit toujours que le sport est une drogue.



Phoenix

++
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La foire aux serpents

Le roman est lisible, louchant du côté de chez Faulkners auquel il fait allusion, mais à mon sens il manque le souffle, l'épaisseur.

Une histoire chez les rednecks, une de plus devrais-je écrire, avec des pièces classiques du décorum, personnage cloîtré, alcool, femme battue, combats de chiens, amitié virile, racisme et sexisme ordinaires , football américain... Mais ce ne sont plus les années 1930, il en faut d'avantage pour faire un roman réellement accrocheur sur ce sujet à l'instar des grands auteurs de cette époque, même si la période de parution de roman était encore très rétrograde dans ces régions américaines.

En fait le roman, même s'il se lit avec plaisir, ne surprend pas. Seul élément original, cette foire aux serpents, réunissant nombre d'adeptes et de barrés, au cours de laquelle les tensions vont se cristalliser jusqu'aux drames tous en relation avec le sombre héros du récit, Lon Joe. Sale héros d'ailleurs, mauvais mari et père entre autres, mais tout de même ambivalent dans ses actions et sentiments, autour de qui tourne entièrement le roman, les autres personnages n'étant que des faire-valoir dont la personnalité n'est estimée qu'à l'aune de son rapport à Lon Joe, qui lui ne manifeste d'intérêt que que pour sa sœur et le chien de combat de son père.

Cette facette du roman, ortho-centrée sur un bourrin tourmenté et complexe, est de fait la plus intéressante.

Il reste un bon roman de train facile et rapide à lire auquel il manque juste un petit quelque chose pour être incontournable.

Je lirai d'autres œuvres de Harry Crews (dont j'ai l'impression que " l'étranger" de Camus transpire au travers de ce roman), rien que son histoire personnelle est un roman...
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Le faucon va mourir

J'en ai les doigts qui tremblent de l'écrire mais voilà, c'est un fait : mon premier vrai raté dans ma fabuleuse histoire d'amour littéraire avec Harry Crews. J'en suis toute retournée et ne comprends toujours pas l'intérêt qu'on peut trouver à l'écriture d'un tel livre. Parce qu'il doit y en avoir un, c'est obligé, je ne peux pas croire le contraire, ce serait trop pénible, déjà qu'il y a pas de quoi s'accrocher au lustre...

J'ai dû passer à côté, c'est la seule explication mais même là, c'est pas suffisant pour excuser un tel fiasco.



Alors, vite fait, qu'est-ce qu'on a là-dedans : George, un doux dingue qui tient une petite entreprise de sellerie automobile. Billy Bob, son ouvrier et plus ou moins ami, incapable d'imaginer vivre sa vie autrement qu'avec des clous de tapissier plein la bouche. Betty, sa secrétaire plus ou moins étudiante qu'il culbute de temps en temps sans gloire ni plaisir. Precious, sa soeur mère-célibataire et Fred, son neveu, jeune adulte attardé sur le plan mental mais pas physique qui meurt assez rapidement dans son lit... noyé par son matelas à eau (la touche Harry Crews qu'on aime)

Alors moi au départ cette distribution, ça m'avait plutôt fait saliver quand on sait de quoi Crews est capable avec ses personnages, ça annonçait du très bon.



Quelle erreur et quel dégoût, presque 300 pages pour nous raconter par le menu que George, se rêvant fauconnier, est obsédé par la capture et le dressage d'un oiseau de proie (on ne sait pas pourquoi, mais ça au moins c'est du Crews pur jus, ses personnages ont des lubies que n'aurait pas l'individu normalement moyen et faut surtout pas chercher à comprendre, c'est comme ça c'est tout) il passe donc son temps libre à tendre des pièges à des faucons puis à les laisser mourir de faim vu qu'ils refusent une domestication incompréhensible pour eux. Jusqu'à la capture d'une fauconne qui, maltraitée, affamée et épuisée, se laisse plus ou moins faire, du coup l'autre ramolli du bulbe ne se sent plus et se prend pour un affaiteur de génie.



Voilà la substance de ce livre : de la souffrance animale à foison, entre les rapaces évoqués plus haut, le rat servant de piège qui une fois pris dans les serres n'a aucune chance de s'en délivrer (d'ailleurs rien ne nous sera épargné des détails de la brutalité de George le coupant en deux, en quatre, en six), les poussins décapités à la machette et les lapereaux sacrifiés à l'entraînement de l'oiselle...

Franchement, rien que d'écrire ça, je me dis que si le livre avait été un poil plus épais ou simplement signé d'un autre auteur, j'aurais été enchantée de le reléguer dans mes rares ouvrages littéraires abandonnés à un pourrissement mérité.

Faut vraiment que je considère Harry Crews comme le plus grand écrivain nord-américain pour l'avoir laissé insulter mon antispécisme comme ça. On est tellement loin des chefs-d'oeuvre que sont La Malédiction du Gitan ou Des Mules et des Hommes : Une enfance, un lieu, voire même de Body pour ne citer que mes ultra-favoris.

Bon, Harry, je t'aime toujours mais là quand même mon amour indéfectible vient d'en prendre un sacré coup... dans l'aile.

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Par le trou de la serrure



Une gueule. Et quelle gueule !



C’est ce qui frappe d’emblée sur la couverture de Par le trou de la serrure, de Harry Crews, traduit par Nicolas Richard et très joliment édité par Finitude. Un regard de l’auteur quasi invisible, si sombre, si dur et à la fois si apaisant.



Un recueil d’une vingtaine de textes disparates, parfois publiés dans des magazines, parfois plus intimes et restés secrets. Par le trou de la serrure, Crews nous donne à voir quelques instantanés de ce que fut sa vie.



Celle de ses origines dans le Deep South de Georgie, dans le comté de Bacon où il naquit, dans les marais d’Okefenokee où il apprit tant avec son oncle Cooter, le long de la Suwanee qui l’inspira.



Celle de sa jeunesse et de ses classes chez les Marines puis de sa vie d’adulte marquée par la mort de son fils ainé et sa relation avec le second, survivant. Viennent alors la plongée dans l’alcool, les internements, les fuites et les rechutes, assumées et décrites avec un réalisme froid.



Celle de ses rencontres people, où l’on croise Madonna parlant de Bukowski, Kahlo et Arbus, puis un Sean Penn touchant, suivi de quelques télévangélistes stars et de combats de boxe à succès.



Celle du temps qui passe, à écouter un éleveur maquignon et aveugle vanter les bienfaits de la possession du mulet dans le Sud, échapper à un ouragan dans les keys, apprécier quand même la bouffe infâme des restos routiers et y écouter parler les hommes entre eux.



Celle de l’Amérique et – déjà - de ses dysfonctionnements : chefaillons du Klan tentant de manière grossière de se dédiaboliser, absurdité du système de santé américain et religions sans caps bien clairs.



Et enfin, last but not least, celle de sa vie d’auteur, donnant lieu à des pages magnifiques et émouvantes sur l’écriture. Après tant d’autres, il dit à son tour les affres de l’écrivain, la douleur et le doute de l’acte d’écrire, engendrant jusqu’à la peur de la mort que seule apaise la vision de la Suwanee.



Il cite Robert Penn Warren en maître, dit la difficulté du 2e roman quand la puissance d’invention a disparu, s’attarde sur les liens et les différences entre l’écriture et l’enseignement, classe les genres littéraires en majeurs et secondaires et reviens à nouveau vers la rivière pour servir de métaphore (petites gouttes devenant rivière fluide) à l’acte créatif.



Tout cela est superbement restitué et conclut par une postface de Joseph Incardona, citant Fante et Crews comme l’ayant accompagné dans ses années de galère. « Lire Harry Crews (…) c’est se relier à une expérience de vie, à un cheminement qui traverse l’homme et l’écrivain – une sorte de lieu paisible où siègent ceux dont l’écriture confine parfois à la grâce ».



Si avec ça vous n’êtes pas convaincus…

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Descente à Valdez

Engagé par Playboy pour rédiger un article sur la construction d'un tout beau tout nouveau mais tout controversé oléoduc en Alaska, Harry Crews débarque à Valdez (gaffe à la prononciation) pour remplir sa mission dont on sent dès le départ (ou plutôt dès l'arrivée en pleine tempête à bord d'un avion piloté d'une seule main par un boutonneux texan) qu'elle va être épique.



D'entrée de jeu, un temps merdique entre saucées glaciales et froid polaire oblige le de toute façon bien peu sobre sieur Crews à trouver un honnête réconfort dans la vodka et la bière Oly (« Tout le monde consomme l'Olympia parce que, bon dieu, c'est la bière de l'Alaska »).

Entre bitures et fish fry, le ton est donné et en une petite soixantaine de pages on va faire connaissance avec un tatoueur-fou (mais qui, selon ses dires, à assisté Lyle Tuttle à L.A., donc quand même un peu de respect), un mac qui ne s'habille et ne se la joue Iceberg Slim qu'une fois bien enfermé chez lui, des autochtones-pêcheurs, des esquimaudes-tapineuses et les tout premiers ouvriers recrutés pour mettre en branle ce magnifique projet pétrolier qui, si tout se passe bien, devrait drastiquement réduire la faune de la région, du caribou au faucon pèlerin en passant par les frayères, un écosystème qu'étonnamment jusque là personne n'avait encore songé à aller emmerder dans cette étendue arctique.



Un très bon moment de journalisme à l'ancienne, de celui qui dénonçait sans vergogne parce qu'on a beau se marrer des rencontres extravagantes que fait Harry Crews durant son court séjour, c'est quand même la menace d'un bouleversement de l'équilibre environnemental au nom béni du dieu Pognon qui s'annonce pour Valdez, ce petit coin de terre méconnu et qui aurait drôlement bien voulu le rester aux dires d'un natif : « On n'est pas plus de soixante-dix mille. Pense à ça. Un tel pays, et pas plus de soixante-dix mille autochtones. Esquimaux, Aléoutes, Indiens ou, comme moi, métis, mais nés et ayant grandi ici. Et cet oléoduc va nous tuer, nous et le pays. »

Donc gars du coin, ok, mais visionnaire avant tout puisque moins de quinze ans après cette chronique mordante aura lieu l'échouement de l'Exxon Valdez, catastrophe pétrolière dont découleront les conséquences que l'on sait.

Un reportage délirant sur la forme mais clairement glaçant sur le fond.

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Nu dans le jardin d'Eden

De Garden Hills, il ne reste rien ou presque.

Un beau jour, l’usine a fermé, les habitants sont partis.

Seuls quelques paumés à la poursuite de leurs chimères, sont toujours là, accrochés à leur territoire avec la rage de vaincre la noirceur de leur quotidien.

Ils espèrent le retour de Jack O’Boylan, , persuadés que celui grâce à qui le bout du bout du monde est devenu la plus grande mine de phosphate du pays ne peut les avoir abandonnés.



Toute la force de ce roman réside dans l’éventail de personnages qui nous est proposé.



Comme dans toute communauté, il y a le notable, Fat Man, dont le père était autrefois le propriétaire des terres sur lesquelles a été creusée la mine, il s’est vu offrir par le magnat en partance, les titres de propriété sur l’exploitation.

A la tête d’une petite fortune léguée par son père, il vit à l’écart, dans une grande demeure. Personnage atypique de 285 kg pour 1,65m il passe ses journées à ingurgiter d’énormes quantités de boissons et de nourriture.

Il est assisté dans sa vie quotidienne par Jester, qui a perdu dans un accident son cheval en même temps que ses rêves de jockey.

Et puis il y a Dolly, superbe créature, ancienne reine de beauté de retour de New-York, elle a bien envie de redonner vie au site en le transformant en lieu de plaisir pour les touristes.

Par-dessus tout ce petit monde, il y a l’ombre de Jack O’Boyal, celui par qui tout a commencé, une sorte d’Arlésienne, on en parle tout le temps mais il n’apparait jamais.



« Nu dans le jardin d’Eden » est un roman noir qui se savoure avec bonheur, qui ne laisse aucune place à l’ennui.

Un bon moment de lecture.



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La malédiction du gitan

Que ceux qui se plaignent à tout bout de champs pour presque rien prennent exemple sur Marvin Molar : il est né sans jambes, sauf si on considère que ses deux petites cuisses de grenouille de jambes en sont.



"C’est rapport à ce qu’il est tellement vilain, avec ces foutues jambes ficelées à son cul comme il a".



Non content d’être cul-de-jatte, il est aussi muet de naissance, ses parents l’ont abandonné à l’âge de trois ans devant un gymnase pour les fous de fonte et Marvin devenu est sourd par accident.



Il a juste pour lui un buste puissant et des bras de cinquante centimètres de circonférence. Vous me direz que ça lui fait une belle jambe… je sais.



Nous sommes à Tampa en Floride, dans une salle de sport, le Fireman’s Gym où se côtoient les boxeurs, les fous de fontes et les sportifs amateurs.



Les personnages sont toute une histoire à eux seuls. Le maître des lieux, Al Molarski, ancien lutteur au corps bodybuildé qui a perdu un peu de sa masse musculaire puisqu’il a 70 balais. Sa manière de parler est aussi assez originale puisqu’il inclut son prénom dans les conversations.



— T’avais pas dit à Al qu’elle s’exerçait.



C’est lui qui a récupéré Marvin et en a fait un artiste, un équilibriste, une bête de foire, notre homme arrivant à faire pivoter ses 45kg sur un seul doigt. Al est accompagné de Pete, un ancien boxeur Noir qui parle tout seul et de Leroy, un jeune qui pensait savoir boxer.



Tout ce petit monde tournait assez bien jusqu’au moment au Marvin a cédé aux sirènes d’Hester, sa copine – qui possèdent des jambes interminables – et l’a amené vivre avec eux…



Sa gonzesse a beau avoir tout ce qu’il faut là où il faut, savoir réaliser des prouesses sexuelles à damner des Bonzes Tibétains ou à faire triquer un régiment d’eunuques, il lui manque un truc essentiel : le cœur !



"¡ Que encuentres un coño a tu medida !" est la malédiction du gitan qui signifie "Trouve-toi un con à ta taille et tu ne seras plus jamais le même"… Amis de la poésie, bonjour !



Si Marvin ne possède ni la parole ni des jambes, il a une cervelle et sait s’en servir, il a compris, lui, ce qui allait se passer… Malheureusement, quand on se fait tenir par le bout de la bistouquette, on n’est plus bon à rien. Et puis, quand on a fait entrer le loup dans le poulailler, c’est trop tard.



J’ai pris un plaisir énorme avec la plume de Harry Crews et son monde de Freaks (monstres humains) tellement drôles, cyniques, qui, sous leur carapace et leur air grognon possèdent un cœur. Al est comme un père pour eux et tous les 4 se complètent tellement bien.



Marvin fut mon préféré, son statut de narrateur donnant au récit une touche plus profonde, plus belle, plus touchante. Il y a un tel réalisme dans l’écriture que les personnage vous paraissent réels, surtout que leur langage est des plus fleuri et n’a rien d’académique.



"J’ai tenu plus de roustons dans ma main que Willie Mays a jamais lancé de balles de base-ball" elle a fait en prenant bien soin de paraître désinvolte.



Et puis, Marvin, petit personnage cabossé, est attendrissant au possible.



Le malheur, je l’ai vu venir… leur monde était fragile et on l’a senti vaciller à l’arrivée d’Hester. On sait que tout finira mal, mais on ne peut pas lâcher le livre, espérant un happy end.



C’est un grand moment d’émotion que j’ai passé en lisant ce roman noir qui jongle avec le cruel et le tendre, l’espoir et le désespoir, le machiavélisme et le cynisme, la renaissance et la mort, la bêtise des uns et l’intelligence de Marvin.



Drôle et dramatique en même temps. Machiavel avait dû donner des leçons à certaines.



Oui, Marvin, je t’ai compris… Oui, Marvin, tu vas me manquer.


Lien : http://thecanniballecteur.wo..
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Nu dans le jardin d'Eden

Prenez une ancienne mine de phosphate floridienne devenue une ville fantôme où tentent de survivre une douzaine de familles. Au cœur de cette petite communauté, placez Fatman, 280 kilos sur la balance, des « petits orteils roses aussi tendres que les tétons d’une vierge » et « un nombril aussi profond qu’une tasse de thé ». A ce « roi obèse » ajoutez Jester, ancien jockey d’un mètre dix traumatisé par un accident en course et qui depuis fait du cheval à bascule, Dolly, ex-reine de beauté voulant transformer la mine en bordel avec go-go danseuses, Lucy, échappée d’un Freak Show où elle fumait des cigarettes avec son vagin devant « une foule masculine qui passait son temps à lui demander d’essayer avec son trou du cul » ou encore Wes, au chômage depuis l’arrêt de l’exploitation du phosphate et qui passe ses journées à creuser un trou qu’il rebouche le soir venu. Mélangez bien le tout et vous vous retrouvez avec un récit peuplé de créatures aussi sauvages que misérables où le grotesque et le pathétique tiennent les premiers rôles.



Bienvenue chez les marginaux de l’Amérique profonde, ceux qu’Harry Crews savait mettre en scène comme personne. Publié en 1969, Nu dans le jardin d’Eden est son second roman et il était jusqu’alors inédit en France. L’auteur du cultissime « Chanteur de gospel » y déroule une partition déjantée dont personne ne sort grandi. Dans ce paradis perdu devenu un enfer pour tous, la méchanceté est une seconde nature et la cupidité une raison d’être. La narration alterne entre le passé des différents protagonistes et le présent de la communauté. Le retour sur le parcours de chacun éclaire leurs attitudes et leurs actes. ll faut sans doute aimer cette ambiance crépusculaire peuplée d’affreux, sales et méchants pour apprécier toute la modernité d’un texte sans concession dont la fin d’une insoutenable cruauté laisse sans voix. Perso, je suis fan, totalement fan !
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Le karaté est un état d'esprit

Ce que j’ai ressenti:



▪️Respiration Iboki.



Le karaté est un état d’esprit. Rien de plus vrai dans ce titre et cette affirmation. Alors respire et entrevois la sérénité qui se cache derrière l’écriture survoltée de Harry Crews, le karaté comme filet de sauvetage en cas de chute vertigineuse. Cette discipline implique un contrôle de soi et de son esprit, et ses personnages en marge de la société essayent de saisir son pouvoir apaisant. C’est une interprétation très spéciale de cet enseignement ancestral, et dans cette histoire, l’état d’esprit est au dépassement de toutes les limites du corps et des codes de la société. Autant vous prévenir tout de suite, il vous faudra maîtriser votre respiration pendant cette lecture…Violent. Déjanté. Sulfureux. Il ne vous laissera pas indemne…



La respiration.Tout est dans la respiration. Inspirez le monde et expirez-le…



▪️Pousser un kiai.



John Kaimon en a, des cris à pousser, et il se jette donc à corps perdu dans cette petite communauté de karatékas, au fin fond de cette piscine vide, pour essayer de calmer ses ardeurs et la puissance de ses souffrances. Tous les personnages de ce roman énergique, sont des êtres torturés, abîmés, des Freaks, des marginaux, tellement en souffrance, que plus qu’un choix de vivre autrement, c’est une destinée. Une destinée de losers, chaotique et sublimée par une poésie vibrante que Harry Crews nous déploie pour nous faire apprécier ces monstres humains, en trop plein de fractures diverses. L’auteur met de l’intensité violente et une passion dévorante dans ces mots. Tellement qu’il m’a été difficile de quitter ses pages. Il y a des cris qu’on pousse, des larmes qu’on perd, des obsessions qu’on gère plus ou moins, et du sang qu’on est obligé de laisser couler dans cette piscine…A vous de voir, jusqu’où vous irez à suivre cette communauté… »Rai! »



-Pour croire ce qui est ici, vous devez cesser de croire le reste du monde.



▪️Frapper le makiwara.



Avec ce roman inédit, les éditions sonatine frappe fort! Je découvre un nouvel auteur avec une plume forte, poétique et torturée. Très torturée. Il n’a pas peur des mots et des étiquettes, il les fait saigner à coup de poing, les brise dans un cri de fureur, pour en sortir tout un mal-être d’une génération, celle des seventies, et cela donne une lecture karaté-ment intense!



Avez-vous déjà mis le nez dans un livre? Je veux dire vraiment mis le nez? Tous ses petits mots qu’il y a dedans. Toutes ses lettres. Vous êtes-vous jamais demandé ce que ça implique pour un homme?







Ma note Plaisir de Lecture 9/10
Lien : https://fairystelphique.word..
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