Citations de Hortensia Papadat-Bengescu (52)
J’ai appris ce que signifie pour moi le roman : quelque chose d’âpre, de grave, sans ménagement, comme la vie au-delà des façades. Travail aride dans le matériau le plus dense de la vérité.
[Am aflat ce înseamnă pentru mine roman: ceva aspru, grav, fără cruțare, ca și viața cea de dincolo de fațade. Muncă aridă în materialul cel mai dens al adevărului.]
(p. 22)
Bucarest résout le problème de la grande et de la petite ville, province et capitale à la fois. Ce sont là deux attributs, combinés dans des proportions au dosage machiavélique, qui lui donnent son caractère distinctif. La progression même de la ville respecte cette loi, se développant dans n'importe quelle direction et sur n'importe quelle distance, sans toutefois cesser de se mouvoir autour de son noyau central.
(page 80)
Dia, pentru cursele ei, lua un taxi și evita Calea Victoriei ; sau lua un tramvai, un simplu tramvai din care cobora pe bulevardul Lascăr Catargiu, pentru o plimbare spre Șosea de o oră.
În Marcian era un vid, un abis al voinţei, în care se azvîrlea cu îmboldirea puterilor toate. A doua zi, recules în noua armonie a vieţii ce i se pregătea, avea să dirijeze ca un stăpînitor concertul din muzică de Bach.
Aşadar, cheia ce a deschis sipetul în a cărui profunzime îmi este lesne să caut, greu să aleg, deoarece autobiografia mea literară cu cea personală se confundă inextricabil. Unitate şi dedublare: cu fiece moment de viaţă îmi trăiesc existenţa artistică, totuşi nimeni nu şi-a izolat mai absolut eul artistic de existenţa cursivă. În chiar momentele de totală identificare, un instinct adăposteşte în mine cu grijă, unul de altul, cele două conflincte inseparabile.
(p. 8)
În camera ei, pe marginea unei canapeluţe, Aimée se frămînta. Deşi sigură a-şi fi atins scopul, nu avea răbdare. Lunile de doliu o importunau, se întorcea spre Lenora ca spre un sprijin pentru a-i cere s-o scutescă de doliu...
En Marcian se créait un vide, un abîme de sa volonté, dans lequel il se jetait de toutes ses forces. Le lendemain, recueilli dans l’harmonie d’une nouvelle vie qu’on lui préparait, il allait diriger en souverain le concert de musique de Bach.
Se oprise, dar Ana pricepuse ca vrea să spună că ei doi nu erau ca Nina, care grabise nunta din interes.
Le jour de la répétition générale, préparée depuis si longtemps par Madame Elena Draganescou-Hallipa avec passion et méthode, arriva. Elle avait été longuement organisée avec un zèle systématique, attendue ensuite avec patience et sagesse et, les derniers jours, avec un surprenant énervement.
(p. 274)
Oui ! il faisait un temps tout à fait comme ça, lorsqu’elle s’était liée à Lina… et son énigme semblait éclaircie pour le cocher, car sa bouche large affichait la grimace joyeuse de quelqu’un qui regarde une personne heureuse. Mini avait saisi le billet destiné au cocher et l’avait remis machinalement dans le sac, ensuite elle s’était dirigée doucement vers les escaliers, sur le ciment gelé. […] Elle appuya à peine sur la sonnette, comme d’habitude.
(traduit du roumain par Florica Courriol)
Marcian ne quitta pas un moment les exécutants, il restait avec eux. La façon de procéder de l’artiste, encore qu’elle ne fût pas préméditée, créait un état d’esprit excellent pour la musique et un état moral semblable pour les musiciens. Leur solidarité avec le chef d’orchestre permettait une interprétation parfaite.
(p. 278)
Le corps spirituel présente parfois des désaccords partiels de la santé […] D’autres organismes spirituels, tout comme les êtres physiques, présentent des anémies, rachitismes, dégénérescences et certains, comme celui de Lenora, de brusques lésions.
(traduit du roumain par Florica Courriol)
Souriant dans l’air qui fouettait les visages, sourire lumineux dans le givre qui tombait, Mini regardait la maison d’en face qu’elle ne voyait sûrement pas et le cocher qui frottait ses pattes emmitouflées de gants rudimentaires en laine marron et qui la regardait à son tour, détendu, comme s’il apercevait un peu de soleil dans l’air sacrément froid…et Mini souriait encore plus, réchauffant plus fort l’instant figé.
(traduit du roumain par Florica Courriol)
Lorsqu’elle descendit de la voiture devant la maison des Rim, Mini glissa légèrement. Il y avait un verglas terrible. Le mouvement appela du souvenir lointain un autre mouvement, semblable : un jour de gel comme celui-ci, le jour où elle arrivait dans la Cité, le premier hiver après la guerre […] Arrêtée près de la voiture à cheval, Mini cherchait distraitement dans son sac, les mains tout à coup réchauffées dans leurs gants, sans le trouver, le billet de vingt « lei », qui était bien à sa place… À la même époque de sa vie, elle avait connu les Rim : l’amie Lina, « la Bonne Lina », et l’escogriffe aux longues griffes, son savant époux, Rim le catholique et surtout le jésuite.
(traduit du roumain par Florica Courriol)
Jamais et nulle part, les poèmes ne sont lus, les livres racontés, les pièces de théâtre jouées avec une plus grande gaucherie et avec une plus grande force d’adoration [que pendant les récréations des cours de lycée]. Pour nous alors, le poète était un Dieu. Plus tard, les hommes humanisent trop la divinité ou bien, ne savent plus diviniser les mortels. Moi, j’ai gardé intacte cette force d’aimer le Poète dans l’homme de tous les jours et j’élève des statues toujours aussi belles aux vivants.
(à Alexadru Vlahuță, traduit du roumain par Florica Courriol)
Le rythme à la phrase ample ou le chuchotement minutieux de Bach ne quittait jamais l’idée grave, l’émotion concentrée, le dessin tracé de lui-même à travers les méandres harmonieux. Les sons relevaient les reliefs de nobles effigies, les modulations donnaient des suggestions de virtuosité. Il s’élevait là des prières simples pour des amours sans duplicité, à l’ascension sereine ; des amours édifiées par une âme victorieuse, mais sans faste ni vanité, franchissant des obstacles écartés par la virtuosité spirituelle.
(p. 277)
En revanche, dès que la musique commençait, cela la calmait, lui rendait une certitude absolue. C’était comme si elle flottait sur une mer paisible, avec des ports qui étaient autant de promesses de bonheur. […] La portée musicale était un amphithéâtre féerique sur lequel se projetait l’architecture des palais de marbre. Sur les fondations des cordes, les notes ponctuaient le dessin des jardins, les arpèges faisaient la courbe des collines et à partir de la clé de sol des cascades d’eau envoyaient un tourbillon fluide ou seulement une nappe de fraîcheur, une araignée vaporeuse comme la fine dispersion d’un jet d’eau. Ensuite le soir tombait en accord mineur sur les cités.
(pp. 276-277)
Elena assistait à la répétition générale du concert de Bach comme une élève bien appliquée à une distribution des prix. Elle ne se rendit pas compte de la succession exacte des numéros du programme, ni de l’attitude de ceux qui y assistaient, pendant les pauses. Une rumeur de soie et de délectation l’envahissait et lui transmettait son message de satisfaction. C’était la palpitation légère des dames en robes de taffetas et de crêpe de Chine.
(p. 276)
L’olympienne Elena connaissait, elle aussi, quelques émotions, soulevées par son unique passion : la musique. Pour tout ce qui concernait ses matinées musicales, elle éprouvait hésitations, timidité, craintes, soucis, impatiences, bref, toute la gamme des sentiments. Même lorsque tout était au point, les soucis ne manquaient pas : le virtuose X, de passage à Bucarest, accepterait-il de jouer chez elle, avant le concert public ? La musique de Saint-Saëns serait-elle mieux exécutée qu’à l’Athénée ? La partition de Debussy était-elle vraiment celle jouée dans la salle Érard ?.
(p. 173)
La veille, Elena avait ressenti une faiblesse physique et spirituelle de convalescente et de cette fatigue elle était vite passée à un profond sommeil. […] L’arrivée des invités se fit presque sans qu’elle eût à intervenir, par vagues propices qui les rangeaient favorablement. Elena se tenait parmi eux comme une simple auditrice. Elle éprouva l’émotion des violons qui s’accordaient comme la préparation d’une délectation qui va être offerte, sans avoir conscience de ses responsabilités.
(pp. 274-276)