- ce n'est pas la race ou la religion qui différencient les humains, mais ce qu'ils ont dans le coeur. Ils sont bons ou mauvais, lâches ou courageux, retors ou généreux.
Marie tendit la main, saisit la dextre du jeune homme. Elle se dirigea vers la meute. Son cœur battant à se rompre, Renaud la suivit.
- Ils vont s'approcher pour te reconnaître. N'oublie pas que ce ne sont pas des chiens… N'essaie pas de les caresser.
Elle tenait toujours les mains de Renaud. De longs instants passèrent. Le plus gros des loups, celui que le jeune homme avait vu sortir de la forêt, se dressa.
- C'est le chef de la meute, dit Marie avec du respect dans la voix… Laisse-le te sentir à son aise» […]
Le loup le huma longuement… Au bout de ce qui lui parut une éternité, les grondements cessèrent et les poils hérissés retombèrent sur l'échine du fauve.
Encore un instant et l'animal esquissa un battement de queue. Puis tranquillement, il fit demi-tour et rejoignit ses congénères. Marie battit des mains.
- Il t'a accepté! S'exclama-t-elle.
La saison s'avance. L'automne est arrivé, et la forêt a encore changé de couleur, nous offrant le plus resplendissant de sa palette, qu'elle garde en réserve pour cette occasion unique. Ce ne sont qu'explorations de pourpre, de marron, de vert sombre, d'or, et chaque jour, à la lumière du soleil changeant, ces couleurs muent, s'enrichissent, se font sensuelles, étourdissantes.
Des noms jaillissent de-ci de-là, qui prouvent que ces paysans n'étaient pas incultes. Lamartine, Pierre Loti, Dumas... Jules Verne. Et ça se rapproche. Appolinaire, Mallarmé, Proust, Péguy... Céline... Je me plonge dans cette littérature disparate, mes lunettes se frayant leur chemin à travers les taches jaunes d'humidité,, les antiques crottes de mouche et les ciselures des dents de souris. Je me prends à aimer ces heures où je m'abstrais du monde, devant mon feu de bois, dans mon fauteuil, emmitouflée dans un grand châle de laine.
Renarde, c'est l'âme de cette forêt, son essence, et j'ai l'immense privilège qu'elle m'offre d'y pénétrer. Renarde fait plus que me tolérer. Je sais qu'elle se satisfait de me voir, et j'ose croire que ce n'est pas uniquement dû à la viande que je lui offre. Je lui adresse mes pensées, je lui explique mentalement qui je suis, ce que je fais là, pourquoi la vie m'a blessée et le réconfort que m'apporte la certitude que, petit à petit', je m'intègre dans l'harmonie de cette forêt et de ces habitants.
J'en apprends sur les cousinages officiels ou de la jambe gauche entre les familles X et Y, les brouilles entre les Z et les A, les enfants adultérins des V... J'ai même su qu'une des sœurs Joucelier "d'vot'maison, eh ben, c'était une sacrée qu'y fallait pas y en promettre, celle-là, y z qu'le train qui y était pas passé d'sus, allez, on peut ben l'dire, ça fait trente ans qu'elle est morte !" et Thérèse m'a confirmé que c'était la pure vérité, "mais c'est comme ça dans tout'les familles, faut qu'y ait au moins une putain ou une bonne sœur !"...
On raconte que la Terre a failli crever de connerie et de pollution, dit Baert. Je me demande si elle va pas finir par crever pour de bon ! La connerie est toujours là et côté pollution, ça s’arrange pas !
Je suis pas une sainte, reprit la pénitente. Moi aussi, je veux en avoir un peu, du bonheur, Quand je l'ai marié, le Lucien, je voulais qu'on ait beaucoup d'enfants, et des beaux gars qui feraient la fierté de la famille. J'ai eu l'Émilie, et ensuite...plus rien. L'autre soir, j'ai cru... qu'y aurait une chance. Mais y avait pas de chance, mon père, et je sais pas si le bon Dieu, Il veut m'en donner une autre !
La voix de Marinette Theuvenot avait à nouveau vibré, mais d'une sourde colère, cette fois. L'abbé bhocha silencieusement la tête.
- En voulez-vous à Dieu, ma fille ?
- Oui, mon père. Il est pas juste !
Ce fut dans le silence d'un petit matin froid qu'éclata le crépitement d'une rafale de mitraillette. L'air était si calme que les détonations furent entendues jusqu'au centre du village, et que toutes les têtes se retournèrent, tandis que les mouvements s'interrompaient et que la même inquiétude se faisait jour chez les Pauléens. Depuis que les Allemands étaient arrivés, pas un seul coup de feu ne s'était fait entendre.
Avec une sorte de violence, Marinette se força à détourner son regard du paysage qui défilait sous ses yeux. Quelle importance que la vendange soit belle ? Cela ne la concernait plus ! Cette année, elle n'aurait pas à se tuer au travail pour préparer les repas des vendangeurs. Elle n'aurait pas à se lever avant l'aube pour préparer le café, aller à l'herbe aux lapins, faire la lessive. Elle n'aurait pas à traire les vaches, baratter le beurre, faire les lits, épousseter... Par Dieu, elle n'était plus l'esclave de la famille Theuvenot ! Elle s'était libérée.. Alors pourquoi cette peur qui l'étreignait un peu plus à chaque tour de roue de l'autocar, pourquoi cette nostalgie qui lui gonflait la poitrine de soupirs et baignait de larmes ses paupières ?