Hyam Yared Schoucair

Le bonheur est une dette.

La preuve du rêve est dans les arbres.

La lecture de l'horreur ne tolère pas d’œillères.

Je sais ce que tu penses des rêves fous qui ne doivent être prononcés que du bout des lèvres afin qu'ils puissent glisser imperceptiblement de l'utopie où ils sont nés vers le monde.

Dans tous les aéroports du monde, le café a désormais le goût d'un identique désespoir.

Dès les premiers jours qui suivirent le décès de ton mari, tu voulus apprendre la solitude. Tu t'entouras de livres, de toiles de peinture, de chevalets et de tout l’attirail d'une artiste. Tu passais de la peinture à la sculpture avec la gravité de qui sait avoir une responsabilité envers la beauté.

Tu voyais dans nos poumons un sanctuaire à la vanité des choses et citais Virginia Woolf : "La vie est un rêve. C'est le réveil qui nous tue."
Le seul fait d'exister te réjouissait.

J'ai pleuré de savoir que l'on vieillit. Je n'avais rien choisi. J'étais née, et je ne voulais pas mourir au même endroit. Je m'imaginais telle quelle, mais ailleurs. En Inde par exemple. En Iran, voilée et révolutionnaire. Dans un camp palestinien, issue d'une famille de réfugiés. Rester sur place m'indisposait. Écrire, c'est partir un peu. J'écrivis de tout mon être. Les mots réconfortaient ces besoins de fugue qui vous étreignent sans retour. Il m'importait peu d’arriver quelque part du moment que je partais. Je ne voulais qu'une chose : m'absenter.

Même la loi est sexuée. Surtout elle.

J'aurais voulu ne pas naître ou autrement. Dans un corps d'homme pour voir ce que ça fait d'avoir la loi pour soi.

Ce n'est pas lui qui s'est joint à elle, c'est elle qui l'y a obligé. En apparence il est libre, en réalité, je vous le dis, elle l'a ligoté en lui aspirant le cerveau par la bas du ventre. Ils sont nombreux à l'avoir perdu ainsi. Il faut se méfier des sexes des femmes, il y a des ventouses à l'intérieur.

Fille unique, elle fut exemptée de la guerre des sexes et de l'affect qui naît des préférences parentales à l'égard de leurs progénitures.

Son fils aussi lui devait tout. Depuis sa plus tendre enfance, il avait été adulé par sa mère qui fit de lui un héros. Premier mâle après trois filles nées sans testicules, elle le couvrit d'affection, et cessa de procréer : avec lui, la perpétuation de la lignée était assurée.

Après avoir été inspectée par les soldates du patriarcat - dans chaque famille, il y a au moins une Tante Violette, une mère, une marâtre -, Rayon X sortit de la pièce, satisfaite.

Je reconnus ma belle-mère au blanc envahissant de ses yeux. Avec presque pas de pupilles dedans, sinon deux petits points miel et chétifs. L'amour n'a pas de pupille. Pas de regard. Ma belle-mère me fit penser à un rayon X. Dès que ses yeux se posèrent sur moi je sus que ma nudité me traquerait. J'aurais beau avoir dix couches d'habits, de tissus, de manteaux, de pulls, j'allais être constamment transpercée par ses yeux fureteurs.

Ma future belle-mère n'écoutait rien et calculait tout. Le nombre de caries. La qualité de la saliver. L'épaisseur du sang. Elle s'assurait du milieu buccal où la langue de son fils irait traîner.

Ma future belle-mère avait deux yeux acérés comme des lasers qu'elle baladait en vrille sur ma silhouette tandis que Tante Violette hochait la tête, l'air de dire : Vous voyez ? Je vous avais bien dit qu'une chrysalide d'hippopotame pouvait devenir cygne.

J'avais acquis l'âge légal - létal- de la majorité, adéquat pour un mariage cadenassé.

Si je l'ai aimé, mon mari ? Oui, au début. Je l'ai aimé de me sauver des griffes de la mère. Par la suite, j'ai compris que nous ne faisions que changer de griffes.

La guerre n'avait rien changé aux mœurs libérales de ce pays regorgeant de maisons de passes et autres lupanars où danses du ventre, boissons alcoolisées et sexe étaient à l'honneur. Jadis situés au cœur de Beyrouth, ces lieux s'étaient déplacés à l'est et à l'ouest de la capitale, où des miliciens éreintés battaient en retraite. Les boîtes de nuit abondaient de filles, d'ici ou d'ailleurs, acheminées par avions ou bateaux quand l'aéroport était mis hors d'usage. Tels des papillons attirés par la lumière d'un eldorado, la plupart ignoraient la teneur de l'emploi, avant d'atterrir sur le territoire crevassé du pays en guerre. Elles signaient un contrat â peine lu et n'en comprenaient l'engagement qu'au moment du rut déchargé et de la transpiration.