Il se cache toujours de l’imaginaire ailleurs que dans le rayon imaginaire.
le roman Le Remplaçant du canadien Iain Reid en est un excellent exemple puisqu’il se dissimule dans la collection noir/polar des Presses de la Cité…et pourtant…
Pourtant, l’auteur de Je sens grandir ma peur (magistralement adapté par Netflix et Charlie Kaufman sous le titre Je veux seulement en finir) nous entraîne clairement dans le monde de demain puisqu’il est ici question de voyage vers une colonie spatiale et d’une réplique artificielle d’un être humain que rien ne permet de discerner à l’œil nu de l’original…Vous avez dit science-fiction ?
La chance de votre vie
Le Remplaçant est un livre extrêmement étrange. Pas qu’il soit très complexe à aborder mais son atmosphère constamment inquiétante et toujours sur le fil concourt à maintenir le lecteur dans un état de tension permanente en attendant la rupture. Une rupture qui ne viendra pas…et pour cause.
On sait peu de choses du cadre de cette histoire si ce n’est que nous sommes dans un futur plus ou moins proche, assez avancé en tout cas pour qu’une multinationale du nom d’OuterMore se soit lancée dans la colonisation spatiale et produise des androïdes capables de remplacer un être humain dans les moindres détails. Le lieu lui reste flou, quelque part à la campagne, très loin de la ville, dans une petite ferme où le temps semble presque figé.
Iain Reid commence son récit de façon très sobre : Junior voit arriver par sa fenêtre une voiture qu’il ne connaît pas. Cette voiture, c’est celle de Terrance, un des représentants de la société OuterMore, qui vient lui annoncer une excellente nouvelle : il a été sélectionné pour partir dans l’Espace et participer à l’Installation. Junior en est bouleversé…surtout qu’il n’a strictement rien demandé ! La sélection a eu lieu, et puis voilà, c’est comme ça.
Sa femme, Henrietta, semble moins surprise, presque résignée. Malgré tout, Junior sait bien que la nouvelle de son futur départ chamboule Hen puisque son comportement envers lui a changé du tout au tout depuis la visite de Terrance et elle refuse désormais qu’ils dorment dans la même chambre.
Deux ans s’écoule bientôt et Terrance revient !
Junior est bien l’heureux élu du programme et il part très bientôt. Mais qu’il ne s’inquiète pas pour sa femme, en son absence, un « remplaçant » sera fourni par OuterMore pour éviter la solitude à Hen. Pour parfaire la conception de ce « remplaçant », Terrance doit juste s’installer chez le jeune couple quelques temps…
Le Remplaçant est une sorte d’home invasion très particulière et insidieuse. Il rappelle, de loin, Bedfellow de Jeremy C. Shipp à ceci près que l’horreur reste en sourdine mais le sentiment d’être le seul à se rendre compte que quelque chose cloche ne cesse de nous questionner. Car malgré l’irruption de Terrance dans la vie du couple et son aveu d’espionnage (la sélection s’est faites sur l’écoute de mots-clés prononcés par Junior durant certaines discussions du quotidien, GAFAM bonjour !), ni Junior ni Hen ne se révolte, comme résignés à leur sort et, surtout, à l’impossibilité de contrôler leur vie.
Le contrôle sera d’ailleurs l’un des thèmes centraux du roman avec celui du libre-arbitre et du double.
Que sommes-nous devenus, mon amour ?
Petit à petit, Iain Reid mène de front deux fils narratifs : celui qui expose la relation amoureuse en lambeaux entre Hen et Junior (et qui confronte ce dernier à ses souvenirs pour le moins parcellaire) et celui qui impose Terrance de façon insidieuse dans la vie du couple et notamment de Junior.
Le Remplaçant n’est donc pas véritablement un récit de l’horreur, c’est un récit du glissement vers l’anormal avec une présence toujours plus gênante et surréaliste d’un parfait inconnu qui finit par être familier, et cela même pour le lecteur. En définitive, pourtant, on sait peu de choses sur Terrance si ce n’est que son extrême affabilité cache forcément quelque chose. D’une certaine façon, Terrance incarne toutes ces multinationales qui envahissent notre quotidien, prélèvent des données et veulent nous faire croire que c’est pour notre bien, que c’est une chance. Ce qui effraie cependant le plus, c’est la passivité du couple et notamment de Junior qui accepte tout sans rechigner ou presque et ne se révolte que dans sa tête. Pire encore pour Hen qui reste longtemps totalement extérieure à la problématique du nouvel arrivant et du départ prochain de son mari.
Mais ce qui va finir par tenir le récit, c’est définitivement la relation de couple entre Hen et Junior qui semble curieusement asphyxiante pour la jeune femme. C’est en discutant ensemble que les deux « amoureux » vont finir par comprendre que quelque chose va très mal pour eux, que Junior est en train de détruire sa femme et qu’il ne semble même pas s’en apercevoir. Très vite, avec l’arrivée de Terrance dans la maison et la place de plus en plus importante prise par l’homme d’OuterMore, Junior se remet en question et devient de plus en plus paranoïaque au point même de douter de lui-même.
La fin du roman, à la fois attendue et particulièrement brillante, pose la question de l’identité et de l’empathie de la machine. Sans en dévoiler le fin mot, disons simplement que Iain Reid montre que l’on peut se fabriquer une réplique mentale d’une personne et ne pas voir l’évident changement en face de nous…parce qu’on ne souhaite tout simplement pas le voir pour son propre confort.
Le Remplaçant s’avère aussi dénué de grandiloquence et d’esbroufe de la première à la dernière ligne pour un résultat dérangeant et obsédant pour le lecteur.
Étrange et paisiblement inquiétant, Le Remplaçant emploie des procédés presque Dickiens pour disséquer une relation de couple déjà en cendres et une invasion tranquille qui viendrait sauver l’enfer du quotidien. Iain Reid écrit une histoire aussi fascinante que malaisante où le lecteur semble être le seul à comprendre que quelque chose va très mal dans cette petite vie (trop) ordinaire.
Une réussite glacée et glaçante.
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