Cécile Sakai, Professeure des universités, nous invite avec ce nouveau cycle à entrer dans sa bibliothèque idéale grâce à quelques grandes figures de la littérature japonaise moderne.
Aujourd'hui elle nous fait découvrir une pionnière des lettres de l'ère Meiji, Higuchi Ichiyô. Sa courte et difficile vie ne l'a pas empêchée de réaliser son ambition d'écrivaine. Sensible aux injustices, en particulier celles dont souffrent les femmes, elle dénonce dans ses récits les failles de la société japonaise de l'époque. Publiée alors qu'Ichiyô n'a que 23 ans, La treizième nuit (traduction de Claire Dodane, Professeure de langue et littérature japonaises à lUniversité Lyon 3, Editions Les Belles Lettres, 2008) est une nouvelle représentative de cette sensibilité et constitue un sublime condensé de son immense talent d'écrivaine.
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Lorsque , vêtue d’un grand vêtement sans doublure aux motifs de papillons et d’oiseaux sur fond couleur de plaquemine, avec, serrée sur la taille, une ceinture chûya * - un côté satin noir, l’autre parsemé de points multicolores - et chaussées de pokkuri** peints, très hauts même pour le quartier, elle revient de son bain matinal la serviette à la main , en voyant sa silhouette à la nuque blanche , les jeunes gens qui rentrent du Yoshiwara*** disent : »On voudrait la voir d’ici trois ans ! ».
*bicolore, une partie claire, l’autre foncée.
**sandales en bois
***Quartier des plaisirs de Tokyo.
( Ça se passe fin XIX e siècle )
Le Monde dans lequel nous vivons est un Monde d'erreurs. Les rumeurs nous brisent comme les vagues d'une rivière sans nom et nous éclaboussent de fausses accusations.*
*En référence à un poème de Mibu no Tadamine( poète de la première moitié de l'époque de Heian);
" A travers le Michinoku coule la Rivière de la Réputation acquise;
moi j'ai acquis la réputation de séducteur sans même avoir rencontré l'être aimé,
voilà ce qui m'est pénible."
L'amour qui se cache, comme il est éphémère.
Le prochain rendez-vous sera périlleux.
La poudre blanche est salie par les larmes.
Le saké pris sans plaisir dissimule la tristesse du visage.
"Le chemin de l'amour qui se cache", chanson d' Edo [ancien nom de Tokyo]
Aux premières gelées du dixième mois, une lune éclatante brillait sur les feuillages de l'automne. Son éclat vif, comme aiguisé, était aussi glacial que le visage maquillé d'une vieille femme. La lune illuminait tout en dessous d'elle (...). Rien n'échappait au rayonnement de la lune. Elle enveloppait tout. Sous elle, le pur étincelait dans sa pureté, tandis que le souillé demeurait dans le trouble. Scintillante comme un joyau, et désintéressée, elle suivait les choses du monde dans toutes les directions.
"Le son du koto" (1893)
Tandis que les flocons dansent dans le ciel comme les ailes de papillons silencieux et qu'ils couvrent à perte de vue la terre d'un manteau d'argent, voilà que sur les arbres dénudés de l'hiver les cristaux rivalisent de leurs pétales avec les fleurs du printemps...
Combien j'envie ceux qui célèbrent dans leurs poésies et leurs chants la beauté de la neige, à côté de celle de la lune et des fleurs!
"Jour de neige" (1893)
Tandis que les flocons dansent dans le ciel comme les ailes de papillons silencieux et qu'ils couvrent à perte de vue la terre d'un manteau d'argent, voilà que sur les arbres dénudés de l'hiver les cristaux rivalisent de leurs pétales avec les fleurs de printemps...
Le jeune homme venait d'entrer dans un monde où cent fleurs différentes étaient en même temps écloses.
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Lorsqu'on tourne au coin de la rue, le saule des adieux matinaux,près de la Grande Porte qui marque l'accès du Yoshiwara est encore très loin,mais le bruit qui sort des fenêtres des seconds étages dont les lumières se reflètent dans l'eau du canal aux Dents Noires se fait déjà tout proche.Les voitures qui circulent sans arrêt de nuit comme de jour,dans ces parages ,font deviner la réelle prospérité de ce quartier animé et,bien que le nom de Daionji-mae ait un relent bouddhique,les gens qui y habitent disent que c'est un joyeux endroit.( Page 19).
Son père qui, après lui, a cinq enfants à élever, gagne sa vie comme tireur de pousse. Il a beau avoir des clients attitrés dans la rue des cinquante maisons de thé, la roue de la fortune ne tourne pas aussi bien que les roues de sa voiture et il se trouve dans l'embarras.