Entretien entre Ilios Kotsou et Caroline Lesire
Une personne nombriliste n'est pas forcément prétentieuse. Au sens large, le nombrilisme fait référence au sentiment rigide et réducteur selon lequel le monde tournerait uniquement autour de nous. Étonnement, on peut avoir une très mauvaise image de soi et de sentir le ventre du monde, non en raison de nos qualités mais parce que nous sommes obsédés par nos propres défauts ou difficultés.
Nous avons toutes et tous nos strategies d'evitement qui peuvent se révéler plus ou moins destructrices à long terme pour nous et pour les autres. Télé, internet, travail, alcool, medicaments ou chocolat, ce n'est pas tant le geste qui pose question que la fonction qu'il remplit. Lorsque le comportement est là pour nous eviter de ressentir une emotion desagreable, il risque de nous entrainer dans la spirale negative de la dépendance. La realité, c'est qu'il n'est pas possible de contrôler nos experiences interieures. Nous ne pouvons échapper a nous-même. L'evitement a donc cet effet paradoxal d'augmenter notre mal-être à long terme.
Devoir se forcer à être heureux ou s'interroger continuellement sur son état sont de vrais obstacles à savourer le présent....Plus nous avons des attentes par rapport à une fête, plus nous sommes susceptibles d’être déçus.
Plus une chose est importante pour nous, plus Elle nous rend vulnerable : seul ce qui a de la valeur à nos yeux peut causer notre souffrance. Repousser tout risque, ou toute forme d'inconfort, revient alors à refuser de s'engager pour ce qu'il y a de plus essentiel, ce qui donne du sens à nos vies. Prisonnier de l'evitememt, nous passons le plus clair de notre temps à essayer de "nous sentir bien" au lieu d'ameliorer notre vie de maniere concrète.
Le bonheur serait-il "un état durable de plénitude et de satisfaction, un état agréable et équilibré de l'esprit et du corps, d'où la souffrance, le stress, 'inquiétude et le trouble sont absents"? Et la vie, un chemin où la maladie et la mort seraient maintenues loin de notre vue? L'amour? En couple, nous devrions vivre en harmonie totale, sans conflit, avoir des corps parfaits et, bien entendu, une libido d'enfer! Parents parfaits, travailleurs motivés, citoyens exemplaires : en bref, le bonheur est en train de devenir, par certains côtés, la nouvelle religion de notre société de consommation.
"En nous forçant à atteindre l'inaccessible, nous rendons impossible ce qui serai tréalisable" p.40
Un voisin de Nasreddin vient le voir un jour pour lui conter ses malheurs. Il semble visiblement bien attristé par ce qui lui arrive ces derniers temps, des problèmes divers auxquels s'ajoutent ses inquiétudes sur la marche du monde. Nasreddin, assis sur un banc à côté de son ami, l'écouta patiemment, sans un mot. Soudain, alors que son voisin continue à se lamenter sur son sort, le visage de Nasreddin s'éclaire :
"Voisin, tu aimerais être dégagé du besoin de travailler pour nourrir ta famille ?
- Oui, dit le voisin qui venait de se plaindre du temps passé en voyages pour vendre ses marchandises.
-Voisin, tu voudrais pouvoir rester faire la sieste à l'ombre d'un arbre frais quand tu le souhaites ?
-Oui, fit le voisin avec un visage qui commençait à se réjouir.
-Voisin, tu voudrais pouvoir passer ton temps à jouer ou à te détendre sans rendre de comptes à personne ?
- Oh oui ! fit le voisin dont le visage reflétait l'espoir de cette vie tout autre et tant rêvée.
-Voisin, tu voudrais que l'on te donne de l'affection seulement quand tu viens en chercher, sans rien te demander en retour ?
-C'est bien cela, Nasreddin ! Que tu es clairvoyant ! dit le voisin avec ardeur.
D'un bond, Nasreddin se lève alors de son banc et se met à courir en direction du village. Le voisin se lève à son tour et hèle le Mullah :
- Nasreddin, où vas-tu donc?
-Je cours à la mosquée pour prier Allah de te transformer en chat !"
Le nombrilisme, parce qu'il nous fige, clôt notre identité à quelques descriptions limitées de nous-même, nous enferme, nous coupe des apprentissages que nous pourrions vivre et nous prive des expériences qui entreraient en contradiction avec cette conceptualisation. Cela revient à nous accrocher à l'histoire que nous nous racontons sur nous, envers et contre tout. Nous nous chosifions, nous collons à ce masque, ce costume que l'on (nous) a fait endosser au fil des années.
C'est à ces conditions que nous pourrons conquérir une nouvelle forme de liberté. la liberté de ne plus attendre de nous sentir bien, d'avoir confiance en nous, de penser positivement ou d'être "quelqu'un" pour enfin vivre. Alors le bonheur n'est plus un objectif, un idéal ou un dû, mais une manière de cheminer.
" Les vivants ferment les yeux des morts, les morts ouvrent ceux des vivants. "
Proverbe africain.