Ce livre est un livre de vie... Cela peut toutefois sembler emphatique, mais sa lecture m'a littéralement éclairé. En effet, ce chercheur belge partage dans cet essai la substantifique moelle de sa profonde connaissance des auteurs anglo-saxons. Et il va à l'essentiel en un peu plus de deux-cents pages qui se dévorent très vite.
Après avoir décortiqué « l'illusion d'un bonheur assimilé à une suite de plaisirs sensoriels mis bout à bout » tel qu'il est vendu par la société de consommation, Kotsou nous met en garde contre « l'obligation d'être heureux » véhiculée par certains thuriféraires de la pensée positive : « devoir se forcer à être heureux ou s'interroger continuellement sur son état sont de vrais obstacles à savourer le présent. » Et c'est peu dire !
Selon Kotsou, la meilleure manière de renforcer les pensées dérangeantes et les phobies est de vouloir les éviter. Que ce soit en recourant aux somnifères et autres antidépresseurs ou en les fuyant par l'hyperactivité ou l'ascétisme professionnel, voire sportif.
D'accord. Mais alors, que faire ? Eh bien, nous dit ce spécialiste de l'intelligence émotionnelle, il faut a contrario accepter ses émotions « négatives » et les prendre pour ce qu'elles sont : des idées qui traversent plus ou moins fréquemment notre esprit au milieu de milliers d'autres idées, plus ou moins agréables.
Une fois qu'on a réussi à prendre conscience qu'elles ont l'impact qu'on veut bien leur donner, il « suffit » de les accepter et de les remettre à leur juste place : des idées qui passent et qui n'ont aucun effet sur nous. A fortiori si nous apprenons à les regarder passer sans les craindre.
Car, « reconnaître ses émotions, cela veut dire être capable de les identifier (et de les décrire), savoir quand nous sommes en colère, triste ou anxieux. Cela nécessite de développer l'aptitude à prendre conscience, sans jugement, de ce qui se passe en nous. Nous n'en serons peut-être pas plus détendus (dans un premier temps), mais nous y gagnerons en liberté. »
Raison pour laquelle, être capable (si possible sur le moment, sinon juste après) de se décrire à soi-même (ou à un proche) les palettes des émotions ressenties, permet d'en diminuer fortement l'impact. C'est en tout cas ce que révèle l'étude scientifique de Richard Pond (2012).
Or, pour être moins soumis au flux et au reflux de nos états d'âme, il faut d'abord avoir le courage de nous y exposer « et, quand nous les avons identifiés, les accueillir et passer du temps avec eux. Quand on apprivoise un animal, on s'en approche doucement en diminuant progressivement la distance qui nous sépare de lui. »
Ainsi, en acceptant d'affronter des contextes que nous avions pris l'habitude de fuir, nous livrons (au début) un combat libérateur qui nous ouvre des perspectives auxquelles nous avions renoncé.
En effet, « prendre nos pensées au sérieux leur offre beaucoup trop d'influence sur nous. Une idée à laquelle nous donnons du crédit est à même de déclencher dans notre corps des réactions identiques à celles d'un fait réel comme une accélération du rythme cardiaque, une crise de larmes... et nous mettre dans une situation de stress sans qu'aucune cause objective ne soit présente. »
La solution paraît simultanément aisée et complexe : « considérer nos cogitations comme de simples pensées. » Et les voir passer en nous comme nous regarderions déambuler des individus depuis la terrasse d'un café. Car, « en nous rendons compte que nos ruminations ne sont que des concepts, même et surtout quand elles prétendent le contraire, nous nous en distançons. »
Ilios Kotsou se lance ensuite dans un réquisitoire contre la sacrosainte « estime de soi ». Car, poussée à l'extrême, plutôt que de nous aider à supporter les moments de crise qui ne manquent pas de subvenir dans la vie de chacun, celle-ci « nous conduit à tenter d'ignorer ou de masquer nos vulnérabilités. » Or, qui dit déni, dit évolution impossible.
C'est pourquoi l'essayiste lui préfère « la douceur envers soi » qui n'implique pas d'autoévaluation, donc le risque d'accroître encore son stress ou son agressivité. Les études de
Kristin Neff (2007 et 2011) démontrent que les personnes plus indulgentes envers elles-mêmes ruminent moins et sont protégées des effets ravageurs de l'anxiété. Au niveau de ses conséquences positives, « la compassion pour soi » amène celles et ceux qui l'ont intégrée à davantage de sociabilité, d'optimisme et d'initiative.
Car, « d'une manière paradoxale et contre-intuitive pour la plupart d'entre nous, la douceur envers nous-même nous pousse à nous corriger, à donner le meilleur de nous. » Ainsi, au sein d'un couple, les bénéfices de l'autocompassion seront immédiats : en la pratiquant, on est beaucoup moins sur la défensive et on admet plus facilement ses torts. Comme on ne craint pas une agression de notre égo boursouflé donc friable, on sera plus serein, réaliste et on essaiera de faire mieux quand l'occasion se présentera à nouveau.
Accepter sa propre vulnérabilité, au lieu ne nous affaiblir, nous unit au genre humain et nous permet d'aller vers l'Autre sans peur d'être humilié ou anéanti. Effectivement, « nous pouvons impressionner par nos grandeurs et réussites, mais nous ne sommes touchés et touchons que par nos fragilités et nos blessures. » le grand
Leonard Cohen l'avait compris : “Il y a une faille en toute chose, c'est par là qu'entre la lumière.”