C’était l’année de la déchéance de la nationalité pour les juifs. Ceux d’entre eux qui voulaient quitter le pays étaient autorisés à s’en aller à la condition de ne plus jamais revenir. Et cette année là, aucun juif ne fut admis à l’université.
e me calfeutre dans mon appartement et je suis les nouvelles du pays. J’écris de la poésie. Je dialogue avec Bagdad à l’aide de la télécommande, et je me considère comme une patriote. Mes poèmes sont les armes que je manie le mieux. Que puis-je faire de plus qu’aligner les mots et les lamentations à la manière des poètes d’antan. Même la tendresse, je m’évertue à l’ extirper de moi afin de ne pas être envahie par la nostalgie. Je ne veux pas retourner là-bas, pas même pour en savoir plus. Les liens se sont interrompus depuis que les écrans ont été envahis par des Irakiens qui ne ressemblent pas aux Irakiens. Des voleurs, des coupeurs de têtes , des nervis qui exhibent sur la poitrine les médailles de leur forfait.
Le studio dans lequel ils vivaient verticalement le jour, et horizontalement la nuit.
"La télévision ne cessait de jouer avec nos émotions. L’écran nous envoyait des décharges d’adrénaline en retransmettant le bruit des canons qui tonnaient, des bombes qui explosaient, des hommes qui couraient pour échapper à la mort, et les images d’embrasement, de fumée et de jeunes gens terrorisés qui, le visage blême, esquissaient malgré tout le signe de la victoire à l’intention des photographes."
De son côté, il n'avait rien à cacher. L'armée du Mahdi n'est pas différente des armées classiques, des factions, des milices populaires d'autrefois. La foi ou l'idéologie, c'est pareil, et le mollah n'est pas différent du chef militaire. Chacun s'abrite derrière une collectivité.
La vérité c’est que les Irakiens considèrent mes camarades comme des occupants, des soldats qui accomplissent leur service militaire et exécutent les ordres – bref qui ne sont pour rien dans la décision de lancer cette guerre.
Etais-je une hypocrite, une Américaine à double visage ? Ou bien une Irakienne temporairement en sommeil, comme ces espions dormants qu’on infiltre des années à l’avance en territoire ennemi ?"
"J’essaye d’échapper à cette sangsue de romancière, mais elle ne me lâche pas, son ombre derrière moi recouvre la mienne au point que je n’arrive plus à faire la part entre elle et moi. Même Rama (la grand-mère) la redoute quand elle lui arrache les mots de la bouche pour les coucher sur le papier. Or celui-ci ne saurait transmettre les cassures de la voix ni la chaleur des sentiments. Alors ma grand-mère cherche à établir un lien direct entre sa mémoire et ma conscience, afin de court-circuiter la romancière."