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Citations de Irène Théry (28)


10. « Les deux tentations symétriques de la tyrannie et de l'abdication dans les abus sexuels sur mineurs éclairent une dimension complexe de la troisième révolution du consentement : la façon dont, au moment même où la civilité sexuelle entre adultes se réorganisait autour d'une 'normativité procédurale', attentive à construire le consentement mutuel se la séduction (au sens positif de ce qui est séduisant, désormais bien distingué de ce qui est séducteur) dans l'ici et maintenant d'une conversation érotique entre égaux, s'est affirmé au contraire le besoin impérieux d'une 'normativité statutaire' édifiant la barrière sacrée d'un interdit sexuel entre les âges et les générations.
L'impact exceptionnel des livres de Vanessa Springora et de Camille Kouchner ne s'explique pas autrement. L'un et l'autre ont poussé au plus loin, au fil du récit, la réflexion sur le consentement d'une très jeune personne qui non seulement n'avait pas psychologiquement de "liberté de consentir" du fait de sa jeunesse, mais découvre progressivement, en devenant adulte, autre chose : que le consentement d'un mineur ne peut logiquement pas en être un quand ce qui est requis de lui par l'adulte est de contrevenir à la règle sociale la plus élémentaire, celle qui définit le délit et le crime, et cela par la seule force d'un maître des significations qui décide, arbitrairement, que cette règle n'en est pas une. Ils ont en quelque sorte donné à voir à un large public pourquoi l'emprise pédocriminelle fait plus que porter atteinte à l'intégrité de la victime, et porte atteinte à l'institution du sens et au langage lui-même. » (pp. 342-343)
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9. [Nathalie Bajos, in : « Sociologie des violences sexuelles au sein de l'Église en France (1950-2020) », 2021] « L'abus sexuel repose sur l'idée que l'asymétrie de la relation et l'exploitation d'une vulnérabilité par une personne contre une autre constituent un obstacle intrinsèque à l'expression d'un consentement libre et éclairé : il peut être appliqué à toute relation où une personne même majeure, placée sous l'autorité de fait ou de droit d'une autre, subit des violences sexuelles. Il permet également de penser les gestes à caractère sexuel commis sans violence, menace ou surprise. […] Nous parlons de "personnes abusées" plutôt que de victimes pour souligner la problématique relationnelle qui est au cœur de l'analyse sociologique présentée ici. » (cit. pp. 284-285)
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8. « Le premier constat est que la fin du grand principe de division des femmes ne s'est pas accompagnée de l'émergence de jugements indifférents au sexe. Non seulement la vieille opposition entre l'image valorisante du "séducteur" masculin et l'image stigmatisante de la fille "facile" ou "chaude" n'a pas disparu, mais il n'est pas certain qu'on puisse attribuer cette différence au simple poids de stéréotypes dépassés, comme s'il ne s'agissait que d'une survivance destinée à disparaître spontanément. Elle manifeste aussi et surtout ce qui se passe quand, aux anciennes normes morales distinguant le décent et l'indécent, le propre et le sale, le bien et le mal, n'ont pas succédé de nouvelles références collectives partagées par tous et organisant ce que Mauss nomme un "système d'attentes" (au sens de "je m'attends à...") permettant d'y adosser une certaine confiance relationnelle. Ce silence laisse libre cours à la jungle des rapports de force et amène chaque jeune à chercher son chemin à tâtons, en terrain non balisé. » (p. 256)
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7. « Avec Éric Dubreuil, cofondateur de l'APGL, Martine Gross ouvrait une tout autre voie. La façon tranquille et impliquée dont elle parlait me signifiait : vous avez l'habitude de voir un mouvement LGBT+ libertaire, féru de contre-culture, méprisant volontiers le bourgeois, et dont l'engagement sur le sida a bouleversé la société française. Mais parallèlement, une nouvelle phase s'est ouverte, pour laquelle vous n'avez pas les codes : nous voulons aussi l'intégration sociale. Nous ne sommes pas seulement des couples, nous avons ou souhaitons avoir des enfants et nous voulons aussi devenir des familles comme les autres. C'est là que vous devez changer votre façon de voir, car notre mobilisation pour la vie ordinaire est d'un genre inédit.
On ne parlait pas encore d' "inclusion", mais c'était déjà cela. Les personnes dont parlait Martine ne se voyaient nullement comme des individus asexués. […] Elles étaient d'une 'nouvelle génération', différente de celle qui était sortie du placard en cherchant surtout à s'émanciper du temps où il fallait se marier et avoir des enfants avec une personne de l'autre sexe pour donner le change, et n'avaient pas de réponse toute faite à la traduction en droit de leur démarche. Elles cherchaient. Elles inventaient... Comment aurais-je résisté à l'idée de les accompagner, quand elle me le proposait, la main tendue ? » (p. 210)
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6. « […] on insistera sur l'historique du changement : ces revendications ont très rapidement et très fortement évolué au cours des quarante dernières années, au fur et à mesure que de nouveaux possibles et de nouveaux souhaitables apparaissaient pour les couples gays et lesbiens et favorisaient l'émergence de familles homoparentales, en convergence directe avec l'évolution des mœurs et des valeurs des couples hétérosexuels eux-mêmes. Sans cette convergence, il n'est pas sûr que la société aurait été capable d'intégrer des changements aussi profonds à une telle rapidité à l'échelle historique. De fait, le contre-modèle qui a été combattu n'est pas "l'hétérosexualité" ou "l'hétérosexisme" mis en avant dans une perspective ensembliste-identitaire (comme si les hétérosexuels étaient par définition des 'dominants' partisans de l'ordre établi, qu'il n'y avait pas eu une hétérosexualité stigmatisée au XIXe siècle et la plus grande partie du XXe siècle et que l'hétérosexualité ne vivait pas elle aussi aujourd'hui sa révolution des valeurs), mais le modèle matrimonial napoléonien/victorien dans sa dimension homophobe. » (p. 170)
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5. « Dès lors, ce qui domine tous les débats de société est l'affrontement éternellement recommencé entre une idéologie progressiste attachée aux droits des individus (désormais sous la forme de la défense de telle ou telle classe identitaire d'individus auparavant discriminés), mais qui disqualifie l'enjeu des institutions communes, et une idéologie traditionaliste attachée très souvent à l'idée d'institution mais assimilant celle-ci au seul modèle napoléonien ou victorien (éventuellement modernisé) et déplorant à hauts cris ce qui se passe comme une choquante destruction des institutions sur les coups de "l'individualisation" et du triomphe du sujet-roi. D'où un écart permanent entre ce qui se passe, en particulier en droit, et qui engage la métamorphose des institutions du monde commun et les affrontements idéologiques qui se développent à la faveur de ces changements, où cet enjeu n'est pas repéré. Pour proposer une analyse synthétique de cette troisième révolution, trois étapes seront nécessaires.
La première, autour des redéfinitions du couple comme manière privilégiée de lier amour et sexualité, montre le lien direct entre métamorphoses du couple hétérosexuel, démariage et reconnaissance du couple homosexuel au sein d'un nouveau pluralisme de la parenté (encore inachevé). […]
La deuxième, sur la notion de "civilité sexuelle", la fin de l'ordre sexuel matrimonial, les nouvelles formes de distinction permis/interdit et le sens de #MeToo, situe la question des violences sexuelles dans le contexte plus large de la remise en cause du principe pluriséculaire de dissymétrie entre une sexualité masculine de conquête et une sexualité féminine de citadelle et de l'élaboration d'une nouvelle civilité sexuelle de consentement.
La troisième, sur la reformulation des rapports entre les âges et les générations par l'institution d'une barrière sacrée des âges devenant la nouvelle pièce maîtresse de l'ordre sexuel, permet de replacer les enjeux de la lutte contre la pédophilie, la pédocriminalité et l'inceste en rapport avec la façon dont la société se doit d'accompagner le mouvement ordinaire d'autonomisation progressive des jeunes sur le plan sexuel. » (pp. 150-152)
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4. « "Le repos du mariage, l'intérêt qu'a chaque citoyen, chaque époux, chaque père de famille, à ce que sa réputation soit pure et à ce que les êtres liés à lui par les affections les plus tendres ne le soupçonnent point d'une honteuse dépravation" : voilà l'impératif majeur au nom duquel Benjamin Constant, qui siégea parmi les rédacteurs du Code Napoléon, défendit le principe d'irresponsabilité masculine inscrit dans l'article 340 du Code civil. Face à l'idée que les femmes pourraient au moins, sans en faire un père, désigner le géniteur dans l'acte de naissance, la bataille qu'il mena révèle bien que ce qui se présente au départ comme une simple question de preuves de la paternité engage en fait l'opposition entre la "réputation pure" et la "honteuse dépravation", des mots visant traditionnellement toujours les femmes, et qu'il choisit d'appliquer à l'homme père de famille par un artifice rhétorique assez osé. » (pp. 133-134)
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3. « Si les divisions "par sexes, par âges, par générations et par clans" sont, comme le soulignait Mauss, les divisions premières qui ordonnent l'action collective […], il n'y a pas besoin pour l'expliquer d'aller chercher une supposée volonté "des hommes" de s'approprier "les femmes", et il vaut mieux oublier toute idée de dévoilement de mécanismes cachés. La raison d'être de ces distinctions statutaires est entièrement sous les yeux […]
Ce qu'elle révèle en effet est d'abord que, contrairement à une idée répétée à satiété depuis les Lumières par l'idéologie individualiste de la "complémentarité naturelle" de l'homme et de la femme, il n'y a pas d'exception sexuelle à l'institution sociale : la vie en commun de l'un et de l'autre sexe ne s'organise jamais "naturellement" dans notre espèce, mais doit être instituée selon des règles et des valeurs, et pour cela mise en significations. » (pp. 94-95)
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2. « En 1556, le conflit entre la puissance séculière et la puissance religieuse éclate finalement. Le roi Henri II publie un édit "sur les mariages clandestins" qui exige pour tous les enfants de la famille, de moins de 30 ans pour les garçons et de 25 ans pour les filles, l'autorisation des parents. Sans aller jusqu'à prononcer la nullité de leur union, ce qui aurait violé le monopole de l'Église, il punit d'exhérédation ceux qui se seraient conjoints par mariage "illicitement".
[…]
[Par l'ordonnance de Blois proclamée par Henri III en 1597] On affirme alors qu'à côté du rapt de violence, un autre rapt est possible, le rapt de séduction : la fille séduite "par blandices et allèchement" n'a pas plus de consentement libre que la fille ravie par force. Si elle s'est mariée à la suite de déclarations fallacieuses et des manœuvres dont elle a été victime, son mariage peut donc être déclaré nul pour rapt, c'est-à-dire pour défaut de consentement. L'article 40 de l'ordonnance de Blois interdit aux curés de célébrer des mariages sans le consentement des parents "à peine d'être punis comme fauteurs de crime de rapt" et l'article 41 déclare ces mariages nuls. L'article 42 institue le nouveau crime :
"Voulons que ceux qui auront suborné fils ou filles mineurs de vingt-cinq ans, sous prétexte de mariage ou autrement, soient punis de mort sans espérance de grâce ou de pardon, nonobstant tous consentements que lesdits mineurs pourraient avoir donné au rapt, lors d'icelui ou auparavant." » (pp. 60-62)
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1. « […] trois grands sujets ont ces dernières années concentré tous les débats : le tribunal de l'opinion et la présomption d'innocence ; l'ampleur des agressions dans le cercle des proches et la protection des mineurs ; l'existence ou non d'un consentement.
Dans ces trois domaines, ce qui est en jeu va bien au-delà de la seule question des viols, des agressions ou du harcèlement. À travers eux, l'ensemble des présupposés qui organisent la façon dont nos sociétés appréhendent la vie sexuelle est interrogé. Dans cette perspective, les divergences n'ont rien de surprenant dans une société démocratique : ce sont autant de signes de l'émergence, complexe, d'une nouvelle civilité sexuelle encore inachevée. » (p. 20)
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12. « À la théorie traditionnelle de la personne comme hypostase correspond une définition substantielle et quintessentielle de l'identité : elle tente d'articuler un ressenti originel du moi intérieur et l'identification à un rôle social compris comme un modèle à imiter. En revanche, si l'on conçoit la personne comme interlocuteur possible, on refuse à la fois le dualisme du moi et du corps, le solipsisme de l'intériorité et la conception du rôle comme simple modèle d'identification. On défend alors une tout autre idée de l'identité personnelle, à distance de la philosophie sociale individualiste de nos deux mythes d'origine : toute vie humaine commence 'in medias res', comme disent les dramaturges, au milieu de l'action qui a déjà commencé et dont le nouveau venu va apprendre à être partie prenante. Dans le contexte d'un monde humain signifiant, "répondre à la question qui, c'est raconter une histoire". [Paul Ricoeur, _Soi-Même comme un autre_, 1990] » (p. 601)
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11. « La pratique qui fait entrer l'enfant dans la modalité conditionnelle révèle en effet que devenir garçon ou fille, c'est justement apprendre à la fois que l'on n'est que d'un sexe, que nul n'est enfermé dans son identité de sexe, que le monde humain commun est celui de la distinction sexuée des statuts relationnels – justement parce que la différence sexuelle des corps ne produit par elle-même aucune sorte de socialité humaine –, et que les formes que prend cette distinction de sexe ne sont pas immuables mais varient avec les sociétés qui modifient en permanence leurs institutions. C'est ce qu'indique la troisième personne grammaticale qui appartient à la médiation du discours. Parce qu'elle n'est pas un troisième personnage de l'interlocution, son sens n'est pas univoque. Ses 'différents usages' permettent d'identifier celui ou celle dont on parle selon des logiques différentes donnant au pronom 'il' ou 'elle' plusieurs significations. Il peut en effet désigner quelqu'un :
- comme partenaire d'une vie sociale identifié par l'un de ses statuts relatifs et relationnels, en particulier de parenté, modalisé par la distinction masculin/féminin ;
- comme personne supposée capable de s'approprier ses propres actes et discours et de les revendiquer comme de sa responsabilité. Cet interlocuteur possible transcende totalement les sexes, mais parmi ses capacités il y a celle d'agir "en tant que" et donc de participer d'un monde humain modalisé par la distinction de sexe ;
- comme exemplaire d'une espèce naturelle, doté(e) d'attributs ou de propriétés qui permettent de le ou la classer dans tel ou tel ensemble d'individus, par exemple l'ensemble des mâles ou celui des femelles, posant la question de ce que propose la société aux enfants nés de sexe incertain.
Cette liste n'a pas la prétention d'être exhaustive. […] En rabattant ces différentes façons de désigner un même individu, qui sont très exactement la traduction de notre condition d'humains parlants, sur le plan unique de l'identité de garçon ou de fille conquise par 'incorporation d'une image', ou 'identification' à un modèle paternel ou maternel, la théorie du trio oedipien a pour longtemps rendu très difficile une pensée de la dimension normative, donc signifiante, de la distinction de sexe. La méconnaissance obstinée de la forme dramaturgique de la vie sociale, en particulier de celle de l'interlocution où se distinguent le personnel et le statutaire, et la disqualification du mot "rôle" au sens de "participant à une action commune", est ainsi partagée par les courants parfois les plus opposés dans leurs jugements et leurs valeurs. Le cadre commun de leurs débats témoigne de la prégnance de la matrice judéo-chrétienne dans notre société déchristianisée. » (pp. 567-569)
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10. [Charles Taylor, _Les Sources du Moi_, 1989] « Il n'existe aucune façon dont nous pourrions être une personne sans avoir été initiés à un langage. […] Le sens que les mots essentiels ont d'abord eu pour moi est celui-là même qu'il a eu pour 'nous', c'est-à-dire à la fois pour moi et mes interlocuteurs. […] C'est le sens de la maxime de Wittgenstein selon laquelle "il doit y avoir conformité non seulement de définition mais aussi de jugement". Plus tard je pourrai innover. Je pourrai développer une façon originale de comprendre la vie humaine et de me comprendre moi-même qui s'opposera à celle de ma famille, de mon milieu. Mais cette innovation ne pourra se produire qu'à partir de notre langage commun. […] C'est ce que signifie : on ne peut pas être un moi par soi-même. Je ne suis un moi que par rapport à certains interlocuteurs. […] Un moi n'existe qu'à l'intérieur de ce que j'appelle des "réseaux d'interlocution". » (cit. p. 401)
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9. « C'est tout le paradoxe de la notion d'identité de genre. Loin de nous avoir libérés de la problématique confuse de la différence, elle a exacerbé le différentialisme identitaire au point de générer aujourd'hui toutes sortes de tentations de fuite en avant : indifférence radicale des sexes, déterminisme du genre social subi, solipsisme du genre authentique ressenti... Interroger jusque dans sa très longue histoire la conception de la personne qui préside à l'opposition du sexe et du genre est sans doute indispensable si nous voulons comprendre pourquoi il nous est encore si difficile de mettre des mots sur la caractéristique la plus ordinaire de la vie humaine : elle permet de ne pas être assigné à l'adhérence à soi. Ici comme ailleurs et aujourd'hui comme hier, chacun de nous n'est que d'un sexe, aucun de nous n'est enfermé dans une moitié d'humanité. » (p. 362)
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8. « En mettant en cause les deux piliers que les penseurs des Lumières avaient donnés à la nature humaine, la raison universelle fondant l'artificialisme politique et le sentiment inné du juste et du bien fondant le droit naturel, elle exprime la capacité formidable de nos sociétés de susciter sans cesse l'examen des idées reçues, la contestation des pouvoirs en place, la capacité à changer les institutions politiques. Cette critique aurait pu conduire à réfléchir sur le paradoxe apparent de l'universel anthropologique, qui n'existe que sous les espèces de formes de vie particulières : c'est toujours dans et par le particulier que l'on accède à l'universel humain, comme c'est dans et par la maîtrise d'une première langue singulière que l'on accède plus largement au langage. Mais, tout à l'inverse, la disqualification du variable comme factice doublée de retrouvailles avec les mystères de la nature parfois purement réactives à la raison des Lumières, ont conduit à une opposition de plus en plus radicale de l'individuel et du social, poussant parfois jusqu'aux dernières extrémités du solipsisme la démarche classique de quête d'une nature humaine enfin vierge des différences sociohistoriques. » (pp. 341-342)
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7. « D'un côté, comme chacun le sait, on avait parfois gravement ignoré la sujétion dont les femmes peuvent être victimes et les violences qu'elles peuvent subir. Mais de l'autre, on avait sous-estimé tout autant 'la valeur' qui peut leur être conférée, 'l'autorité' qu'elles peuvent détenir, 'le pouvoir' qui peut être le leur et 'le respect' qui peut leur être témoigné. C'est cette dimension centrale de l'apport de l'ethnographie féministe contemporaine que manquent entièrement les grandes théories de la "domination masculine". À ne pas en tenir compte, elles propagent une représentation entièrement négative, victimaire, et finalement très dévalorisante des femmes des sociétés traditionnelles. Cette représentation, soutenant le grand messianisme occidental de la "défense des femmes", se propage désormais à travers de grands programmes politiques internationaux d'aide aux pays pauvres. Mais une vision purement négative du rôle et du statut traditionnels des femmes est, à juste titre, de moins en moins acceptée dans les sociétés non occidentales. » (p. 308)
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6. « Pour certains, le cœur de l'identité personnelle est 'l'identité de genre' : le sentiment intérieur d'être homme ou femme, masculin ou féminin. Pour d'autres, le cœur de l'identité personnelle est 'l'identité sexuelle' : le sentiment intérieur d'être hétérosexuel, homosexuel, bisexuel, etc. Dans l'un et l'autre cas, l'identité personnelle est conçue comme l'identité psychique que chacun peut découvrir à l'intérieur de lui-même, dans l'intériorité de son moi le plus intime, et elle apparaît comme la preuve la moins discutable d'une 'authenticité' de la personne. Il est intéressant de remarquer que, sous une tout autre forme qu'autrefois, un point de référence originel et naturel est toujours recherché. La grande différence avec le passé est que cette nature originelle de l'individu, loin d'être "la prise naturelle des liens de convention" (Rousseau), est considérée comme un lieu intérieur dont la valeur est d'échapper à toute prise de la convention sociale. Il revient à l'individu de découvrir ce lieu authentique en lui-même, de le préserver dans sa singularité, et de le protéger de toute atteinte de la société, redoutée comme une menace inquisitoriale. Les conventions sociales sont alors disqualifiées comme une sorte de théâtre aux personnages surfaits et factices. Il est important de souligner que dans cette perspective, l'identité personnelle intime – qu'elle soit de genre ou d'orientation sexuelle – n'est pas conçue comme ce qui permet une sorte de grand geste arbitraire d'autodéfinition de soi, contrairement à ce que prétendent les partisans d'un ordre symbolique psychanalytique qui ne cessent de critiquer l'ivresse de la toute-puissance du Sujet souverain. » (pp. 258-259)
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5. « Le marxisme, le fonctionnalisme, le behaviorisme ont été avec le structuralisme les principales formes qu'a prises l'adhésion d'une grande partie des intellectuels aux thèses des lois causales gouvernant nos comportements et faisant de l'histoire un "procès sans sujet". Ainsi, pendant une longue période, une sorte d'alternative s'est imposée : soit on considérait avec la philosophie du sujet, les théories de l'acteur rationnel et la sociologie du moi, que seuls les individus sont réels, et c'est à partir des caractères internes de l'individu qu'on cherchait à composer du social ; soit on considérait cette autonomie du sujet rationnel comme illusoire, et le dévoilement des grands mécanismes qui nous déterminent à notre insu devenait la tâche des sciences sociales et de la philosophie. Si je puis risquer cette image, il était alors difficile de refuser le choix entre être mangé bouilli par le subjectivisme ou rôti par le déterminisme, et de revendiquer le droit de sortir de la question.
[…]
La grandeur de Cornelius Castoriadis n'est pas seulement d'avoir fondé le groupe Socialisme ou Barbarie ; elle est aussi d'avoir su, dans une période qui l'acceptait si peu, montrer que, dans nos sociétés modernes, le projet d'autonomie de l'individu ne va pas sans l'autonomie de la société elle-même. Celle-ci exige de renouveler en permanence, par ce qu'il nommait la 'paideia démocratique', l'éducation d'individus capables de vouloir et de faire vivre une vie commune libre et solidaire qui ne s'impose jamais de soi. Elle ne peut aller sans la conscience de la responsabilité de chacun dans le triple mouvement de savoir recevoir, savoir transformer et savoir transmettre ce qu'il nommait 'l'institution imaginaire de la société'. » (p. 216)
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4. « L'agir sexuel a certes ses particularités, mais pour ne serait-ce que commencer à les décrire, encore faut-il reconnaître qu'il n'est pas moins investi d'attentes, d'imaginaire et de significations communes, pas plus ni moins libre que les autres formes de l'agir, et en tout cas ne contient en lui-même aucun principe intrinsèque de socialité. Participant de la forme de vie qui est celle des humains, aucun "donné biologique de base" ne saurait précéder cette forme de vie toujours-déjà là, qui est en quelque sorte le 'donné humain'. » (pp. 149-150)
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3. « Pour Mauss, être "une femme" comme partenaire d'une vie sociale n'est en rien réductible à être une épouse ou une mère, si importantes soient les alliances matrimoniales et la famille dans la vie d'une société. C'est tout aussi bien être une sœur, une initiée, une prêtresse ou une magicienne, une chanteuse de "voceros", une ordonnatrice de vendetta, une belle-mère, une ancêtre, une horticultrice... Toutes choses qui ne sont pas des caractères internes de la personne mais des statuts, supposant des 'manières sociales d'agir' en relation à autrui. Toute relation sociale instituée, et non pas seulement toute relation de parenté, peut être divisée par sexes. » (p. 127)
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