AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Irène Théry (28)


LA SÉDUCTION AGGRAVÉE

On ne peut rien comprendre aux normes sexuelles du XIXe siècle et du début du XXe siècle si, faisant preuve d’anachronisme, on sépare a priori la sexualité de la procréation dans les relations entre hommes et femmes. En effet, la grossesse possible après un rapport sexuel est alors « la » grande question, au cœur du système divisant le permis et l’interdit sexuels. Jamais l’inégalité entre les sexes n’est aussi forte que lorsqu’une naissance non voulue se profile hors du mariage. Dans ce cas, deux situations radicalement opposées se font face selon que l’on est homme ou femme.
L’homme géniteur de l’enfant ne sera en aucun cas amené à admettre sa part dans la procréation et à se reconnaître « père » s’il ne le souhaite pas, il peut donc s’éclipser tranquillement en faisant comme si sa relation sexuelle et procréative à la femme qui a donné naissance à l’enfant n’avait jamais existé. C’est la situation extraordinaire créée par l’article 340 du Code civil qui interdit la recherche en paternité, au motif que de dignes pères et fils de famille pourraient être accusés faussement d’être le géniteur de l’enfant par des dévergondées cherchant à se faire épouser ou à tout le moins à bénéficier de leur argent. Au nom du « mystère à jamais impénétrable de la paternité », et au motif que des femmes peuvent mentir, on institue un principe général d’irresponsabilité masculine dans les relations hétérosexuelles hors mariage.

C’est un immense recul par rapport à la situation dans l’ancienne France où non seulement la procédure en déclaration de paternité était possible, mais où une confiance en la parole féminine s’appuyait sur l’adage voulant qu’une jeune fille ou une jeune femme se découvrant enceinte ne mente pas sur l’auteur de sa grossesse à la veille de risquer sa vie dans les douleurs de l’enfantement et d’affronter peut-être le Jugement dernier. L’article 340 renvoie cette logique au passé, fonde la paternité sur la seule volonté de l’homme, et va ouvrir dès lors de magnifiques carrières de séducteurs, d’agresseurs et parfois de violeurs, à des coqs de village, des maîtres de maison, des patrons d’usine, des employeurs, des boutiquiers, des soldats, des fermiers, des chefs de clinique, des curés, bref à tous les hommes en situation de pouvoir sur une ou plusieurs femmes et qui sont prêts à en profiter.

[suite en commentaire]
Commenter  J’apprécie          31
12. « À la théorie traditionnelle de la personne comme hypostase correspond une définition substantielle et quintessentielle de l'identité : elle tente d'articuler un ressenti originel du moi intérieur et l'identification à un rôle social compris comme un modèle à imiter. En revanche, si l'on conçoit la personne comme interlocuteur possible, on refuse à la fois le dualisme du moi et du corps, le solipsisme de l'intériorité et la conception du rôle comme simple modèle d'identification. On défend alors une tout autre idée de l'identité personnelle, à distance de la philosophie sociale individualiste de nos deux mythes d'origine : toute vie humaine commence 'in medias res', comme disent les dramaturges, au milieu de l'action qui a déjà commencé et dont le nouveau venu va apprendre à être partie prenante. Dans le contexte d'un monde humain signifiant, "répondre à la question qui, c'est raconter une histoire". [Paul Ricoeur, _Soi-Même comme un autre_, 1990] » (p. 601)
Commenter  J’apprécie          20
C'est le consentement à la relation sexuelle elle-même qui fait le grand partage entre le permis et l'interdit.
Commenter  J’apprécie          20
- Tout d’abord, nous rappelons que la notion d’accès aux origines s’est développée justement pour indiquer que la quête des origines n’a rien à voir avec une recherche en
maternité ou en paternité. Il ne s’agit ici en aucun cas d’établir une filiation, mais simplement de pouvoir connaître l’identité d’une personne dont on est né. La Cour
européenne des droits de l’homme a peu a peu consacré le droit d’accès aux origines comme un droit fondamental de la personne.
Nous distinguons l’accès aux origines des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation, et l’accès aux origines des personnes nées sous X, adoptées et pupilles. Les questions posées ne sont pas les mêmes, et font l’objet de deux chapitres différents. Mais dans l’un et l’autre cas nous proposons que soit institué un véritable droit d’accès aux origines à partir de l’âge de la majorité, étant bien précisé qu’un droit à la communication de l’identité n’est pas un droit à la rencontre. Protégés par leur droit à la vie privée, les parents de naissance (pour les adoptés et pupilles) et les donneurs de gamètes et d’embryons (pour les personnes nées d’AMP) doivent donner leur accord préalablement à toute rencontre.
Ces démarches supposent un véritable accompagnement, c’est pourquoi nous proposons d’élargir les compétences du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles
(CNAOP), de le réorganiser en deux collèges et de renforcer ses moyens, en particulier en matière de médiation.
Enfin, nous proposons de reconnaître une place familiale aux beaux-parents dans les familles recomposées. Nous avons été surpris de lire dans la presse que nous nous
apprêterions à proposer un « statut » du beau-parent, alors que nous n’avons jamais été favorables à cette idée, qui serait un corset bien trop rigide pour la diversité des situations vécues. Nous pensons en outre que ce qui fait la valeur du lien beaux-parents/beaux-enfants est la liberté élective propre à ce lien : ne pas la respecter serait prendre le risque de transformer les beaux-parents en « sous-parents », alors qu’il s’agit au contraire de leur accorder la reconnaissance sociale qui leur a toujours été refusée.
C’est dans cet esprit de respect de la place familiale singulière des beaux-parents d’aujourd’hui, qui ne se veulent ni des substituts ni des rivaux des parents, que nous proposons un ensemble de mesures permettant de soutenir cette place par des possibilités offertes, jamais imposées, mais dont il leur sera possible de se saisir si cela peut favoriser l’intérêt de l’enfant : ainsi du « mandat d’éducation quotidienne », du « certificat de recomposition familiale », ou encore de la possibilité de léguer des biens à son bel enfant avec la même fiscalité que pour un enfant. Par delà, tout un éventail d’autres propositions
permettent de faire face à des situations difficiles, telles la séparation, la maladie grave ou encore le décès du conjoint, dans le souci en particulier que les fratries recomposées ne soient pas séparées si l’intérêt de l’enfant le commande.
Commenter  J’apprécie          10
La "civilité sexuelle" est une modalité instituée de la vie sociale qui, à travers des mœurs ordinaires référées aux grandes distinctions/relations de sexe, d'âge et de génération, inscrit la vie sexuelle - bien au-delà de sa dimension potentiellement procréative - dans les priorités d'une société et les valeurs fondamentales d'une culture, tout en la distinguant par des normes spécifiques de décence et d'intimité, dont la contenu varie d'une société à l'autre. En distinguant la gamme du permis, du désirable et du valorisé et celle de l'interdit, du critiqué et du condamné, elle les rapporte à d'autres distinctions en valeur : le beau et le laid, le pur et l'impur, l'honorable et le honteux, le fécond et l'infécond, le sacré et le profane, le moral et le pathologique, etc. Sa plurivocité en fait l'enjeu de tensions et de conflits entre différentes instances normatives qui peuvent se conjuguer mais aussi entrer en conflit.
Commenter  J’apprécie          10
10. « Les deux tentations symétriques de la tyrannie et de l'abdication dans les abus sexuels sur mineurs éclairent une dimension complexe de la troisième révolution du consentement : la façon dont, au moment même où la civilité sexuelle entre adultes se réorganisait autour d'une 'normativité procédurale', attentive à construire le consentement mutuel se la séduction (au sens positif de ce qui est séduisant, désormais bien distingué de ce qui est séducteur) dans l'ici et maintenant d'une conversation érotique entre égaux, s'est affirmé au contraire le besoin impérieux d'une 'normativité statutaire' édifiant la barrière sacrée d'un interdit sexuel entre les âges et les générations.
L'impact exceptionnel des livres de Vanessa Springora et de Camille Kouchner ne s'explique pas autrement. L'un et l'autre ont poussé au plus loin, au fil du récit, la réflexion sur le consentement d'une très jeune personne qui non seulement n'avait pas psychologiquement de "liberté de consentir" du fait de sa jeunesse, mais découvre progressivement, en devenant adulte, autre chose : que le consentement d'un mineur ne peut logiquement pas en être un quand ce qui est requis de lui par l'adulte est de contrevenir à la règle sociale la plus élémentaire, celle qui définit le délit et le crime, et cela par la seule force d'un maître des significations qui décide, arbitrairement, que cette règle n'en est pas une. Ils ont en quelque sorte donné à voir à un large public pourquoi l'emprise pédocriminelle fait plus que porter atteinte à l'intégrité de la victime, et porte atteinte à l'institution du sens et au langage lui-même. » (pp. 342-343)
Commenter  J’apprécie          00
9. [Nathalie Bajos, in : « Sociologie des violences sexuelles au sein de l'Église en France (1950-2020) », 2021] « L'abus sexuel repose sur l'idée que l'asymétrie de la relation et l'exploitation d'une vulnérabilité par une personne contre une autre constituent un obstacle intrinsèque à l'expression d'un consentement libre et éclairé : il peut être appliqué à toute relation où une personne même majeure, placée sous l'autorité de fait ou de droit d'une autre, subit des violences sexuelles. Il permet également de penser les gestes à caractère sexuel commis sans violence, menace ou surprise. […] Nous parlons de "personnes abusées" plutôt que de victimes pour souligner la problématique relationnelle qui est au cœur de l'analyse sociologique présentée ici. » (cit. pp. 284-285)
Commenter  J’apprécie          00
8. « Le premier constat est que la fin du grand principe de division des femmes ne s'est pas accompagnée de l'émergence de jugements indifférents au sexe. Non seulement la vieille opposition entre l'image valorisante du "séducteur" masculin et l'image stigmatisante de la fille "facile" ou "chaude" n'a pas disparu, mais il n'est pas certain qu'on puisse attribuer cette différence au simple poids de stéréotypes dépassés, comme s'il ne s'agissait que d'une survivance destinée à disparaître spontanément. Elle manifeste aussi et surtout ce qui se passe quand, aux anciennes normes morales distinguant le décent et l'indécent, le propre et le sale, le bien et le mal, n'ont pas succédé de nouvelles références collectives partagées par tous et organisant ce que Mauss nomme un "système d'attentes" (au sens de "je m'attends à...") permettant d'y adosser une certaine confiance relationnelle. Ce silence laisse libre cours à la jungle des rapports de force et amène chaque jeune à chercher son chemin à tâtons, en terrain non balisé. » (p. 256)
Commenter  J’apprécie          00
7. « Avec Éric Dubreuil, cofondateur de l'APGL, Martine Gross ouvrait une tout autre voie. La façon tranquille et impliquée dont elle parlait me signifiait : vous avez l'habitude de voir un mouvement LGBT+ libertaire, féru de contre-culture, méprisant volontiers le bourgeois, et dont l'engagement sur le sida a bouleversé la société française. Mais parallèlement, une nouvelle phase s'est ouverte, pour laquelle vous n'avez pas les codes : nous voulons aussi l'intégration sociale. Nous ne sommes pas seulement des couples, nous avons ou souhaitons avoir des enfants et nous voulons aussi devenir des familles comme les autres. C'est là que vous devez changer votre façon de voir, car notre mobilisation pour la vie ordinaire est d'un genre inédit.
On ne parlait pas encore d' "inclusion", mais c'était déjà cela. Les personnes dont parlait Martine ne se voyaient nullement comme des individus asexués. […] Elles étaient d'une 'nouvelle génération', différente de celle qui était sortie du placard en cherchant surtout à s'émanciper du temps où il fallait se marier et avoir des enfants avec une personne de l'autre sexe pour donner le change, et n'avaient pas de réponse toute faite à la traduction en droit de leur démarche. Elles cherchaient. Elles inventaient... Comment aurais-je résisté à l'idée de les accompagner, quand elle me le proposait, la main tendue ? » (p. 210)
Commenter  J’apprécie          00
6. « […] on insistera sur l'historique du changement : ces revendications ont très rapidement et très fortement évolué au cours des quarante dernières années, au fur et à mesure que de nouveaux possibles et de nouveaux souhaitables apparaissaient pour les couples gays et lesbiens et favorisaient l'émergence de familles homoparentales, en convergence directe avec l'évolution des mœurs et des valeurs des couples hétérosexuels eux-mêmes. Sans cette convergence, il n'est pas sûr que la société aurait été capable d'intégrer des changements aussi profonds à une telle rapidité à l'échelle historique. De fait, le contre-modèle qui a été combattu n'est pas "l'hétérosexualité" ou "l'hétérosexisme" mis en avant dans une perspective ensembliste-identitaire (comme si les hétérosexuels étaient par définition des 'dominants' partisans de l'ordre établi, qu'il n'y avait pas eu une hétérosexualité stigmatisée au XIXe siècle et la plus grande partie du XXe siècle et que l'hétérosexualité ne vivait pas elle aussi aujourd'hui sa révolution des valeurs), mais le modèle matrimonial napoléonien/victorien dans sa dimension homophobe. » (p. 170)
Commenter  J’apprécie          00
5. « Dès lors, ce qui domine tous les débats de société est l'affrontement éternellement recommencé entre une idéologie progressiste attachée aux droits des individus (désormais sous la forme de la défense de telle ou telle classe identitaire d'individus auparavant discriminés), mais qui disqualifie l'enjeu des institutions communes, et une idéologie traditionaliste attachée très souvent à l'idée d'institution mais assimilant celle-ci au seul modèle napoléonien ou victorien (éventuellement modernisé) et déplorant à hauts cris ce qui se passe comme une choquante destruction des institutions sur les coups de "l'individualisation" et du triomphe du sujet-roi. D'où un écart permanent entre ce qui se passe, en particulier en droit, et qui engage la métamorphose des institutions du monde commun et les affrontements idéologiques qui se développent à la faveur de ces changements, où cet enjeu n'est pas repéré. Pour proposer une analyse synthétique de cette troisième révolution, trois étapes seront nécessaires.
La première, autour des redéfinitions du couple comme manière privilégiée de lier amour et sexualité, montre le lien direct entre métamorphoses du couple hétérosexuel, démariage et reconnaissance du couple homosexuel au sein d'un nouveau pluralisme de la parenté (encore inachevé). […]
La deuxième, sur la notion de "civilité sexuelle", la fin de l'ordre sexuel matrimonial, les nouvelles formes de distinction permis/interdit et le sens de #MeToo, situe la question des violences sexuelles dans le contexte plus large de la remise en cause du principe pluriséculaire de dissymétrie entre une sexualité masculine de conquête et une sexualité féminine de citadelle et de l'élaboration d'une nouvelle civilité sexuelle de consentement.
La troisième, sur la reformulation des rapports entre les âges et les générations par l'institution d'une barrière sacrée des âges devenant la nouvelle pièce maîtresse de l'ordre sexuel, permet de replacer les enjeux de la lutte contre la pédophilie, la pédocriminalité et l'inceste en rapport avec la façon dont la société se doit d'accompagner le mouvement ordinaire d'autonomisation progressive des jeunes sur le plan sexuel. » (pp. 150-152)
Commenter  J’apprécie          00
4. « "Le repos du mariage, l'intérêt qu'a chaque citoyen, chaque époux, chaque père de famille, à ce que sa réputation soit pure et à ce que les êtres liés à lui par les affections les plus tendres ne le soupçonnent point d'une honteuse dépravation" : voilà l'impératif majeur au nom duquel Benjamin Constant, qui siégea parmi les rédacteurs du Code Napoléon, défendit le principe d'irresponsabilité masculine inscrit dans l'article 340 du Code civil. Face à l'idée que les femmes pourraient au moins, sans en faire un père, désigner le géniteur dans l'acte de naissance, la bataille qu'il mena révèle bien que ce qui se présente au départ comme une simple question de preuves de la paternité engage en fait l'opposition entre la "réputation pure" et la "honteuse dépravation", des mots visant traditionnellement toujours les femmes, et qu'il choisit d'appliquer à l'homme père de famille par un artifice rhétorique assez osé. » (pp. 133-134)
Commenter  J’apprécie          00
3. « Si les divisions "par sexes, par âges, par générations et par clans" sont, comme le soulignait Mauss, les divisions premières qui ordonnent l'action collective […], il n'y a pas besoin pour l'expliquer d'aller chercher une supposée volonté "des hommes" de s'approprier "les femmes", et il vaut mieux oublier toute idée de dévoilement de mécanismes cachés. La raison d'être de ces distinctions statutaires est entièrement sous les yeux […]
Ce qu'elle révèle en effet est d'abord que, contrairement à une idée répétée à satiété depuis les Lumières par l'idéologie individualiste de la "complémentarité naturelle" de l'homme et de la femme, il n'y a pas d'exception sexuelle à l'institution sociale : la vie en commun de l'un et de l'autre sexe ne s'organise jamais "naturellement" dans notre espèce, mais doit être instituée selon des règles et des valeurs, et pour cela mise en significations. » (pp. 94-95)
Commenter  J’apprécie          00
2. « En 1556, le conflit entre la puissance séculière et la puissance religieuse éclate finalement. Le roi Henri II publie un édit "sur les mariages clandestins" qui exige pour tous les enfants de la famille, de moins de 30 ans pour les garçons et de 25 ans pour les filles, l'autorisation des parents. Sans aller jusqu'à prononcer la nullité de leur union, ce qui aurait violé le monopole de l'Église, il punit d'exhérédation ceux qui se seraient conjoints par mariage "illicitement".
[…]
[Par l'ordonnance de Blois proclamée par Henri III en 1597] On affirme alors qu'à côté du rapt de violence, un autre rapt est possible, le rapt de séduction : la fille séduite "par blandices et allèchement" n'a pas plus de consentement libre que la fille ravie par force. Si elle s'est mariée à la suite de déclarations fallacieuses et des manœuvres dont elle a été victime, son mariage peut donc être déclaré nul pour rapt, c'est-à-dire pour défaut de consentement. L'article 40 de l'ordonnance de Blois interdit aux curés de célébrer des mariages sans le consentement des parents "à peine d'être punis comme fauteurs de crime de rapt" et l'article 41 déclare ces mariages nuls. L'article 42 institue le nouveau crime :
"Voulons que ceux qui auront suborné fils ou filles mineurs de vingt-cinq ans, sous prétexte de mariage ou autrement, soient punis de mort sans espérance de grâce ou de pardon, nonobstant tous consentements que lesdits mineurs pourraient avoir donné au rapt, lors d'icelui ou auparavant." » (pp. 60-62)
Commenter  J’apprécie          00
1. « […] trois grands sujets ont ces dernières années concentré tous les débats : le tribunal de l'opinion et la présomption d'innocence ; l'ampleur des agressions dans le cercle des proches et la protection des mineurs ; l'existence ou non d'un consentement.
Dans ces trois domaines, ce qui est en jeu va bien au-delà de la seule question des viols, des agressions ou du harcèlement. À travers eux, l'ensemble des présupposés qui organisent la façon dont nos sociétés appréhendent la vie sexuelle est interrogé. Dans cette perspective, les divergences n'ont rien de surprenant dans une société démocratique : ce sont autant de signes de l'émergence, complexe, d'une nouvelle civilité sexuelle encore inachevée. » (p. 20)
Commenter  J’apprécie          00
11. « La pratique qui fait entrer l'enfant dans la modalité conditionnelle révèle en effet que devenir garçon ou fille, c'est justement apprendre à la fois que l'on n'est que d'un sexe, que nul n'est enfermé dans son identité de sexe, que le monde humain commun est celui de la distinction sexuée des statuts relationnels – justement parce que la différence sexuelle des corps ne produit par elle-même aucune sorte de socialité humaine –, et que les formes que prend cette distinction de sexe ne sont pas immuables mais varient avec les sociétés qui modifient en permanence leurs institutions. C'est ce qu'indique la troisième personne grammaticale qui appartient à la médiation du discours. Parce qu'elle n'est pas un troisième personnage de l'interlocution, son sens n'est pas univoque. Ses 'différents usages' permettent d'identifier celui ou celle dont on parle selon des logiques différentes donnant au pronom 'il' ou 'elle' plusieurs significations. Il peut en effet désigner quelqu'un :
- comme partenaire d'une vie sociale identifié par l'un de ses statuts relatifs et relationnels, en particulier de parenté, modalisé par la distinction masculin/féminin ;
- comme personne supposée capable de s'approprier ses propres actes et discours et de les revendiquer comme de sa responsabilité. Cet interlocuteur possible transcende totalement les sexes, mais parmi ses capacités il y a celle d'agir "en tant que" et donc de participer d'un monde humain modalisé par la distinction de sexe ;
- comme exemplaire d'une espèce naturelle, doté(e) d'attributs ou de propriétés qui permettent de le ou la classer dans tel ou tel ensemble d'individus, par exemple l'ensemble des mâles ou celui des femelles, posant la question de ce que propose la société aux enfants nés de sexe incertain.
Cette liste n'a pas la prétention d'être exhaustive. […] En rabattant ces différentes façons de désigner un même individu, qui sont très exactement la traduction de notre condition d'humains parlants, sur le plan unique de l'identité de garçon ou de fille conquise par 'incorporation d'une image', ou 'identification' à un modèle paternel ou maternel, la théorie du trio oedipien a pour longtemps rendu très difficile une pensée de la dimension normative, donc signifiante, de la distinction de sexe. La méconnaissance obstinée de la forme dramaturgique de la vie sociale, en particulier de celle de l'interlocution où se distinguent le personnel et le statutaire, et la disqualification du mot "rôle" au sens de "participant à une action commune", est ainsi partagée par les courants parfois les plus opposés dans leurs jugements et leurs valeurs. Le cadre commun de leurs débats témoigne de la prégnance de la matrice judéo-chrétienne dans notre société déchristianisée. » (pp. 567-569)
Commenter  J’apprécie          00
10. [Charles Taylor, _Les Sources du Moi_, 1989] « Il n'existe aucune façon dont nous pourrions être une personne sans avoir été initiés à un langage. […] Le sens que les mots essentiels ont d'abord eu pour moi est celui-là même qu'il a eu pour 'nous', c'est-à-dire à la fois pour moi et mes interlocuteurs. […] C'est le sens de la maxime de Wittgenstein selon laquelle "il doit y avoir conformité non seulement de définition mais aussi de jugement". Plus tard je pourrai innover. Je pourrai développer une façon originale de comprendre la vie humaine et de me comprendre moi-même qui s'opposera à celle de ma famille, de mon milieu. Mais cette innovation ne pourra se produire qu'à partir de notre langage commun. […] C'est ce que signifie : on ne peut pas être un moi par soi-même. Je ne suis un moi que par rapport à certains interlocuteurs. […] Un moi n'existe qu'à l'intérieur de ce que j'appelle des "réseaux d'interlocution". » (cit. p. 401)
Commenter  J’apprécie          00
9. « C'est tout le paradoxe de la notion d'identité de genre. Loin de nous avoir libérés de la problématique confuse de la différence, elle a exacerbé le différentialisme identitaire au point de générer aujourd'hui toutes sortes de tentations de fuite en avant : indifférence radicale des sexes, déterminisme du genre social subi, solipsisme du genre authentique ressenti... Interroger jusque dans sa très longue histoire la conception de la personne qui préside à l'opposition du sexe et du genre est sans doute indispensable si nous voulons comprendre pourquoi il nous est encore si difficile de mettre des mots sur la caractéristique la plus ordinaire de la vie humaine : elle permet de ne pas être assigné à l'adhérence à soi. Ici comme ailleurs et aujourd'hui comme hier, chacun de nous n'est que d'un sexe, aucun de nous n'est enfermé dans une moitié d'humanité. » (p. 362)
Commenter  J’apprécie          00
8. « En mettant en cause les deux piliers que les penseurs des Lumières avaient donnés à la nature humaine, la raison universelle fondant l'artificialisme politique et le sentiment inné du juste et du bien fondant le droit naturel, elle exprime la capacité formidable de nos sociétés de susciter sans cesse l'examen des idées reçues, la contestation des pouvoirs en place, la capacité à changer les institutions politiques. Cette critique aurait pu conduire à réfléchir sur le paradoxe apparent de l'universel anthropologique, qui n'existe que sous les espèces de formes de vie particulières : c'est toujours dans et par le particulier que l'on accède à l'universel humain, comme c'est dans et par la maîtrise d'une première langue singulière que l'on accède plus largement au langage. Mais, tout à l'inverse, la disqualification du variable comme factice doublée de retrouvailles avec les mystères de la nature parfois purement réactives à la raison des Lumières, ont conduit à une opposition de plus en plus radicale de l'individuel et du social, poussant parfois jusqu'aux dernières extrémités du solipsisme la démarche classique de quête d'une nature humaine enfin vierge des différences sociohistoriques. » (pp. 341-342)
Commenter  J’apprécie          00
7. « D'un côté, comme chacun le sait, on avait parfois gravement ignoré la sujétion dont les femmes peuvent être victimes et les violences qu'elles peuvent subir. Mais de l'autre, on avait sous-estimé tout autant 'la valeur' qui peut leur être conférée, 'l'autorité' qu'elles peuvent détenir, 'le pouvoir' qui peut être le leur et 'le respect' qui peut leur être témoigné. C'est cette dimension centrale de l'apport de l'ethnographie féministe contemporaine que manquent entièrement les grandes théories de la "domination masculine". À ne pas en tenir compte, elles propagent une représentation entièrement négative, victimaire, et finalement très dévalorisante des femmes des sociétés traditionnelles. Cette représentation, soutenant le grand messianisme occidental de la "défense des femmes", se propage désormais à travers de grands programmes politiques internationaux d'aide aux pays pauvres. Mais une vision purement négative du rôle et du statut traditionnels des femmes est, à juste titre, de moins en moins acceptée dans les sociétés non occidentales. » (p. 308)
Commenter  J’apprécie          00



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Irène Théry (28)Voir plus

Quiz Voir plus

Naruto tome 1 =^.^=

Qui est Naruto ( se prononce : narouto ) ?

Un personnage secondaire
Le héros

3 questions
77 lecteurs ont répondu
Thème : Naruto, tome 1 : Naruto Uzumaki de Masashi KishimotoCréer un quiz sur cet auteur

{* *}