Interview d'Isabelle Bary
Les indices de ce double papa jalonneraient pourtant ma vie. Mais j’avais décidé de ne retenir que le côté clair de sa force. Et cette lumière qu’il voyait dans mes yeux, il l’incarnait. C’est fou, le pouvoir du regard. Je regardais un dieu, il observait un ange, et nous les devenions vraiment, l’un pour l’autre.
Généralement, tout me vexe, me prend le cœur et le corps. Parce que j’appelle toujours un chat un chat. Donc, quand on me dit : « T’es con « , même en rigolant, je me sens agressé. Voilà pourquoi, depuis tout petit, j’apprends à penser entre les mots. Con égale affectueux égale sympa égale je dois sourire bêtement ! Le raisonnement est complètement crétin, mais il fonctionne, alors pourquoi pas ?
On écrit Vietnam, et on pense guerre, on pense sang, on pense “boat people”. On écrit Vietnam, et on pense mémoire, on pense remords, on pense recueillement. Puis, un jour on y va, parce qu’on est curieux, parce qu’on veut voir comment ils s’en sont sortis, parce qu’on veut y aller avant les “autres”, parce qu’avec nos petites pochettes ventrales et nos Minolta, on ne vaut peut-être pas mieux que les Chinois, les Français, les Américains ou les Russes. Mais on y va quand même. On atterrit à Saigon, un peu mal à l’aise parce qu’on ne sait plus si c’est bien d’être là. Et ce qu’on trouve, c’est le rire et l’omission. C’est une bonne humeur presque fatigante et un grand trait rouge sur le passé. C’est une précarité affolante et des yeux hilares aux contours parfaits. Tous, ils font comme si de rien n’était. Et ça nous met plus mal à l’aise encore.
Peut-être d'ailleurs qu'on essaye tous d'atteindre un bonheur qui n'est pas le sien , un bonheur convenu .
...Parce qu'on n'est pas fait pour vivre seul , Alice . Crois moi .
Mais son choix est terrible : seule et libre ou enchaînée aux autres ?
N'est-ce pas aussi le tien ?
... La vérité doit forcément être quelque part au milieu .
Disons que les passions rendent peut-être ce choix moins cornélien .
L’Inde. L’Inde terrible et injuste. Elle s’est pliée en quatre pour nous montrer ce qu’elle a de plus beau. Et je suis là, prise au piège dans un kaléidoscope d’images où exaltation, horreur, splendeur et cruauté se combinent à l’infini. L’Inde. J’ai fait de jolies photos d’elle, sans cris, sans odeurs, ni frissons. Je n’ai capturé que ses pierres et ses gosses joyeux, sa lumière et ses espoirs de couleur.
Ils nous offrent de l’eau et des fruits, un vieux ruban et une pince à cheveux décolorée, une fête. Faut-il donc posséder si peu pour oser tout donner, faut-il être si pauvre pour enfin voir les autres et en devenir riche ?
Louna se love sous mon bras. La chaleur de son corps me fait l’effet d’un soleil sur le cœur.
On écrit mieux quand l'âme est perturbée , quand le coeur s'emballe , parce que les textes traînent un trouble , une souffrance de la vie .
Il faut être prêt à entendre une histoire. Car une histoire, ce n'est pas qu'une histoire ! Il y a toujours un écho caché derrière elle. C'est en cela qu'elle est fabuleuse, elle éveille celui qui la lit.