Un puits est éclairé uniquement par en haut, et la vieillesse, par le passé. p.102
Elle examina ses chevilles dont l'enflure n'avait pas diminué. Soudain, elle s'en désintéressa et éclata en sanglots.
Il y avait quelque chose d'effrayant dans sa façon de pleurer. Quand on sanglote, c'est qu'on a encore un reste de confiance, on se cramponne pour sortir du malheur ; mais elle, elle tombait et ne se faisait plus aucune illusion.
Son visage était baigné de larmes ; quand plus rien n'a d'importance, on ne les essuie plus. Elle reniflait. On peut pleurer joliment, mais parfois cela n'en vaut męme plus la peine.
Un puits est éclairé uniquement par en haut, et la vieillesse, par le passé. Les vieux sont comme ces enfants pauvres qui n'ont qu'un seul livre d'images et tournent toujours les męmes pages.
Moi aussi, je me fais du souci pour elle, mais en męme temps, je l'envie. Avec mes deux jambes paralysées, je suis ŕ-demi morte ŕ la fin d'une vie que je n'ai eu le courage que de vivre ŕ moitié. Que puis-je dire ŕ ma soeur? (...)Au lieu de cela, je préfčre te dire ŕ toi, ma petite, d'essayer de tirer du destin de ta mčre les leçons qu'on peut tirer du destin des autres. Moi, hélas, je n'ai commis que des erreurs;j'ai hiberné toute ma vie, parce que j'avais peur du froid.
Rompu de fatigue, il regardait fixement devant lui. Il déroula le souvenir du jour précédent et, s'imaginant les jours ŕ venir, dit d'un air sombre :
- Ca va mal finir, Mariska, je le crains.
Il savait par expérience qu'ŕ l'armée, une inactivité passagčre était plus dangereuse que l'oisiveté totale ; en effet, celui qui ne fait strictement rien sait au moins organiser ses pensées, tandis que celui qui fait quelque chose par ci par lŕ, finit par devenir le jouet de ses propres pensées durant les pauses.
« Au troisičme été de la guerre, le fils des Tót, instituteur de son état, n’était pas seul ŕ ętre soldat, car environ soixante pour cent des familles avaient quelqu’un au front. L’arrivée du commandant éveilla des espoirs superstitieux dans tout le village, comme si sa simple présence constituait une sorte de protection pour les fils restés au front. »
Il m'arrivait tout le temps quelque chose, une émotion aprčs l'autre, un chagrin aprčs l'autre, mais tu étais toujours lŕ et tu disais : "Qu'Est-ce qu'il t'arrive, Liebling ?" Et alors, mes soucis me paraissaient si petits, parce que par ta simple existence tu mesurais mes ridicules petits ennuis ŕ l'aune de choses plus élevées.
Nous voulons tous quelque chose les uns des autres. Il n’y a qu’aux vieux qu’on ne demande plus rien.
Mais quand les vieux demandent quelque chose les uns des autres, cela nous fait rire.
Que puis-je dire ŕ ma sśur ? Méfie toi des cabotins ? Tâche toi aussi de vivre ŕ moitié ? Suis mon exemple ? Evite le danger ? Au lieu de cela, je préfčre te dire ŕ toi, ma petite, d'essayer de tirer du destin de ta mčre les leçons qu'on peut tirer du destin des autres. Moi, hélas, je n'ai jamais commis d'erreurs ; j'ai hiberné toute ma vie, parce que j'avais peur du froid.