C'était un petit homme grassouillet, aux cheveux noirs et raides comme les poils d'un balai, au visage brun et sillonné de rides: une figure de loup de mer avec les yeux candides d'un bébé de trois mois; un homme à inspirer protection à une femme, confiance à un enfant , frayeur à un lâche et inquiétude à un homme d'affaires; un homme qui connaissait le monde comme sa poche, sans en avoir vu davantage que les reflets dans les tavernes au bord de la Tamise.
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- Je vois déjà deux personnes sur cette colline avec un bon motif pour l’avoir tué.
Sam s’immobilisa encore. Cette fois, le capitaine suivit son exemple.
- Qui ça ? dit Jennifer.
Miss Graveley sourit pour atténuer son audace.
- Je veux parler, bien sûr, de ce que la police appelle un bon motif. D’abord, vous, Jennifer, parce que vous étiez mariée avec lui.
- C’est aussi un excellent motif, admit Jennifer.
Mark Douglas était un amateur de blondes. C'étati aussi un amateur de brunes, de rousses, d'albinos, de négresses, de mulâtresses, de sémites, d'Asiatiques et de réceptionnistes d'hôtel. Mark Douglas était amateur de tout ce qui portait jupe et ne jouait pas de cornemuse.
Ces pensées s’enchaînaient dans l’esprit du capitaine un peu malgré lui, car toute sa vie il avait considéré une femme comme une femme, une maison comme une maison, et un jardin comme un endroit où planter des choux. Rien de plus rien de moins. C’était un homme en pleine maturité, à l’esprit ouvert, aux impulsions normales et aux scrupules raisonnables : il avait toujours considéré le mariage comme parfaitement inutile.
La femme était blonde. Mieux c'était Une Blonde. Une blonde de série, avec d'épaisses boucles indéfrisables de cheveux oxygénés, des yeux bleus sans éclat, et une des six teintes de rouge à lèvres pour blondes appliqué selon une des six méthodes en vigueur. Une blonde fabriquée au moule, produite à la chaîne, tirée à des millions d'exemplaires, conçue par le progrès, enfantée par le cinéma et les magazines. Une des femmes anonymes et sans âge du vingtième siècle. Rien de ce qu'elle avait n'était à elle ; elle n'était pas elle. C'était la blonde de Piccadilly, de High Street, de Market Street et des petits bistrots. La blonde pour les moments de mélancolie des jeunes gens et les moments de brio des vieillards. La blonde qu'on peut rencontrer dans chaque ville, village et coin perdu du monde entier. Sa toilette, ses dessous et sa manière de dire "peut-être" étaient propriété mutuelle.
Il restait finalement si peu d’espace libre que pour se permettre de bouger, le capitaine devait déménager continuellement ses meubles d’une pièce à l’autre.
- Non, non ! Il n'est pas question de l'oublier. Ce ne serait pas juste ! Je veux dire, ce ne serait pas juste que vous passiez votre vie à vous sentir coupable d'avoir enterré un homme alors que vous ne l'aviez pas tué. Je ne veux pas que vous ayez mon crime sur la conscience.
- C'est un plaisir, je vous assure, dit le capitaine.
Quand, vers cinq heures de cet agréable après-midi d’été, le capitaine Wiles sortit tout propre et pimpant de ce capharnaüm, ce fut un peu le miracle d’un bel œuf frais jaillissant des entrailles d’une vieille poule rabougrie.
Dans la vie, les gens passent la moitié de leur temps à cacher derrière les mots ce qu'ils veulent dire, et l'autre moitié à essayer de découvrir ce que les autres gens sont en train de leur cacher.
Il revint sur ses pas et resta un moment immobile à considérer le cadavre. L’homme était imposant, mais heureusement, après une longue sècheresse, l’herbe était soyeuse et glissante. Le capitaine promena son regard sur les taillis alentour, cherchant un endroit où un cadavre pourrait échapper aux regards non seulement dans la luxuriance de l’été mais aussi dans le dénuement de l’hiver. Il aperçut aussitôt un immense rhododendron qui dressait haut dans le ciel ses boutons de fleurs nouvelles et déployait généreusement à la ronde son éternelle verdure. Sans plus hésiter, il se baissa et souleva les chevilles du mort, comme les poignées d’une brouette. Son corps trapu jeté en avant, il se mit en marche sur le sentier à travers les fougères, vers le rhododendron en passe de se transformer en monument funéraire.