Citations de Jacques Roumain (79)
Une circulation rythmique s'établissait entre le coeur battant du tambour et les mouvements des hommes : le rythme était comme un flux puissant qui pénétrait jusqu'au plus profond de leurs artères et nourrissait leurs muscles d'une vigueur renouvelée.
« Si l’on est d’un pays, si l’on y est né, comme qui dirait : natif- natal, eh bien, on l’a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres , le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes: c’est une présence, dans le cœur , ineffaçable, comme une fille qu’on aime: on connaît la source de son regard , le fruit de sa bouche, les collines de ses seins, ses mains qui se défendent et se rendent , ses genoux sans mystères , sa force et sa faiblesse , sa voix et son silence » ......
Si l'on est d'un pays, si l'on y est né, comme qui dirait : natif-natal, eh bien, on l'a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes...
Il s'assied ; il est chez lui, avec les siens, ramené à son destin : cette terre rebelle et sa barranque altérée, ses champs dévastés et, sur sa colline, la crinière revêche des plantes dressées contre le ciel intolérable comme un cheval cabré.
Et je ne suis plus la même, qu'est-ce qui m'arrive, c'est une douceur qui fait presque mal, c'est une chaleur qui brûle comme la glace, je cède, je m'en vais ; ô Maître de l'eau, il n'y a pas de mauvaise magie en toi, mais tu connais toutes les sources, même celle qui dormait dans le secret de ma honte, tu l'as réveillée et elle m'emporte, je ne peux pas résister, adieu, me voici. Tu prendras ma main et je te suivrai, tu prendras mon corps dans tes bras et je dirai : prend-moi, et je ferai ton plaisir et ta volonté, c'est la destinée.
Ce que nous sommes ? Si c'est une question, je vais te répondre : eh bien nous sommes ce pays et il n'est rien sans nous, rien du tout. Qui est-ce qui plante, qui est-ce qui arrose, qui est-ce qui récolte ? Le café, le coton, le riz, la canne, le cacao, le maïs, les bananes, les vivres et tous les fruits, si ce n'est pas nous, qui les fera pousser ? Et avec ça nous sommes pauvres, c'est vrai nous sommes malheureux, c'est vrai nous sommes misérables, c'est vrai. Mais sais-tu pourquoi frère ? A cause de notre ignorance : nous ne savons pas encore que nous sommes une force, une seule force : tous les habitants, tous les nègres des plaines et des mornes réunis. Un jour, quand nous aurons compris cette vérité, nous nous lèverons d'un point à l'autre du pays et nous ferons l'assemblée générale des gouverneurs de la rosée, le grand coumbite des travailleurs de la terre pour défricher la misère et planter la vie nouvelle.
Cependant la fête se poursuivait. Les habitants oubliaient leur misère : la danse et l'alcool les anesthésiaient, entraînaient et noyaient leur conscience naufragée dans ces régions irréelles et louches où les guettait la déraison farouche des dieux africains.
Et lorsque vint l'aube, les tambours battaient encore sur l'insomnie de la plaine comme un cœur inépuisable.
La vie, c'est la vie, dit-il enfin sentencieusement.
"Oui, c'est bien vrai songe Manuel. La vie, c'est la vie : tu as beau prendre des chemins de traverse, faire un long détour, la vie c'est un retour continuel. Les morts, dit-on s'en reviennent en Guinée et même la mort n'est qu'un autre nom pour la vie. Le fruit pourrit dans la terre et nourrit l'espoir de l'arbre nouveau.
Quand, sous le matraquage des Gardes Ruraux il sentait ses os craquer, une voix inflexible lui soufflait : tu es vivant, mords ta langue et tes cris car tu es un homme pour de vrai, avec ce qu'il faut là où il faut. Si tu tombes, tu seras semé pour une récolte invincible.
Si l'on est d'un pays, si l'on est né, comme qui dirait : natif-natal, eh bien, on l'a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes : c'est une présence ineffaçable, comme une fille qu'on aime : on connaît la source de son regard, le fruit de sa bouche, les collines de ses seins, ses mains qui se défendent et se rendent, ses genoux sans mystères, sa force et sa faiblesse, sa voix et son silence.
... Le jour a pris fin avec la brune, le ciel s'est brouillé, le morne s'est éffacé, le bois est entré dans l'ombre, une mince serpette de lune s'est mise à voyager dans les nuages et la nuit est venue.
"Le ciel est trop vaste pour qu’un enfant puisse le saisir dans ses petits bras. Mais dis-lui : Ciel chapeau melon ; alors il tendra ses menottes vers le firmament accroché à la patère du palmier, cueillera la lune et la mettra dans sa poche.
O poète enfant ! "
Cette délicieuse petite merveille de poésie est signée Jacques Roumain, dénichée page 73 d’un volume qui en compte 1 600, au sein de ses « Œuvres complètes »
Et elle sourit de ce sourire qui avait gardé la grâce de la jeunesse malgré la petite cicatrice de tristesse que la vie avait laissée au coin des lèvres pour marquer son empreinte.
La vie, c’est une comédie, voilà ce qu’elle est, la vie.
Il cracha : Et elle a un goût amer, la saloperie.
Et elle chantait, c’était une chanson semblable à la vie, je veux dire qu’elle était triste : elle n’en connaissait pas d’autre.
[…] le rire de Délira était étonnamment jeune, c’est qu’elle n’avait pas tellement l’habitude de le faire entendre, la vie n’est pas assez gaie pour ça ; non, elle n’avait jamais eu le temps de trop l’user : elle l’avait préservé tout frais, comme un chant d’oiseau dans un vieux nid.
Toutes les tribulations de l’existence ont froissé son visage noir, comme un livre ouvert à la page de la misère.
« La haine, la vengeance entre les habitants. L'eau sera perdue. Vous avez offert des sacrifices aux loa, vous avez offert le sang de poules et des cabris pour faire tomber la pluie, ça n'a servi à rien. Parce que ce qui compte c'est le sacrifice de l'homme. C'est le sang du nègre. Va trouver la réconciliation, la réconciliation pour que la vie recommence, pour que le jour se lève sur la rosée ».
Mais la terre, c'est une bataille jour pour jour, une bataille sans repos : défricher, planter, sarcler, arroser, jusqu'à la récolte, et alors tu vois ton champ mûr couché devant toi le matin sous la rosée ; et tu dis : moi untel, gouverneur de la rosée et l'orgueil entre dans ton coeur.
Alors je vis :
vos basses grimaces
et vos yeux baveux
d'injures.
Alors j'entendis
autour de moi coasser, pustuleux,
les crapauds ; ‒ Ainsi :
solitaire, sombre,
maintenant fort et mon ombre
mon seul compagnon fidèle,
Je projette l’arc de mon bras
par dessus le ciel.
EXTRAIT : Le Chant de l'homme
-C'est la vie qui commande et l'eau c'est la réponse de la vie.