Grandes Voix Francophones présente Gary Victor
Je n'ai aucune fierté d'être Haîtien.Mais je voudrais bien me battre pour l'être, pour que mes enfants le soient aussi.C'est ce que je fais avec mes mots.
Tu seras un écrivain, mon fils. Mais dans cette chose ou nous sommes, apprends quand même un métier qui peut mettre de la nourriture sur la table.
L'enfer n'existe que sur terre, petit. On n'échappe pas à nos petitesses, à nos folies, à nos traitrises et à nos crimes.
Aujourd'hui encore, je constate le fossé qui se creuse entre nous, parents, et nos enfants. Sans qu'on s'en rende compte, ces derniers créent, à notre insu, leur univers, vivent leurs propres expériences et n'en partagent avec nous qu'une infime partie.
Etre d'ici est si pénible
Que je peins sur ma cité
Le bleu de ma mer refuge
Et dans le bleu de ma mer réfuge
Je rêve d'attraper l'éclipse
Pour y accrocher ma conscience écorchée
Moi, j'avais cru pouvoir aller plus vite. Nous, les femmes, sommes arrivées, pour notre malheur parfois, à considérer comme normal, obigatoire même, un chemin pavé de briques cuites au feu de l'enfer.
La mémoire garde difficilement les choses et les dits qui ne sont pas modelés dans la matière du monde.
Chaque fois que je me retrouve dans une impasse de ma vie, chaque fois que cette terre risque de m'engloutir dans ses mythes et ses impostures, je vais mesurer la distance entre les bâtiments de cet hôpital et le Palais national. Cela me ramène à la mémoire les circonstances de la mort de mon père. Cela ravive mon ressentiment pour ce pays. Pas pour ce pays qui m'a vu naître. Cette terre, elle n'y est pour rien. On l'a abreuvée de sang. Mais pour cette société de menteurs et de flibustiers qui se drapent depuis deux siècles dans des radotages stériles sur la fondation d'une nation, d'un Etat qui a condamné dès le départ des centaines de milliers d'être humains aux conditions de vies les plus abjectes.
Je n'ai aucune fierté d'être Haïtien. Mais je voudrais bien me battre pour l'être, pour que mes enfants le soient aussi.
page 209 - Editions Philippe Rey
Tu seras un écrivain, mon fils. Mais dans cette chose où nous sommes, apprends quand même un métier qui peut mettre de la nourriture sur la table.
Le Président Éternel, qu'on dit être aussi méchant, aussi inhumain -rappelle-toi qu'il a fait fusiller sans sourciller dix-neuf officiers-, n'est que le miroir qui reflète la bêtise, la violence, le mépris de la personne humaine qu'on cultive tant dans notre société. Il est la quintessence de ce que, malheureusement, nous sommes, notre être véritable, notre pur produit. (p.67)