Citations de Jacques Roumain (79)
Les uns plantent, les autres récoltent. En vérité, nous autres le peuple, nous sommes comme la chaudière ; c’est la chaudière qui cuit tout le manger, c’est elle qui connaît la douleur d’être sur le feu, mais quand le manger est prêt, on dit à la chaudière : tu ne peux venir à table, tu salirais la nappe.
Si l'on est d'un pays, si l'on y est né, comme qui dirait : natif-natal, eh bien, on l'a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes : c'est une présence dans le cœur, ineffaçable, comme une fille qu'on aime : on connaît la source de son regard, le fruit de sa bouche, les collines de ses seins, ses mains qui se défendent et se rendent, ses genoux sans mystère, sa force et sa faiblesse, sa voix et son silence.
On entrait dans l'herbe de Guinée(…) Peu à peu, les arbres noircis, leur feuillage encore chargé de lambeaux d'ombre, reprenaient leur couleur. Une huile de lumière les baignait.Un madras de nuages soufrés ceignait le sommer des mornes élevés.Le pays émergeait du sommeil. Dans la cour de Rosanna, le tamarinier lançait soudain, comme un poignée de graviers, un tourbillonnement criard de corneilles.
Dans tout effort, il y a naturellement une ignorance de la mort.
Si l'on est d'un pays, si l'on y est né, comme qui dirait : natif-natal, eh bien, on l'a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes...
Un arbre, c'est fait pour vivre en paix dans la couleur du jour et l'amitié du soleil, du vent, de la pluie.Ses racines s'enfoncent dans la fermentation grasse de la terre, aspirant les sucs élémentaires, les jus fortifiants. Il semble toujours perdu dans un grand rêve tranquille.L'obscure montée de la sève le fait gémir dans les chaudes après-midi. C'est un être vivant qui connaît la course des nuages et pressent les orages, parce qu'il est plein de nids d'oiseaux.
Dans les coques dorées des assorossis s'épanouissait une pulpe rouge comme un velours de muqueuses.
Délira se lève avec peine.C'est comme si elle faisait un effort pour rajuster son corps. Touts les tribulations de l'existence on froissé son visage noir, comme un livre ouvert à la page de la misère.Mais ses yeux ont une lumière de source et c'est pourquoi Bienaimé détourne son regard .
La haine, la vengeance entre les habitants. L'eau sera perdue. Vous avez offert des sacrifices aux loa, vous avez offert le sang de poules et des cabris pour faire tomber la pluie, ça n'a servi à rien Parce que ce qui compte c'est le sacrifice de l'homme. C'est le sang du nègre. Va trouver Larivoire. Dis-lui la volonté du sang qui a coulé : la réconciliation, la réconciliation pour que la vie recommence, pour que le jour se lève sur la rosée.
Ce que nous sommes ? Si c'est une question, je vais te répondre : eh bien nous sommes ce pays et il n'est rien sans nous, rien du tout. Qui est-ce qui plante, qui est-ce qui arrose, qui est-ce qui récolte ? Le café, le coton, le riz, la canne, le cacao, le maïs, les bananes, les vivres et tous les fruits, si ce n'est pas nous, qui les fera pousser ? Et avec ça nous sommes pauvres, c'est vrai nous sommes malheureux, c'est vrai nous sommes misérables, c'est vrai. Mais sais-tu pourquoi frère ? A cause de notre ignorance : nous ne savons pas encore que nous sommes une force, une seule force : tous les habitants, tous les nègres des plaines et des mornes réunis. Un jour, quand nous aurons compris cette vérité, nous nous lèverons d'un point à l'autre du pays et nous ferons l'assemblée générale des gouverneurs de la rosée, le grand coumbite des travailleurs de la terre pour défricher la misère et planter la vie nouvelle.
Les bourgeois de la ville ont beau les appeler par dérision nègres pieds-à-terre, nègres va-nu-pieds, nègres orteils ( trop pauvres qu'ils étaient pour s'acheter des souliers), tant pis et la merde pour eux, parce que, question de courage au travail, nous sommes sans reproche ; et soyez comptés, nos grands pieds de travailleurs de la terre, on vous les foutra un jour dans le cul, salauds.
Quand elle sort du courant, des bracelets de fraîcheur se défont autour de ses jambes.
... Le jour a pris fin avec la brune, le ciel s'est brouillé, le morne s'est éffacé, le bois est entré dans l'ombre, une mince serpette de lune s'est mise à voyager dans les nuages et la nuit est venue.
Elle est là, la douce, la bonne, la coulante, la chantante, la fraìche; la bénédiction, la vie
Si l’on est d’un pays, si l’on y est né, comme qui dirait : natif-natal, eh bien, on l’a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes.
Les peuples sont des arbres. Ils fleurissent à la belle saison. Et, d'efflorescence en floraison, la lignée humaine s'accomplit, poursuit son rude devenir germinant en direction de l'Homme-lumière qui nous est promis au bout de la longue traversée. p.201
Délira, elle, lavait les plats. Et elle chantait, c'était une chanson semblable à la vie, je veux dire qu'elle était triste : elle n'en connaissait pas d'autre. Elle ne chantait pas fort et c'était une chanson sans mots, à bouche fermée et qui restait dans la gorge comme un gémissement, et pourtant son coeur était apaisé depuis qu'elle avait causé avec Manuel, mais il ne savait d'autre langage que cette plainte douloureuse, alors que voulez-vous, elle chantait à la manière des négresses ; c'est l'existence qui leur a appris, aux négresses, à chanter comme on étouffe un sanglot et c'est une chanson qui finit toujours par un recommencement parce qu'elle est à l'image de la misère, et dites-moi, est-ce que ça finit jamais la misère ?
Un arbre, c'est fait pour vivre en paix dans la couleur du jour et l'amitié du soleil, du vent, de la pluie. Ses racines s'enfoncent dans la fermentation grasse de la terre, aspirant les sucs élémentaires, les jus fortifiants. II semble toujours perdu dans un grand rêve tranquille. L'obscure montée de la sève le fait gémir dans les chaudes après-midi. C'est un rêve vivant qui connait la course des nuages et pressent les orages, parce qu'il est plein de nids d'oiseaux.
Et je ne suis plus la même, qu'est-ce qui m'arrive, c'est une douceur qui fait presque mal, c'est une chaleur qui brûle comme la glace, je cède, je m'en vais ; ô Maître de l'eau, il n'y a pas de mauvaise magie en toi, mais tu connais toutes les sources, même celle qui dormait dans le secret de ma honte, tu l'as réveillée et elle m'emporte, je ne peux pas résister, adieu, me voici. Tu prendras ma main et je te suivrai, tu prendras mon corps dans tes bras et je dirai : prend-moi, et je ferai ton plaisir et ta volonté, c'est la destinée.
Toutes les tribulations de l’existence ont froissé son visage noir, comme un livre ouvert à la page de la misère.