Citations de Jacques Roumain (79)
Le malheur bouleverse comme la bile, ça remonte à la bouche et alors les paroles sont amères.
Dans leurs cages de vitre et d'acajou, les livres tout autour de la chambre sont rangés comme des animaux familiers.
Les malheureux travaillent au soleil et les riches jouissent dans l’ombrage; les uns plantent, les autres récoltent; En vérité, nous autres le peuple, nous sommes comme la chaudière; c’est la chaudière qui cuit tout le manger, c’est elle qui connaît la douleur d’être sur le feu, mais quand le manger est prêt, on dit à la chaudière : tu ne peux venir à table, tu salirais la nappe.
Et elle sourit de ce sourire qui avait gardé la grâce de la jeunesse malgré la petite cicatrice de tristesse que la vie avait laissée au coin des lèvres pour marquer son empreinte.
Manuel lui montra sa main ouverte: "Regarde ce doigt comme c'est maigre, et celui-là tout faible, et cet autre pas plus gaillard, et ce malheureux, pas bien fort non plus et ce dernier tout seul et pour son compte".
Il serra le poing: "et maintenant, est-ce que c'est assez solide, assez massif, assez ramassé? On dirait bien que oui pas vrai? Et bien la grève, c'est ça: un non de mille voix qui ne font qu'une et qui s'abat sur la table du patron avec le pesant d'une roche"
Est-ce qu'on peut déserter la terre, est-ce qu'on peut lui tourner le dos, est-ce qu'on peut la divorcer, sans perdre aussi sa raison d'existence et l'usage de ses mains et le goût de vivre?
L'entraide c' est l amitié des pauvres!
Jacques Roumain voyait dans le phénomène religieux l'une de ces forces obscures qui enchaînent le paysan (haïtien) à la duperie de la résignation.
Les peuples sont comme des arbres qui fleurissent malgré la mauvaise saison, à la belle saison notre arbre continue à vivre. Un peuple qui vient de produire un Jacques Roumain ne peut pas mourir. Roumain est une immortelle qui fertilise nos ramures par son amour universel. Tous les grands haïtiens qui fleuriront désormais sur notre sol ne pourront pas ne pas lui devoir quelque chose.
[Jacques Stephen Alexis]
La vie, c’est une comédie, voilà ce qu’elle est, la vie.
Il cracha : Et elle a un goût amer, la saloperie.
-C'est la vie qui commande et l'eau c'est la réponse de la vie.
Les grands travailleurs sont des grands paresseux qui s'ignorent.
Au-dessus des bayahondes flottent des haillons de fumée. Dans les clairières, les charbonniers déblaient les tertres sous lesquels le bois vert a brûlé à feu patient. Un arbre, c’est fait pour vivre en paix dans la couleur du jour et l’amitié du soleil, du vent, de la pluie. Ses racines s’enfoncent dans la fermentation grasse de la terre, aspirant les sucs élémentaires, les jus fortifiants. Il semble toujours perdu dans un grand rêve tranquille. L’obscure montée de la sève le fait gémir dans les chaudes après-midi. C’est un être vivant qui connaît la course des nuages et pressent les orages, parce qu’il est plein de nids d’oiseaux.
Du levant au couchant, il n’y a pas un seul grain de pluie dans tout le ciel : alors est-ce que le bon Dieu nous a abandonnés ?
- Le bon Dieu n’a rien à voir là-dedans.
- Ne déparle pas, mon fil. Ne mets pas de sacrilèges dans ta bouche.
La vieille Délira, effrayée, se signa.
Je ne déparle pas, maman. Il y a les affaires du ciel et il y a les affaires de la terre : ça fait deux et ce n’est pas la même chose. Le ciel, c’est le pâturage des anges ; ils sont bienheureux ; ils n’ont pas à prendre soin du manger et du boire. Et sûrement qu’il y a des anges nègres pour faire le gros travail de la lessive des nuages ou balayer la pluie et mettre la propreté du soleil après l’orage, pendant que les anges blancs chantent comme des rossignols toute la sainte journée… Mais la terre, c’est une bataille jour pour jour, une bataille sans repos : défricher, planter, sarcler, arroser, jusqu’à la récolte, et alors tu vois ton champ mûr couché devant toi le matin, sous la rosée, et tu dis : moi untel, gouverneur de a rosée, et l’orgueil entre dans ton cœur. Mais la terre s’est comme une bonne femme, à force de la maltraiter, elle se révolte : j’avais vu que vous aviez déboisé les mornes. La terre est toute nue, sans protection. Ce sont les racines qui font amitié avec la terre et la retiennent : ce sont les manguiers, les bois de chênes, les acajous qui lui donnent les eaux des pluies pour sa grande soif et leur ombrage contre la chaleur de midi. C’est comme ça et pas autrement, sinon la pluie écorche la terre et le soleil l’échaude : il ne reste plus que des roches. Je dis vrai : c’est pas Dieu qui abandonne le nègre, c’est le nègre qui abandonne la terre et il reçoit sa punition : la sécheresse, la misère et la désolation.
Et elle chantait, c’était une chanson semblable à la vie, je veux dire qu’elle était triste : elle n’en connaissait pas d’autre.
Si l'on est d’un pays, si l'on y est né, comme qui dirait natif-natal, eh bien, on l'a dans les yeux, la peau ; les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel sa saveur, ses hommes et ses femmes : c'est une présence ineffaçable comme un fille qu'on aime. : on connaît la source de son regard, le fruit de sa bouche, les collines de ses seins, ses mains qui se défendent et se rendent, ses genoux sans mystères, sa force et sa faiblesse, sa voix et son silence.
Un arbre, c'est fait pour vivre en paix dans la couleur du jour et l'amitié du soleil, du vent, de la pluie. Ses racines s'enfoncent dans la fermentation grasse de la terre, aspirant les sucs élémentaires, les jus fortifiants. Il semble toujours perdu dans un grand rêve tranquille …
L’expérience est le bâton des aveugles et j’ai appris que ce qui compte, puisque tu me le demandes, c’est la rébellion, et la connaissance que l’homme est le boulanger de la vie.
Casamajor Beaubrun, sa femme Rosanna et leurs deux garçons les saluaient. Ils disaient : frères, merci oui ; question de politesse parce qu'un service, ça se prête de bon vouloir : aujourd'hui, je travaille ton champ, toi, demain, le mien. L'entraide, c'est l'amitié des malheureux, n'est-ce-pas ?
[…] le rire de Délira était étonnamment jeune, c’est qu’elle n’avait pas tellement l’habitude de le faire entendre, la vie n’est pas assez gaie pour ça ; non, elle n’avait jamais eu le temps de trop l’user : elle l’avait préservé tout frais, comme un chant d’oiseau dans un vieux nid.