Jacques de Bourbon Busset

jésus , de retour sur terre s'étonnerait qu'on le commente tant et qu'on essaie si peu de l'imiter .

Le langage crée un autre monde, qui permet d'oublier le monde réel.

Un écrivain est, je crois, un homme qui déplie, pendant toute sa vie, une intuition de son enfance. Elle était enveloppée dans les brumes voulues et souvent à dessein prolongées du premier âge. Il la développe, parfois la gauchit, la grossit, la déforme. Jadis les filles hautaines et railleuses me faisaient horreur, alors que j'aimais les douces et les timides, car, pensais-je, la mission de l'homme est de protéger la femme. Je le pense encore.

A Bombay, j'ai vu la corde lever la tête et devenir cobra. Ce que fait le son de la flûte, ce passage de la mort à la vie, l'amour le fait aussi. Il y a, disent les Indiens, ceux qui ne voient que la corde et ceux qui ne voient que le serpent. Mais s'agit-il de voir ?

Mon fils Charles fait l'apprentissage des rapports humains. Il comprendra vite que les forts peuvent se payer le luxe de la franchise, que ce sont les faibles qui mentent, que s'interroger sur la sincérité de l'interlocuteur, comme font les débutants, est un leurre, qu'il faut évaluer la force réelle, la force intérieure du vis-à-vis.

Donner sa parole est le plus grand des dons. Aussi faut-il se garder de la donner à la légère. Quand on la donne inconsidérément, on ne la tient pas. Une certaine camararderie facile est la mort de l'amitité et de l'amour.

Il faut que l'un des deux (car il faut bien qu'il y ait un premier) comprenne viscéralement que l'absolu est l'absolu d'un amour. Alors, si le second n'est pas le dernier des lâches et des imbéciles, tout le reste suit, croît et embellit. L'essentiel est d'accepter la confiance de l'autre, de lui en être reconnaissant, de se sentir lié par elle. L'amour est acte de confiance, de confiance en sa propore confiance et en la confiance de l'autre. La confiance existe, certes, dans l'amitié mais la confiance de l'amour est absolue, inconditionnelle, sans réserve, sans retour. L'amour absolu naît de la confiance absolue.

Qu'y avait-il de particulier dans le lien qui nous unissait? Cela ne peut se réduire à une formule abstraite, à une suite de mots et pourtant cela doit pouvoir s'exprimer. IL me paraît difficile d'éviter le mot lumière. Ce qui se passait entre nous n'était pas de l'orde des forces mécaniques, ni même organiques, mais de l'ordre de la lumière, d'une lumière familière, quotidienne, dont la présence était sans cesse espérée, l'absence sans cesse redoutée. Nous vivions dans, de et par cette lumière. SI elle nous avait manqué, tout nous aurait manqué.

13 septembre 1967 - Une femme vêtue de ses seuls cheveux, cambrée, les yeux perdus, un sourire aux lèvres, quel homme peut résister à la force d'une telle image ? Voilà la vérité, dans sa gênante nudité. Qu'on l'habille tant qu'on voudra ! Il suffit qu'on aperçoive l'éclat d'une épaule et tout chavire. C'est que l'amour d'un homme et d'une femme, dans son ordre, est indispensable alors que toute théorie, poussée à la limite, se change en son contraire. Obsession pour obsession et sans obsession on végète, l'érotique vaut mieux que l'idéologique, elle est autrement sérieuse.

190 - [Folio n° 127, p. 245]

La force de la tendresse vient de son refus de la force.

Le point de soudure entre intelligence et sensibilité évoque la charnière secrète entre monde visible et monde invisible.

L'absence de ta présence me désespère. La présence de ton absence me révèle ton éternité.

Rien n'est jamais acquis, tout peut-être remis en cause à chaque instant.

Ceux qui me plaisent le plus, ce sont les amoureux. Quand ils se serrent l'un contre l'autre dans mon ombre et qu'ils ont l'air si heureux, je me dis que l'univers entier n'a de sens que parce qu'il permet à deux êtres de s'aimer. Toute cette machinerie, à la fois magnifique et ridicule, n'est justifiée que si, en un lieu et un instant donnés, deux misérables vermisseaux humains arrivent à vivre à deux l'absolu.

Parfois, je suis fatigué d'avoir raison, de prévoir et de calculer juste. Je voudrais me tromper, me donner tort, connaître à la fois la confusion de l'erreur et la satisfaction de la réparer.

Personne ne saura jamais ce que trois mots désinvoltes d'un chef peuvent dissimuler de souffrances, de ruses, de risques, de cadavres.

Il me parait inacceptable de garder pour soi un secret aussi simple qui se formule ainsi : trouver sa joie dans la joie de l'autre.

Je crois aujourd’hui qu’il importe plus d’exister par soi-même que de briller aux yeux du monde.

Un homme d'état doit convaincre les esprits, non déchaîner les passions.

Il n’est pas nécessaire, pour trouver la vie, de mourir à la vie comme font les mystiques. Cependant, il est indispensable, pour connaître la vraie vie, de renoncer à la fausse. Ce n’est pas si facile. La fausse vie a, en sa faveur, l’immédiat, le brillant, le facile. La vraie vie est un sentier escarpé, qui demande effort et patience, mais, à chaque pas, le monde se découvre un peu plus. Aller de la fausse vie à la vraie vie, c’est changer de rive. Tu m’as fait passer sur l’autre rive.