Hoover fit tout à coup son apparition.
- Aidez-moi à trouver le corps du type ; on a des choses plus importantes à faire qu'à regarder une vache morte qui pue !
- Pas un vache, corrigea Moon d'un ton égal. Un taureau.
- Très bien. Vache, taureau, comme vous voudrez. La question importante, bon Dieu, c'est où se trouve le corps de monsieur Ouray ?
Moon désigna la carcasse.
- C'est lui. Monsieur Big Ouray. Le taureau hereford pure race de Gorman Sweetwater.
Un vent de panique passa sur le visage de l'agent spécial.
- C'est une plaisanterie ou quoi ?
Il n'était pas venu à l'esprit de Hoover qu'un simple policier tribal puisse oser plaisanter à ses dépens.
La femelle coyote s'arrêta un instant, perplexe, pour humer l'air, interrompant son opiniâtre recherche de l'odeur du lapin. La bête affamée se tourna, orientant ses oreilles sensibles vers l'origine des bruits à peine perceptibles.Scratch-scratch. Ces bruits s'arrêtaient, puis recommençaient. Scratch-scratch. depuis longtemps accoutumée à la menace des créatures à deux pattes et de leurs chiens, la femme coyote sentit qu'un être plus sinistre encore s'avançait sur le sol du canyon.
- Lloyd Cuffman, dit le barbu vêtu d'un costume trois pièces en tendant la main. Il annonça cela comme si les deux flics du Colorado avaient dû entendre parler de lui.
- Six ans à la CIA, quatre à la DIA, neuf chez les Stups et les quatre dernières années en agent infiltré sur le terrain. Il redressa le menton.
- Quand j'arrête des trafiquants de drogue, ils plongent. Et pour longtemps.
- Charlie Moon, dit le grand Ute. Je verbalise surtout les piétons imprudents. S'ils veulent jouer au plus malin avec moi, j'appelle leur maman.
- Moi, c'est Scott Parris. Je surveille les parcmètres.

Moon était perplexe. Les haricots, c'était du fourrage pour les Texans. Les betteraves... c'étaient des betteraves. Les carottes étaient bonnes pour les lapins. Le maïs à la crème, à la rigueur, à condition d'avoir des côtes de porc pour aller avec. Il n'avait jamais goûté aux épinards, surtout à cause de leur aspect qui lui faisait penser à un aliment vomi par une vache malade. Toutefois, il était décidé à manger un vrai légume. Quelque chose de bon pour la santé. Oui, mai quoi ? Comme la pluie en pleine sécheresse, l'inspiration vint au policier ute. Il se rappela une vieille coutume tribale... Le chef Ouray avait nourri ses chevaux avec des bulbes particulièrement relevés pour les maintenir en bonne condition... [...] Dans un éclair de génie, Charlie Moon pointa son doigt sur le menu maculé de graisse.
- Ça fit-il, ça ira très bien.
La serveuse faillit en perdre la voix.
- Des rondelles d'oignon ?
- Oui.
Le chef Onray avait donné des oignons crus à ses chevaux, seule la technique changeait.
- Ces trucs sont frits dans le lard... expliqua la serveuse.
- Alors donnez-m'en une double portion.
Si on doit manger sainement, autant ne pas faire les choses à moitié.
Le jeune homme était resté muet, imaginant que l'esprit de Tante Daisy venait lui rendre visite au pied de son lit par quelque nuit paisible. Il avait eu envie de la prier d'interdire à son fantôme de rôder chez lui, mais avait jugé plus prudent de changer de sujet.
La semaine précédente encore, lors d'une réunion des Alcooliques Anonymes au foyer de Peaceful Spirit, il s'était levé et avait fièrement annoncé au groupe que depuis seize ans, il n'avait rien bue de plus fort que le café de Daisy Perika. Ce qui avait déclenché des petits rires élogieux chez ses auditeurs ; le breuvage de la vieille femme-médecine avait la réputation bien établie d'être suffisamment fort pour faire fondre des cuillères, et certains murmuraient qu'elle y ajoutait des "ingrédients spéciaux" puisés dans ses réserves d'herbes médicinales. Un membre respecté du conseil tribal jurait que des mois d'impuissance sexuelle avaient été guéris par une unique tasse de cette âcre concoction.
... Seul le petit homme vêtu de noir resta dans le cimetière. Le père Raes se tenait au-dessus de la fosse, fixant le cercueil. Il percevait encore quelque chose de très étrange... un murmure... une cadence familière... qui se répétait inlassablement. Non, se dit-il, ce n'est rien de plus que les fluctuations de la brise dans les branches du frêne qui domine la tombe. Ou le bruit des eaux du Pinos qui ruisselle sur les rochers. Le vent qui joue ses petits tours à mon imagination, les eaux miroitantes de la rivière qui m'appellent.
Pendant qu'il nourrissait ces explications rationnelles, le chant murmuré s'atténua et se fondit dans le silence.
- J'ai fait un mauvais rêve à propos de Charlie, vendredi dernier. Ça m'a réveillée au milieu de la nuit. Je n'ai pas pu me rendormir tellement j'étais inquiète.
Cela, au moins, Parris le comprenait. Les gens qui sont proches de policiers rêvent souvent de décès épouvantables survenus de la main de criminels.
- Il arrivait quelque chose à Charlie ?
- C'était horrible....
Daisy frissonna à cet épouvantable souvenir.
- J'ai rêvé qu'il s'était mis au golf.
La vieille chamane – membre point trop assidu de l’église catholique de Saint-Ignace – s’assied sur son lit et récite ses prières. Elle se serait volontiers agenouillée, mais ses genoux sont trop douloureux. Elle prie pour qu’il pleuve – mais pas assez pour inonder le canyon. Elle prie pour un hiver doux, pour la santé et la prospérité du Peuple, pour les autres natifs d’Amérique, pour la sécurité de Charlie Moon. Elle prie aussi, après réflexion, pour Scott Parris, le chef de la police de Granite Creek. Le Blanc est le meilleur ami de son neveu chéri, et aussi le sien, d’une certaine manière. Même s’il a un jour troué son plafond avec un fusil de calibre douze – un trou assez grand pour laisser passer une chèvre. Avec les hommes et les enfants, on apprend à fermer les yeux sur de telles bêtises.
Chapitre 1
Quelques milliers d’années auparavant, c’était une terre riche, l’herbe luxuriante montait jusqu’aux genoux et de petits lacs bordés de marais couverts de roseaux agrémentaient le paysage. Il y avait des mammouths, des bisons géants, même des chameaux et des chevaux nains. Et des hommes avec de courtes lances et des bâtons. Mais c’est fini. C’est désormais un désert inondé de soleil, parsemé de tristes bouquets de mesquite, d’épinards sauvages et de queues-de-renard ployant sous le vent.
Ici et là poussent aussi quelques pins pignons ou quelques genévriers, isolés comme des enfants rejetés de leur tribu.
Chapitre 1