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Citations de Jane Dieulafoy (34)


Attribuer à la pénurie de capitaux les singulières exigences des marchands serait une erreur. Les banquiers, fort nombreux, sont toujours disposés à ouvrir des crédits aux petits négociants, et l’argent, quoique prêté à gros intérêt, ne fait jamais défaut aux industriels honnêtes et laborieux. En outre ils jouissent de privilèges qui facilitent singulièrement leurs affaires ; l’État, en vue de favoriser les transactions, ne les charge ni d’impôts ni de patentes, et les oblige seulement à acquitter des droits d’entrée d’autant moins onéreux qu’il est toujours aisé de se mettre d’accord avec les préposés de la douane. En réalité, les marchands bagdadiens exigent le payement des commandes avant la livraison, d’abord parce qu’ils bénéficient des intérêts autant qu’il leur plaît de faire durer le travail, et, en second lieu, parce que les ruses de leurs clients ordinaires les ont mis depuis long-temps à une dure école.
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Quel merveilleux climat que celui de l’Orient ! L’hiver lui-même ne revêt pas la terre d’une livrée de deuil ; à peine modifie-t-il l’aspect du paysage : il gèle, et Bagdad m’apparaît au mi-lieu d’arbres toujours verts, belle comme la fiancée du printemps.
Le ciel s’éclaire ; peu à peu se montrent sur la rive droite : les bâtiments du sérail, les casernes, les coupoles de faïence, bientôt couvertes d’innombrables pigeons qui viennent sécher leurs ailes aux premiers rayons du soleil ; puis, les minarets
élancés à rendre jaloux les palmiers voisins ; la médressè, les beaux bâtiments de la douane, devant lesquels se pressent déjà Juifs, Arméniens et Arabes en costumes colorés. Enfin, à l’aval du débarcadère, on aperçoit, à demi noyés dans les brumes du Tigre, des jardins magnifiques dominés par le pavillon du consulat d’Angleterre.
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— Je n’ai jamais refusé l’hospitalité gratuite à de fidèles croyants, mais je n’oserais introduire chez moi des infidèles sans l’assentiment de mes femmes ; attendez un instant, je vais les consulter. »
Et le ketkhoda, laissant à ses serviteurs le soin de garder la porte, disparaît. Bientôt un concert discordant parvient à nos oreilles. La proposition du maître de céans a soulevé une telle indignation dans l’andéroun, que cet heureux époux, presque honteux de son audace, revient, tout penaud, nous faire part de l’impossibilité où il se trouve de nous recevoir.
« Il y a, dit-il, à l’extrémité du village une ancienne mosquée où vont parfois camper les tcharvadars ; vous n’y seriez vraiment pas mal, et, si vous consentiez à vous y rendre, je vous ferais porter, sans en rien dire à mes femmes, du bois et du charbon. »
En route pour l’auberge du bon Dieu.
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La vieille thèse si souvent reprise et cependant peu éclairée des influences de l’art oriental sur l’architecture gothique, l’apport artistique et industriel des Croisades dans les créations du Moyen Âge avaient toujours excité la curiosité de mon mari.
Le Maroc, l’Algérie, l’Espagne, encore riches en souvenirs de la domination mauresque ; Venise, ses coupoles et ses arcs en accolade ; le Caire, avec ses admirables tombeaux de la plaine de Mokattam et sa triomphante mosquée d’Hassan interrogés tour à tour, avaient donné leur contingent de renseignements et d’informations, mais la filiation orientale de l’art du Moyen Âge restait encore à démontrer. Marcel était intimement persuadé que la Perse Sassanide avait eu une influence prépondérante sur la genèse de l’architecture musulmane, et que c’était par l’étude des monuments des Kosroès et des Chapour qu’il faudrait débuter le jour où l’on voudrait substituer à des théories ingénieuses des raisonnements appuyés sur des bases solides.
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Jane Dieulafoy
Le ketkhoda est allé hier à la ville ; son premier domestique s’appuie ce soir sur la pile de couvertures et s’apprête à rendre la justice avec le sérieux et la dignité de Sancho Pança. Un boulanger est introduit. Il vient se plaindre de n’avoir pas été payé depuis longtemps par un de ses clients.
« Aga, ajoute-t-il en terminant, cet homme prend tous les jours sa provision de pain chez moi ; vous comprenez quelle serait ma perte si vous ne l’obligiez pas à acquitter sa dette. Sa conduite est d’autant plus scandaleuse et d’un mauvais exemple dans le village, qu’il se vante de jeter une partie de ma marchandise.
— Combien de pains achètes-tu chaque jour ? a demandé le juge au paysan.
— Six.
— Qu’en fais-tu ?
— J’en garde un, j’en rends deux, je prête les deux autres et je jette véritablement le dernier.
— Explique-toi et ne te joue pas de mon autorité.
— C’est bien simple ; j’ai dit : « je garde un pain », je le mange ; « j’en rends deux », je les donne à mon père et à ma mère ; « j’en prête deux autres », ceux-ci sont destinés à mes enfants ; « celui que je jette » est la part de ma belle-mère. »

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Jane Dieulafoy
Ces premières difficultés vaincues, quelques amis bien intentionnés tentèrent de me détourner d’une expédition, au demeurant fort hasardeuse, et m’engagèrent vivement à rester au logis. On fit miroiter à mes yeux les plaisirs les plus attrayants. Un jour je rangerais dans des armoires des lessives embaumées, j’inventerais des marmelades et des coulis nouveaux ; le lendemain je dirigerais en souveraine la bataille contre les mouches, la chasse aux mites, le raccommodage des chaussettes. Deux fois par semaine j’irais me pavaner à la musique municipale. L’après-midi serait consacré aux sermons du prédicateur à la mode, aux offices de la cathédrale et à ces délicates conversations entre femmes où, après avoir égorgeaillé son prochain, on se délasse en causant toilettes, grossesses et nourrissages. Je sus résister à toutes ces tentations. À cette nouvelle on me traita d’originale, accusation bien grave en province ; mes amis les meilleurs et les plus indulgents se contentèrent de douter du parfait équilibre de mon esprit.
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Mon mari ne s’occupait point d’anthropologie ; il ne se sentait même pas appelé à aller dénicher dans des cimetières quelconques des crânes ou des ossements tout aussi quelconques dont les légitimes propriétaires n’avaient jamais sollicité la faveur de venir figurer dans nos muséums sous de pompeuses étiquettes. Dans ces conditions il n’avait point droit à émarger au budget des Missions et devait se contenter, pour tout viatique, d’une belle feuille de papier blanc sur laquelle un calligraphe de troisième ordre le recommandait aux bons soins de nos agents diplomatiques en Orient et priait les représentants du ministère des Affaires étrangères de lui faciliter une mission aussi intéressante que gratuite.
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Au moment de livrer mes notes à l’impression, je me sens prise du désir de donner une conclusion à ce long voyage. Mal-gré les réelles jouissances que j’ai éprouvées en parcourant les monuments si remarquables de la Perse, en me réchauffant aux rayons de son soleil, en rêvant sous un ciel étoilé et brillant comme un dôme d’argent, en admirant ses bosquets de platanes, ses forêts d’orangers, ses bois de palmiers et de grenadiers, ses déserts sauvages et ses plaines fertiles, je n’oserais pas souhaiter pareil bonheur à mon plus mortel ennemi (en supposant que j’aie mérité d’avoir de mortels ennemis). Que l’infortuné s’aventure tout le long de la ligne du télégraphe anglais de Téhéran à Chiraz, je le lui permettrai encore, mais que sa mauvaise étoile ne l’amène jamais dans le Fars, dans le Khousistan ou sur les rives maudites du Karoun, ces terres d’élection des fièvres paludéennes.
J’ai payé par l’absorption de deux cents grammes de quinine le plaisir de conter mes aventures : si je fais volontiers mon deuil de la note du pharmacien, je regretterai longtemps mes forces perdues et mes yeux affaiblis.
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Par un étrange contraste, Omar Kheyyam, le précurseur de Goethe et de Henri Heine, publie ses immortels quatrains, singulier mélange de dénégation amère et d’ironie sceptique, et célèbre en termes réalistes le plaisir et les charmes de l’ivresse.
L’Envari Soheïli dépeint sous les plus vives couleurs la mi-sère du Khorassan après le passage de la tribu de Ghus.
« En ces lieux où la désolation a fixé son trône, y a-t-il quelqu’un à qui sourie la fortune ou que la joie accompagne ? Oui, c’est ce cadavre qu’on descend dans la tombe. Y a-t-il une femme intacte là où se commettent chaque jour d’odieuses violences ? Oui ; c’est cette enfant qui vient de sortir du sein de sa mère. »
« La mosquée ne reçoit plus notre peuple fidèle ; il nous a fallu céder aux plus vils animaux les lieux saints. Convertis en étables, ils n’ont plus ni toits ni portiques. Notre barbare ennemi ne peut lui-même faire proclamer son règne à la prière ; tous les crieurs du Khorassan ont été tués, et les chaires sont renversées.
« Une mère tendre aperçoit-elle tout à coup parmi les victimes de cette foule d’assassins un fils chéri, la consolation de ses yeux : depuis qu’ici la douleur manifeste est devenue un crime, la crainte sèche la larme prête à couler ; la terreur étouffe les gémissements, et la mère épouvantée n’ose demander com-ment est mort son enfant. »
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La peste de 1832, jointe à une administration défectueuse et trop indépendante du pouvoir central, a fait du pays le plus riche du monde l’un des plus pauvres et des plus mal-heureux.
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Une porte donnant accès sur un boulevard d’haussmannisation récente s’ouvre à l’extrémité des fortifications et conduit jusqu’à une vaste place. Les guides s’arrêtent à mi-chemin et entrent enfin dans une maison de très pauvre apparence dont les misérables chambres entourent une sorte de poulailler boueux. Kerbéla est un pèlerinage trop suivi pour qu’on n’y trouve point de meilleur caravansérail ; mais nos serviteurs ont fait preuve de prudence en ne nous mettant pas en contact avec des gens fanatisés par les exhortations des mollahs et énervés par les fatigues d’un long voyage. Après avoir pris possession de pièces étroites situées au premier étage, je monte jusqu’aux terrasses, mes observatoires habituels, et j’aperçois enfin l’en-semble de la ville. À gauche s’élèvent la coupole et les minarets d’or du tombeau de Houssein ; à droite, un dôme revêtu de faïence bleu turquoise, construit sans doute sous les derniers Sofis.
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Quelles singulières analogies existent entre la fortification musulmane du Moyen Âge et la fortification française de la même époque ! Il est impossible, en regardant la grande tour du Talism, de ne point la mettre en parallèle avec le donjon de Couci ; mêmes corbeaux destinés à supporter les hourds, mêmes baies servant de dégagement à ces ouvrages de char-pente, mêmes meurtrières ouvertes sur toute la hauteur de la tour, mêmes escarpes et contrescarpes défendues par des chemises extérieures, mêmes plafonds nervés réunis par des voûtains ogivaux. Si ce n’était la substitution de l’ogive iranienne à l’ogive occidentale et des caractères arabes aux caractères gothiques, je me croirais au pied de l’enceinte d’une ville française du Moyen Âge.
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Deux hommes se tenant debout dirigent la barque, chacun avec une barre. L’un tire sa perche, tandis que son compagnon pousse la sienne au fond de l’eau. On construit sur ce modèle de grandes et de petites embarcations ; les plus vastes reçoivent une cargaison du poids de cinq mille talents. Lorsque en naviguant elles sont arrivées à Babylone et que les mariniers ont disposé du fret, ils vendent à l’encan les roseaux et la car-casse, puis ils chargent les peaux sur leurs ânes et s’en retournent en Arménie, car il est impossible de remonter le cours du fleuve à cause de sa rapidité. C’est pour cela qu’ils ne font point leurs bateaux en bois, mais en cuir. Lorsque les conducteurs des ânes sont de retour en Arménie, ils se remettent à construire leurs bateaux par le même procédé. »
Hérodote parle positivement de barques ; il ajoute que ces barques n’ont ni proue ni poupe, et qu’elles sont rondes comme des boucliers. Il décrit donc, à mon avis, un corps évidé sem-blable à un bateau, mais en différant, par sa forme circulaire. Afin de ne laisser à ses lecteurs aucun doute à ce sujet, l’auteur indique même que les côtés et les bordages sont faits en branches de saule, c’est-à-dire en bois flexible pouvant se cour-
ber avec facilité, et en roseaux, jouant dans ce système de construction le rôle de l’osier dans le clayonnage des corbeilles. La forme de l’embarcation est acquise au débat : Hérodote décrit une couffe semblable à celles qui tourbillonnent sous mes yeux et que représentaient sur leurs bas-reliefs, huit cents ans avant notre ère, les sculpteurs assyriens.
Il y a cependant une différence entre la couffe actuelle et la barque d’Hérodote : l’une est seulement enduite de bitume, l’autre est « couverte de peaux préparées ». Mais, de ce que ces peaux étaient enlevées dès l’arrivée des barques à destination et rapportées à leur lieu d’origine, faut-il conclure qu’Hérodote ait voulu dépeindre le kelek ? Je ne le crois pas. Le dernier des matelots grecs n’eût point employé le même mot pour désigner des peaux apprêtées et des outres gonflées d’air : il eût encore moins parlé de proue et de poupe à propos d’un radeau. Enfin conçoit-on un radeau de forme circulaire ? Comment assemblerait-on en ce cas les poutres et les pièces maîtresses, et dans quel but compliquerait-on à plaisir et sans profit une charpente qui doit par sa nature être fort simple et qu’il est si facile de rendre solide en la faisant sur plan rectangulaire ? En définitive, je crois qu’il faut s’en tenir à la description d’Hérodote sans y rien ajouter, sans en rien retrancher. L’embarcation babylonienne était évidemment une couffe de plus ou moins grandes dimensions, habillée de peaux cousues ensemble, et qu’il était aisé de fixer sur la carcasse ou de détacher quand on voulait vendre les bois. La couffe des bas-reliefs ninivites, sur laquelle on voit se dessiner d’une manière très apparente de grands panneaux carrés, répond de tous points à cette description.
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S'il y avait en Perse, comme en Amérique, des expositions de gens gras, le consul de Turquie remporterait à l'unanimité des suffrages la médaille d'honneur ; encore, quel que soit son module, serait-elle au-dessous du mérite de ce fin diplomate, plus apte à lutter avec les animaux de race les plus perfectionnées, élevées dans le comté d'York, qu'avec des hommes.
L'effendi, trop rond pour pouvoir prendre ses repas à terre, est obligé de faire transporter à l'avance, dans les maisons où il est invité à dîner, une table profondément creusée dans laquelle il incruste son majestueux abdomen, après s'être excusé auprès des convives de cette infraction aux usages. L'Excellence, disent les uns, n'a jamais trouvé un coursier assez vigoureux pour le charrier en une seule fois ; elle a perdu de vue ses pieds depuis de si longues années, prétendent les autres, qu'elle est heureuse de s'assurer, en se regardant de temps en temps devant un grand miroir, qu'un chameau ne les lui a pas volés.

Ce même consul, l'année dernière, fut le héros d'une glorieuse aventure, dont on rit encore dans les bazars de Tauris : il avait voulu se rendre à Constantinople par la voie de Trébizonde, plus facile à parcourir en hiver que celle du Caucase ; ses collègues avaient vainement tenté de l'en dissuader, lui représentant combien il était dangereux de traverser le Kurdistan.
– Les Kurdes, avait-il répondu, sont sujets turcs et trembleront devant le représentant du commandeur des croyants.

Aucune crainte n'ayant pu pénétrer dans ce cœur valeureux, le consul partit avec une quarantaine de serviteurs montés sur de magnifiques chevaux destinés au service du sérail. Mais à peine la petite troupe eut-elle franchi la frontière persane qu'elle fut assaillie par une douzaine de brigands ; toute résistance fut inutile, et les Kurdes s'approprièrent chevaux, bagages, vêtements. Au moment où ils arrachaient la chemise de l'Excellence, la vue des charmes surabondants du diplomate les remplit d'un invincible effroi et ils se sauvèrent à toutes jambes, lui abandonnant ce dernier voile. Faiblesse impardonnable à des hommes de tribus, certains de tailler dans ce large vêtement une tente capable d'abriter une nombreuse famille !

Quant à l'effendi, il prit la chose par le bon côté.
– J'avais bien dit à mes collègues que la majesté du représentant de Sa Hautesse frapperait d'une respectueuse terreur les cœurs les plus endurcis.
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