Alain Jaubert - Sous les pavés
Un bassin aux nymphéas : touches grouillantes, rapides, comme négligées, aléatoires, la saisie d’un instant faite, semble-t-il, en un instant. Deux expériences : de loin, vous fermez les paupières jusqu’au mince filet de lumière, jusqu’à faire disparaître toutes les couleurs, et vous avez, en noir et blanc, une étrange photographie, hyperréaliste. Vous vous approchez et, les yeux ouverts cette fois, vous découvrez de très près, sous les milliers de petites touches de la surface, des milliers d’autres qui ont servi à préparer cette surface. La fabrication d’un instantané a demandé des semaines, des mois de travail.
Avant-propos
La mode en Hollande à l’époque est au rendu soigné des matières et des carnations. Rembrandt, lui, laisse déborder de grands pans de peinture brute. Empâtement, giclée, frottis, grattage…Le peintre s’intéresse à la matière même de ses pigments qu’il sculpte pour générer une texture allusive. La ressemblance ne se fait pas au prix de la patience, du fini, mais dans la vitesse du geste, dans le combat avec la pâte. Les tableaux de Rembrandt montrent la peinture en train de se faire.
Le miroir des paradoxes. Autoportraits. Rembrandt Harmensz Van Rijn (1606-1669)
On ne voit pas avec ses yeux (ou seulement un peu), mais avec sa langue, son oreille, sa mémoire des mots (peut-être bien aussi son odorat). Sans énonciation, pas d’éveil de l’image. Engendrés par des textes, donc, les tableaux engendrent eux-mêmes des textes, à l’infini…
Il a enfin trouvé sa voie, lui, l'orphelin, l’exilé. Etre loin, disparu, oublié, ignoré, sans attaches et, si seulement c'était possible sans souvenirs. Il a trouvé son bout du monde, sa cachette absolue. Il n'est plus rien, il aime la saoulerie vertigineuse de la foule, cet anonymat définitif dans ces tourbillons de gens, cet immense brassage de classes sociales, de costumes pittoresque, de la redingote au burnous, du gibus au turban, les groupes les plus divers de tous ces quartiers, des villages des environs, des centaines de navires en escale, des foules se déversant, se mélangeant, repartant, revenant, se métamorphosant sans cesse, chaque jour, chaque heure. Et lui, perdu au milieu de tous, chantonnant, enfin joyeux, ivre de son invisibilité. Personne ne le connaît, il ne connaît personne, il est libre ... La ville lui appartient.
"Je commence de la même façon qu'un artiste abstrait - bien que je n'aime pas l'art abstrait du tout -, c'est à dire que je commence à faire des taches, des marques et si, tout d'un coup une tache me semble offrir une suggestion, alors je peux commencer de bâtir sur elle l'apparence du sujet que je voudrais saisir. Je voudrais faire des portraits à partir d'éléments qui ne soient pas du tout illustratifs. C'est pour cela que je ne veux pas que les modèles soient présents." Francis Bacon
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
(Arthur Rimbaud - Le dormeur du val)
"(...) Car ce ne sont pas les objets qui sont importants dans un tableau, mais l'expression personnelle de l'artiste à propos de ces objets : pas le quoi mais le comment. Ce que l'artiste attend du spectateur, ce n'est pas un commentaire à voix haute, mais le silence de la réserve. Car ce qui explicable dans une oeuvre d'art est peu de chose ; l'essentiel n'est pas ce qui explicable, mais seulement ce qui est visible." (Lettre à un institut culturel [d'Otto Dix], 1947.) Il nous faut cependant, à l'encontre de la volonté du peintre, tenter de comprendre à la fois le visible et l'invisible
Cette pointe de l'Amérique porte des noms qui en disent long. L'île Désolation, l'île Échouée, l'île Furie, l'île Cachée, l'île Araignée, l'île Veuve, l'île du Diable, […] et encore la baie inutile, la baie de l'attente, la baie de la Dislocation, le golf des Peines, la pointe de la Rescousse, le mont Rouge, le mont Noir, le mont Obscur, le mont Brisé, la plage de la Discorde, Port Miséricorde, Port Refuge, Port Famine et aussi les roches Furies, le cap Rugueux, le récif Périlleux, le banc Serpent, le chenal des Déserteurs, la pointe du Naufrage, j'en oublie, on n'en finirait pas…
Il pense à Thérèse, à Marseille, à la Pologne, il a l'impression d'être embarqué dans une histoire qui le tiens prisonnier, qu'il ne peut maîtriser... A la fois heureux et malheureux. Sa vie est devant lui mais le poids du passé est étrangement lourd.
Que faut-il faire pour être marin ?
- D'abord regarder les autres. Ensuite apprendre les mots, les marins na parlent pas comme tout le monde. Et puis les nœuds, le gréement, les voiles, les vents, les étoiles, les instruments de navigation, compas, sextant, chronomètre, tout le reste... Mais tout ça se fait peu à peu. Après, quand on a l'âge, on passe des brevets, il y a des grades, comme à l'armée ! Il y en a qui vont dans des écoles. On peut aussi apprendre sur le tas, comme on dit.
- Beaucoup de promiscuité, donc ! Moi, j'aime la solitude !
- Oui, "un métier de chien, dit mon ami Baptistin. Et lui s'est retiré. Je crois que les marins aiment surtout les ports et les escales !