Jay Haley

Lorsqu'il s'allie avec l'enfant, il peut s'attaquer directement au problème ou établir une communication indirecte par le biais d'une métaphore. Dans le cas suivant, il parle de certains aspects du contrôle musculaire par rapport à un sujet précis pour pouvoir agir sur un type différent de réaction musculaire. Ce procédé est caractéristique des méthodes d'Erickson : il provoque un changement en communiquant au moyen de comparaisons ou de métaphores.

Comme l'a dit Erickson lors d'un entretien ; "Lorsque vous vous adressez à un couple, vous pouvez demander à chacun des partenaires ce qu'il préfère chez l'autre, mais quand i l s'agit d'un enfant à qui vous posez des questions à propos de ses parents, vous lui demandez ce qu'il n'aille pas."
C'est en s'appuyant sur cette constatation qu'Erickson, de manière très caractéristique, s'allie avec l'enfant contre les parents. Cela ne signifie nullement qu'il considère l'enfant comme une victime ; cela veut dire que c'est la position la meilleure à adopter pour entreprendre une thérapie avec un enfant. Il est possible qu'il s'allie simultanément aussi avec les parents contre l'enfant, parfois à l'insu de celui-ci, mais pas toujours.

Une partie non négligeable du travail que fait Erickson avec les enfants repose sur ce principe de base que les enfants s'opposent naturellement à leurs parents ; ils appartiennent à une génération différente, et les conflits entre générations sont une nécessité inévitable. Ce principe est difficile à admettre pour des gens qui aiment envisager les relations entre parents et enfants en termes d'entente et d'harmonie. Pourtant, si bizarre que cela paraisse, parents et enfants s'accordent bien souvent sur le fait qu'ils ont des intérêts incompatibles.

Il n'est pas rare qu'Erickson emploie l'hypnose pour faire accepter à un sujet une idée qu'il ne peut rejeter, mais dans le cas précédent, il atteignit ce but sans avoir à se servir de l'hypnose et en tirant parti des circonstances de la vie de tous les jours.

Il semble évident que cette technique se fonde sur une orientation hypnotique. Comme le déclare Erickson : "La jeune fille n'avait aucun moyen de rejeter le compliment que je lui faisais à propos de ses pieds, aucun moyen de le mettre en doute. "Si seulement vos pieds étaient assez grands pour qu'ion les voie..." Elle ne pouvait pas me dire que j'étais maladroit, j'étais le médecin de sa mère. Elle n'avait aucune possibilité de me rendre la pareille. Elle ne pouvait rien faire d'autre que d'admettre cette preuve irréfutable de la petite taille de ses pieds."

[Une patiente avec qui il a utilisé une technique assez provocante] me reconnut, me considéra d'un air pensif pendant quelques minutes, puis elle déclara "Je ne sais pas si je vous aime bien ou non, mais en tout cas, je vous suis reconnaissante de ce que vous avez fait pour moi."

La proposition de lui montrer comment contrarier ses parents et ma façon si irrévérencieuse de les mentionner contribuèrent encore davantage à fixer son attention, de telle sorte qu'elle se trouve pratiquement en état de transe.

Dans un cas comme dans beaucoup d'autres, la façon dont Erickson induit une transe peut sembler tenir du miracle tant la réaction est parfois soudaine. Cependant, il faut se garder d'oublier que l'hallucination suggérée par Erickson ne s'était pas produite à la suite d'une remarque isolée. [...] Comme dans la plupart des manoeuvres qu'il effectue, Erickson prépare le terrain avec beaucoup de soin pour la suite des événements. Ce travail préliminaire permet d'envisager un certain nombre de possibilités différentes, de telle manière qu'il puisse faire son choix parmi elles au moment favorable. Il appelle cela "semer" des idées : ainsi, après une période d'indétermination, lorsqu'il décide d'aller dans une certaine direction, les éléments de base sont déjà mis en place.

Pour Erickson, l'hypnose, c'est la façon dont deux personnes réagissent l'une à l'autre. Une transe profonde résulte d'un type particulier de communication entre deux personnes. Considérée de cette façon, l'hypnose ne nécessite pas l'usage d'une série d'ordres répétés, ni que l'on fixe quelque chose du regard, ni que l'on se livre à n'importe quelle autre des multiples procédures traditionnelles utilisées pour obtenir une transe. En fait, Erickson préfère souvent induire un état hypnotique profond soit au cours d'une conversation, soit par un acte soudain et inattendu qui provoque une réaction hypnotique immédiate.

Ceux qui s'inquiètent de ce que les patients sont "manipulés" au lieu d'être traités "de façon franche et honnête" devraient lire cette description avec une certaine attention. Comme Erickson le fait remarquer, à aucun moment il n' a fait de déclaration mensongère au petit garçon. Il aurait été beaucoup moins franc et honnête de le rassurer en lui disant que ça ne faisait pas mal, en essayant de minimiser ce qui était arrivé ou, par d'autres moyens, en l'excluant de la situation sans lui permettre d'y prendre une part active.

.. un modèle de l'approche qu'il utilise à l'égard des enfants ou des adultes. Il commence par accepter totalement le point de vue du patient, comme ici en disant : "Ca fait terriblement mal, Robert. Affreusement mal." Ensuite, il fait une remarque qui n'est vraiment pas rassurante, bien au contraire. Il dit : "Et ça va continuer à faire mal." Nombreux sont ceux qui considèrent ce propos comme un renforcement négatif, ou la suggestion de continuer à souffrir. Pour Erickson, c'est un moyen d'être à l'unisson avec le patient dans un type de relation qui rend le changement possible, et c'est l'objectif qu'il recherche. Une fois ce résultat atteint, il peut proposer l'amorce d'un changement en disant : "Mais peut-être que ça va bientôt cesser de faire mal, juste dans une minute ou deux."

Robert savait qu'il avait mal et qu'il était blessé ; il pouvait voir son sang répandu sur le carrelage, il en sentait le goût dans sa bouche et en voyait la trace sur ses mains. Et pourtant, poussé par le narcissisme qui existe en tout être humain, il désirait que son malheur soit reconnu et plus encore qu'il en résulte un certain réconfort. Personne n'a envie d'avoir un petit mal de tête de rien du tout ; s'il faut avoir mal à la tête, autant que la victime de cette douleur tellement atroce soit seule capable de l'endurer. L'orgueil humain console et réconforte de si étrange garçon !

Trop souvent en hypnothérapie, ou à propos d'une quelconque utilisation de l'hypnose, on a tendance à insister exagérément sur ce qui est évident et à renouveler sans nécessité des suggestions déjà acceptées, au lieu de créer une situation d'attente qui permette aux réactions attendues de se produire. Tous les boxeurs connaissent bien les inconvénients d'un entraînement trop poussé, et tous les vendeurs savent qu'il ne faut pas trop en faire. Les mêmes risques inhérents à la nature humaine existent dans l'application des techniques hypnotiques.

En hypnothérapie appliquée à la pédiatrie, le problème de loin le plus important est celui de parler au patient de manière qu'il soit d'accord avec vous et reconnaisse que vous saisissez intelligemment la situation selon ses propres critères.

Le docteur Erickson utilise aussi l'hypnose avec les enfants, mais il faut bien préciser qu'il ne s'agit pas de la forme habituelle de l'hypnose. Il n'induit pas une transe de façon formelle, mais en utilisant le propre langage de l'enfant, ce qu'il considère comme une des façons de pratiquer l'hypnose.

L'importance fondamentale du "jeu" dans la thérapie d'Erickson devient tout à fait évidente dans la façon dont il travaille avec les enfants, mais il ne s'agit pas de thérapie par le jeu au sens où on l'entend habituellement. Comme pour les adultes, son objectif n'est pas d'aider un enfant à découvrir ce qu'il ressent envers ses parents ou ce que signifient pour lui certaines choses ; l'objectif d'Erickson, c'est de provoquer un changement ; le "jeu" constitue un moyen de provoquer ce changement.

Erickson a mis au point un certain nombre de procédures de traitement applicables aux problèmes des enfants. Certaines fois, c'est avec les parents qu'il entreprend un traitement ; d'autres fois, c'est avec les parents qu'il entreprend un traitement ; d'autres fois, il se contente de leur demander de coopérer avec lui d'une certaine façon ; dans de nombreux cas au contraire, il exclut les parents du traitement, et surtout il forme avec l'enfant une coalition à la fois contre les parents et le monde extérieur.

Ce cas constitue un exemple très significatif parce qu'il montre qu'un traitement peut être étonnamment rapide si l'on adopte le principe prôné par Erickson qui consiste à prendre pour but dans l'immédiat le résultat que l'on recherche à long terme. [...] Comme objectif ne peut être atteint tant que les conditions d'existence ne sont pas adaptées, la difficulté consiste à rendre le contexte plus normal. Pour changer le contexte social, il n'est pas nécessaire de traiter chaque membre d'une famille en les réunissant tous, comme le préconisent certains défenseurs de la thérapie familiale.

Une procédure thérapeutique comme celle-là soulève la question de savoir si l'on a vraiment résolu le problème, même si la mère semblait maintenant normale. Que cachait ce symptôme, et que réservait l'avenir ? La jeune femme continua à se comporter normalement, et le bébé devint un enfant heureux et en bonne santé (comme il l'avait d'ailleurs été aussi à l'époque où sa mère manifestait des troubles). On ne sut jamais ce que "cachait" ce symptôme.

Avoir fait un séjour en hôpital psychiatrique constitue une sorte de tare qui peut infléchir le cours normal de l'évolution du mariage ; quant au traitement, il peut cristalliser le problème qu'il est supposé résoudre.