Jean-Baptiste Dethieux était l'invité du "18h30" sur France 3 Occitanie, le 1er juillet 2022, pour la parution de son livre "La joie simple" (L'Alchimiste, 2022).
et homme repartit comme il était venu, comme une apparition flottante laissant dans son sillage ce poison qui, au lieu du sang de vie, coulait à présent dans mes veines. Je m’affaissai. Pour je ne sais quelle raison, l’amnésie était devenue une reine mère régentant ma vie. Et par conséquent, je ne pouvais que me désespérer de l’oubli attendu. Je savais dans l’instant. Demain, en me réveillant, je ne saurais probablement plus… J’étais enchaîné à cette répétition mortifère. Mon royaume était celui de l’oubli et j’aurais tout donné pour m’endormir et ne plus jamais me réveiller, si ce n’est le besoin furieux de faire la lumière sur la disparition de ma femme et de ma fille.
Quant à moi, je compris, peu à peu, qu’il fallait faire le deuil d’une vie heureuse, que le bonheur était une histoire à dormir debout.
(...) il eut mieux valu regarder Jeanne, car c'est bien dans le regard de ses parents qu'un enfant naît véritablement. Au lieu de quoi, nous étions toujours en position de guetteurs. Surveiller l'arrivée de dangers lorsque, le plus souvent, c'est par la seule direction inquiète de nos regards qu'ils arrivaient et nous sautaient dessus. (p. 120-121).
Je dormais. Mon amie la bouteille avait rendu l’âme hier soir et je tentais péniblement de secouer les neurones paresseux, les seuls pouvant encore répondre présents. L’armée déchue se réveilla et cette troupe de fantassins de cirque s’ébroua pour commander à mes jambes de se lever, malgré ma volonté ou plutôt mon manque de volonté.
Fou, je l’étais car hospitalisé, protégé de je ne sais quel danger par les hauts murs de l’enceinte de la clinique spécialisée. Depuis quand, je ne savais, car le temps prenait la tangente et s’enroulait sur lui-même comme une corde qui me narguait… Celle-là même qu’ils avaient réussi à me confisquer de crainte qu’elle ne se resserre autour de ma gorge afin de me délivrer de cet enfer vide de sens.
Au fond, je n'aspirais qu'à une seule chose : me fondre dans la masse indifférenciée des parents qui s'amusent tranquillement des progrès de leurs enfants en les regardant grandir comme des herbes folles. (p. 117)
« C’eût été trop beau. Mais je voulais croire, sans me le dire véritablement, que toute la beauté n’avait pas quitté le monde »
Et si l’échelle du temps avait cédé la place à un calendrier capricieux soumis au régime de l’amnésie et de la folie ?
Au fur et à mesure de mon avancée, les parties boisées gagnaient du terrain jusqu’à borner l’autoroute et me donner le sentiment d’être un Moïse soulevant les flots de part et d’autre de son passage. Et si les arbres de plus en plus hauts s’abattaient sur moi ?
Et pourtant, ma main, oubliant toute obligation de réserve et d’obédience à ma tête, glissa sur le clavier pour les ouvrir un à un… A chaque fois, cette même photo, sans aucun texte accompagnateur, me sautait au visage. J’y voyais, perdu dans la brume de cette forêt menaçante, cet homme de dos, encapuchonné. Puis, avançant dans la découverte des derniers messages, je me rendis compte que ce dernier amorçait d’une photo à l’autre un mouvement. Il me semblait à la fois se retourner et commencer de tendre le bras en indiquant une direction. Les dernières photos reçues dans la nuit me glacèrent…