Jean-Charles Pichon

Le mythe est un cadre mental ; s’en arracher réclame plus que la volonté, plus que la connaissance des autres mythes : le phénomène proprement divin de la Révélation.

Négligeant le Sagittaire, ce sont ces deux divinités : A-llah et Ka’aba qu’un solitaire va choisir pour base d‘une religion nouvelle : Mahomet. En quarante ans de méditation, il y adjoint d’une part le Soleil et le Génie des ténèbres, le djinn, d’autre part la Vache faiseuse de miracles –et reconstitue ainsi, à deux exceptions près (l’Arbre et la Vierge), l’antique panthéon chaldéen.

A la dialectique théologique : monothéisme/panthéisme se juxtapose ainsi la double conception que les deux branches de l’Islam se feront de Mahomet : soit le terme, l’aboutissement des prophéties passées (par la révélation du Dieu unique), soit le premier prophète d’une longue suite (créable) de structures ou de noms divins.
Dans l’acception du prophète lecteur, l’évolution de l’humanité va du messianisme vers l’Histoire : après la Bible, les Evangiles et le Coran, il ne peut plus survenir que des événements : les califats successifs, ou la succession des peuples, arabes, égyptiens, persans, turcs, qui se reconnurent dans ces califats.
Dans l’acception du prophète créateur, l’évolution de l’humanité va de l’Histoire vers le messianisme : l’événement cesse d’avoir quelque importance en regard du futur avènement […].

Le Coran est unique et l’œuvre d’un seul homme. D’où, son mystère. D’où, la dialectique qu’il impose : fut-il vraiment l’œuvre de cet homme ? Ou ne lui fut-il pas inspiré ? Fut-il une création ou une lecture ?

Il apparaît alors que toutes les successions mythiques présentent plus d’intérêt que leur formulation. Car, si les vocables changent, la succession demeure identique dans toutes les grandes légendes anciennes, toutes les théogonies d’Hermopolis et de Thèbes, de Kish et de Warka, de l’Inde et de la Chine, toutes les symboliques –ésotériques ou non.

Selon que nous venons du nord et marchons vers le sud ou que nous venons du sud et marchons vers le nord, selon que nous quittons un lieu, un être, une habitude, ou allons pour les retrouver, tout est noir et tragique : nous voudrions pleurer –ou bien la vie est belle et simple : un rire se forme en nous.

Peut-être, cependant, le temps où nous vivons marque-t-il un tournant sans exemple dans le livre. Car, au-delà de la surate 68, il n’y a plus de Lettres, il n’y a plus de Signes.
Puisqu’il n’y a plus de Signes, il n’y a plus d’Histoire.

Dix Justes avaient sauvé Sodome […]. Où trouvera-t-on, demain, dix « innocents », dix hommes qui ne seront pas « pour quelque chose » dans l’entropie de l’univers, fût-ce par la possession d’une voiture automobile ?

Nous savons aujourd’hui qu’un organe malade irradie de la chaleur, tout comme une vive passion. Et nous imaginons le prodigieux retour à l’espace de chaleur et de particules élémentaires qu’est une explosion atomique.

D’ici un siècle, tous les peuples du monde se seront ouverts aux réalités scientifiques. La révélation des deux flèches du temps les contraindra sans doute, alors, à une humilité de caractère sacré, où deviendra de nouveau possible (et nécessaire) la soumission à Dieu. Or, l’algèbre mythique contenait cette prévision.

Le temps de présence de Dieu excède nécessairement le temps du Royaume, comme le jour excède la lumière de midi.

Les Occidentaux raillent cette conception du monde [de l’idéal socialiste] ; cependant, c’est la leur. Elle s’exprime dans la Critique (toutes les critiques) dont l’objet n’est pas de dire si ce film ou ce roman existent, mais s’ils peuvent être reçus de la collectivité. […] Elle s’exprime dans la Publicité dont le slogan le plus payant est –sous mille formes : « Faites cela, tout le monde le fait ! » Elle s’exprime surtout dans notre adoration pour l’Image (photo, film, télévision) et dans la foi irrationnelle mais absolue que l’Image reproduit exactement l’être, l’ambiance, l’évènement qu’elle figure.»

Le héros symbolique de Nietzsche [Zarathoustra] serait ainsi comparable à la Flamme (destructrice mais parfois éclairante) ou bien, puisque le Verseau est un signe d’Air, à ce quatrième état de la matière, Air-Flamme, que les astrophysiciens appellent aujourd’hui le « plasma », nœud d’énergie vivante dans le désert cosmique.

Charles Perrault, Mme d’Aulnoy, les frères Grimm, Andersen : tels sont les Européens qui, de 1650 à 1800, ont maintenu la vraie tradition : celle des fables et des légendes, c’est-à-dire des mythes et des dieux.

[L'éveil du Dieu poissons -200; +200]

Toutes ces croyances se recoupent en deux points : 1°) Christ ou Krishna, le dieu sera fils d’une Vierge ; 2°) Jésus, Saoshyant, Esaü ou Josué, Il sera le ressuscité.
Egalement, Il sera lié à l’élément marin : le Léviathan de Job, le Poisson de Tobie, la Baleine de Jonas l’annoncent –et le bain salvateur de Khrishna, de Siegfried ou de Cuchulainn.

Une décadence mythique, puis éthique, accompagne nécessairement le progrès scientifique et technique.

[...] ils prétendent par leur science pouvoir créer le dieu et ne voient pas que leur science elle-même n’est qu’un mythe, un élément de l’algèbre universelle, utilisable au même titre que tous les autres.

[Gilgamesh] dévorait des viandes énormes, saignantes, absorbait des tonneaux de bière et voulait, chaque soir, une vierge dans sa couche. Par ce goût immodéré de la jouissance, le héros taurique succède au héros solaire ; partout où nous le retrouverons, l’instinct de création ne sera pas loin.

Un seul homme à l’époque, peut-être, a une notion précise de ce que serait un dieu d’Eau en ses trois composants : le Savoir, l’Intuition et l’Amour –un dieu de compréhension. C’est le maître des Dialecticiens, Socrate. Mais il faudra Platon pour que soit révélée la faveur prophétique sous l’ironie soigneuse. Il faudra le christianisme pour que le « démon » de Socrate recouvre son vrai nom : le dieu secret de l’Obscur, l’Inconscient nourricier.

A la limite, l’homme se trouve vivre dans un univers hermétique où toute affirmation entraîne sa contradiction, où rien n’est sûr, connu, prouvé. C’est alors que l’expert, le savant, le chercheur, constatent l’inanité de leur première prétention. Ils ne croient plus en un Pouvoir illimité de l’homme sur la matière, en une Vérité unique ou en une valeur absolue du Témoignage. Ils admettent l’existence des différents pouvoirs, de diverses vérités, d’observations parfois contradictoires. Ils en reviennent, de gré ou de force, à l’hypothèse de plusieurs puissances, de plusieurs principes, de plusieurs structures simultanées et, finalement, à l’hypothèse des dieux.