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Citations de Jean-Claude Milner (15)


Mécontentement et rancune de tous contre tous, voilà qui décrit assez bien l'humeur des Français. Les décideurs n'ignorent pas la situation, puisque, d'un commun accord, on les en tient pour responsables. Aussi se sont-ils forgé quelques maximes : une décision qu'on ne prend pas vaut toujours mieux que n'importe quelle décision qu'on prendrait ; les bénéfices qu'on retire d'une promesse ne durent qu'aussi longtemps qu'on parvient à ne pas la tenir...
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Quelle puissance jugera , dans l'ordre des ignorances, ce qui est utile ou inutile? L'Etat?On retrouve alors la pire des choses: l'ignorance érigée en soutien d'un pouvoir. Une telle figure a un nom dans l'histoire: c'est l'obscurantisme.
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Dumbledore, devenu presque inhumain à force d'humanisme, apparaît impitoyable dans ses calculs, utilisant sans restriction les capacités qu'il a reconnues en chacun. Rogue est impitoyable à l'égard de lui-même, au point de s'acharner à se faire détester et mépriser. Hagrid seul peut maintenir en Harry Potter ses vertus naturelles.
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Aussi n'y a-t-il rien de plus déplacé que la question qui fleurit sur toutes les lèvres:"A quoi sert-il d'enseigner telle chose?" , parce que cette question implique qu'il peut être inutile de la savoir.Or, ce n'est pas là le bon point de vue: il peut se faire qu'il ne soit pas utile de savoir une chose, mais ce qui est sûr, c'est qu'il est toujours et sûrement inutile de l'ignorer.(…)Il suffit que nous ayons à rencontrer ce que Flaubert appelait le "pédantisme de l'ignorance", le mépris à l'égard de tout ce qui se présente comme savoir, à quoi l'on préfère une disponibilité polyvalente, nommée souvent intelligence.Il y a le mépris des savoirs que l'on maîtrise, lequel naît de la modestie, il y a le mépris des savoirs que l'on ne maîtrise pas, lequel vient de la vanité.
Il y a aussi le mépris des savoirs que l'on ne maîtrise pas au nom de sa propre absence de savoir: c'est l'ignorantisme militant.Il se déploie largement aujourd'hui dans les cercles qui s'occupent de l'école.
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" N'oublions pas que de 1914 à 1962, l'ombre de la guerre n'a cessé de peser. Deux guerres mondiales en moins de trente ans, relayées par des guerres coloniales (Rif de 1924 à 1926, Indochine de 1946 à 1954, Algérie de 1954 à 1962, le décompte est indulgent). N'oublions pas que de 1954 à 1962, n'importe quel appelé de vingt ans savait que, tôt ou tard, il pouvait aller se faire tuer. Les sursis pour études retardaient le moment fatidique pour la petite bourgeoisie intellectuelle ; ils ne l'annulaient pas." (pp. 70-71)
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"J'affirme que Mai 68 et le gauchisme ont été l'affaire de la petite bourgeoisie intellectuelle et de personne d'autre. Ni des banlieues, ni des pauvres, ni des syndicats, ni des ouvriers et j'en passe; ils sont venus à la suite, en supplétifs. Pour une fois ou comme souvent ? La question se pose ; elle se pose en tout cas pour la France. J'affirme que parmi les épisodes qui ont rendu possibles Mai 68 et le gauchisme, les plus importants concernent la petite bourgeoisie intellectuelle. En cela, je me tiens à une position généralement acceptée. J'affirme aussi que ce n'est pas une raison pour mépriser ni Mai ni le gauchisme. En cela, je m'écarte d'un consensus. Que ce soit chez les amis de Mai et chez les adversaires de Mai, chez les amis du gauchisme et chez les adversaires du gauchisme, le sempiternel grief résonne, modulé tantôt en gémissement tantôt en ricanement : «Jamais, ils n'ont rejoint les ouvriers.» Et alors? Il faudra pourtant qu'on s'y fasse ; pendant un temps, la petite bourgeoisie intellectuelle a dit et fait, par elle-même, des choses intéressantes. Éphémères peut-être, absurdes, criminelles parfois, restreintes sûrement, mais intéressantes." (p.8-9)
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La vérité du courage lui sera révélée par celui qu'il tenait pour l'incarnation de la lâcheté. A l’extrême fin du récit, s'adressant à son fils, il conclut sur un hommage : Severus Rogue était l'homme le plus courageux qu'il ait rencontré. La brièveté du propos résume un renversement des points de vue. Chez la plupart et notamment chez les très jeune gens, le courage aime à être reconnu. Harry ne fait pas exception. Tout au long du récit, le courage chez lui ne va pas sans sa récompense : l'admiration de tous. Maintenant que les destins se sont accomplis, il a appris l'existence d'une autre forme, plus risquée, plus douloureuse, plus profonde peut-être, où le courage accepte d'être méconnu. La récompense du courage réside dans le courage lui-même.
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Nous n’avons pas à légiférer sur le jeu de l’acteur. Cela signifie entre autres que d’une diction conforme aux principes de ce traité ne se déduisent ni les gestes que l’acteur fera, ni la façon dont il jouera, ni le sentiment qu’il mettra, et encore moins l’art de le diriger, ou de mettre en scène. Ce point n’est pas trivial, parce qu’il existe une thèse explicite ou implicite selon laquelle la diction ou la déclamation du théâtre classique français est à elle seule le jeu même. À la différences des théâtres élisabéthain, espagnol, allemand ou russe, le théâtre classique français, à cause de son vers strict, rigide, contraindrait donc jusqu’au jeu de l’acteur. On opposera alors, selon le cas, le jeu pratiqué dans une époque particulière de la Comédie-Française à la liberté de l’acteur shakespearien, au réalisme de l’acteur de Tchekhov, à la science de l’acteur brechtien, etc.
Louis Jouvet, le seul à avoir donné de façon articulée vraisemblance à cette thèse, est, lorsqu’il est lu, à cet égard mal compris. Certes, on trouvera nombre de cours de lui donnés au Conservatoire de Paris où il semble supposer que dire, c’est jouer : « L’acteur croit nécessaire de donner du sens à ses répliques, alors que le texte a assez de sens en lui-même. » Ou : « Ce n’est pas de la passion, la tragédie, c’est d’abord du vers. » Ou encore : « Avant de commencer cette scène [d’Alceste], je vais te prodiguer un dernier conseil : ne le joue pas. Tu ne vas pas le jouer, tu vas le dire tout simplement, dans le mouvement qui est dans le texte, sans y mettre d’intention » et « Le théâtre, c’est d’abord un exercice de diction. »
Il faut remarquer d’abord qu’il s’exprime ainsi devant des élèves de Conservatoire et qu’on n’a pas la preuve qu’il mît ainsi en scène. Mais si on y regarde à deux fois, le nouage complexe qu’il établit entre ce qu’il appelle la phrase, le sentiment et la respiration, allant jusqu’à des énoncés expressément contradictoires (le sentiment précède la diction, la diction précède le sentiment), n’implique nullement que dire et jouer soient une seule et même chose. Ni non plus que le jeu s’ajoute à la diction comme un supplément ou un ornement. Ce qu’il appelle le sentiment – terme pour lui essentiel, mais peut-être en même temps si dénué de sens que c’est e terme qui explique les autres et qu’il en est comme l’axiome indéfinissable -, le sentiment doit impliquer la technique. Ce sont donc des termes qui s’affaiblissent et s’opposent dès qu’on les sépare, et qui se renforcent dès qu’on les associe.
Sans doute en va-t-il de même dans toute théorie non romantique du jeu de l’acteur (celle qui ne met pas en avant : éclats, expressivité, hystérie, excès, cruauté, etc.), c’est-à-dire dans toute la théorie du jeu qui prend sa langue en compte, que ce soit l’anglais, l’espagnol, l’allemand, l’italien, l’indien ou le japonais. La pire diction est bien en un sens celle qui, séparée du jeu, se suffit à elle-même et jouit d’elle-même. Un tel point de vue entraîne à juste titre les acceptions péjoratives qui s’attachent d’ordinaire aux mots : diction, déclamation, récitation, etc. Le bon point de vue est donc celui selon lequel le jeu – dont nous ne disons rien – se lie à la diction de la même façon que le vers est homogène à la langue : ni totalement séparable d’elle, ni entièrement déductible à partir d’elle.
Dans le texte de Louis Racine cité au début, on note que Racine, metteur en scène de la Champmeslé, en somme, lui indiquait non seulement comment dire les vers, mais aussi quel sens il leur donnait et de quels gestes les accompagner. La diction n’était donc qu’un élément de sa « direction ». C’est l’indice que, même à une époque où, selon les uns, la direction d’acteur n’avait pas pris l’ampleur qu’elle a au XXe siècle, où, selon les autres, la mise en scène n’existait pas du tout – peu importe ici -, l’art de l’acteur pouvait ne pas se borner à bien dire. Au demeurant, le vers alexandrin n’était pas pas le problème principal de Racine, de Corneille, ni des classiques en général, pour la raison qu’ils héritaient du vers de Malherbe (et même de celui de Ronsard et de la Pléiade), dont la pratique et la théorie étaient déjà éprouvées. Aussi dans leurs Préfaces, Examens et Dédicaces, les voit-on plutôt occupés de questions qu’on dirait de dramaturgie : déroulement de la fable, traitement d’un sujet, motivation des personnages, questions métaphysiques.
L’art de l’acteur ou du metteur en scène se nourrira d’autant plus librement de tels textes que leur pratique se sera rompue à la diction même. Nous ne sommes donc restés qu’à l’entrée des artistes.
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Dire le vers, c’est faire entendre le vers comme vers, c’est-à-dire manifester par la voix les marques qui l’opposent au non-vers. En français, ces marques sont de trois sortes : le décompte des syllabes – douze dans l’alexandrin -, la rime, l’accent. Leur substance est entièrement homogène à la langue : les syllabes que le vers décompte, l’homophonie qui définit la rime, l’accent qui détermine un rythme, tout cela dérive de notions et de règles que la théorie générale du français doit de toute façon définir, qu’elle se préoccupe ou non du vers. Comme la partie de la théorie qui donne les définitions requises s’appelle la phonologie, on dira que les marques distinctives du vers sont, du point de vue de leur substance, de type phonologique. La différence qui sépare le vers de la prose se résume donc ainsi : une manière particulière d’appliquer des règles phonologiques générales.
En vérité, le vers a une nature double. D’une part, il a sa phonologie propre qui le caractérise comme vers, mais, d’autre part, il suit la phonologie générale de la langue. D’où une contradiction éventuelle : bien que les règles caractéristiques du vers soient homogènes à des règles générales de la langue, elles n’en sont pas moins distinctes. Le fait que, dans un vers, les unes et les autres subsistent côte à côte peut créer des conflits. Or, il ne faut céder ni sur le vers ni sur la langue. La tâche majeure de la diction sera donc de découvrir la meilleure stratégie qui permette de sauvegarder à la fois les deux types de règles. Il peut arriver qu’il y ait contradiction absolue. Même alors, il faut dire le vers. En d’autres termes, il faut trouver une stratégie de transaction. C’est pourquoi la diction n’est jamais en termes de tout ou rien ; bien au contraire, elle détermine des degrés de réalisation relative ; en un mot, elle est scalaire.
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Est juste, aux yeux des peuples, une législation qui permet à chacun d'inscrire sa singularité, c'est-à-dire justement ce qui le fait distinct de tout autre.(…) une politique digne de ce nom doit garantir à chaque sujet le droit et les moyens d'accomplir, autant qu'il est en lui, le désir qui l'anime.(…) dans notre sociéte qui calcule et mesure, il incarnera volontiers l'instant de son propre accomplissement sous les espèces de l'excellence.(…) Or les excellences sont incommensurables les unes aux autres. Cela signifie qu'aucune ne blesse aucune autre(…)
Toute loi qui, organisant l'école, bafoue le droit à l'excellence et borne, en fait et au principe-l'exercice de la faculté de savoir est donc sans fondement politique: elle est, eût dit Robespierre, essentiellement tyrannique et injuste.(…) il faut être clair:le principe de l'école, le seul qui lui donne un sens est le suivant:
aucune ignorance n'est utile.
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Mais peut-être faut-il pour s’en apercevoir suspendre un instant les pouvoirs de la Réalité, c’est-à-dire, un instant, cesser de s’autoriser de quelque Maître-mot que ce soit, pour ne s’autoriser que de soi-même. Or peu en sont capables, et surtout pas les verbalisateurs, dont les mots après tout font la subsistance. Aussi partagent-ils eux-mêmes le mépris où on les tient, quitte à s’en soustraire individuellement par un appareil d’excuses et d’esquives : que les autres soient abandonnés à leur indignité, soit, mais que moi, du moins, j’en sois excepté, puisque, à la différence de tous, le mot que je prononce mérite d’être compté comme un nom adéquat de la Réalité, ou, ce qui revient au même et, du reste, est plus élégant, de sa propriété décisive.
Dès lors, semblables à des animaux dévorants, les maîtres ou candidats-maîtres s’attachent à diviser le Maître-mot et à s’en approprier le lambeau le plus saignant. Chiens de garde, animaux intellectuels, vaches sacrées, singes savants, mais aussi, pourquoi pas, rats et vipères, loups et moutons, porcs lettrés, le vocabulaire de l’animalité est ici récurrent. Et cela, non sans cause : ce qui est visé par la satire, en effet, ce n’est rien de moins que le langage même. Tout énoncé qui se profère s’autorise d’un Maître-mot, et si tout Maître-mot est dévalué, aucun énoncé ne sera valide. Ce mépris qui articulait l’un à l’autre tous les ensembles dicibles, il s’étend alors à tout ce qui se dit ou plutôt au fait même que l’on dise : c’est l’être parlant, comme parlant, qui est atteint. Il est superflu et risible de dire quoi que ce soit, dit la satire, d’où il suit qu’en toute occasion on n’agit jamais qu’en animal muet.
La satire, pourtant, reste toujours courte. Car, si risibles qu’ils soient, si persuadés eux-mêmes de leur propre animalité, les maîtres, bavards ou non, peuvent toujours compter dans leurs rangs celui ou celle ou ceux par qui quelque rencontre arrive. La synonymie rêvée qui les qualifie, on sait aussi qu’elle est, à l’occasion, réelle. C’est pourquoi il faut prendre garde au ricanement, trop prompt à insinuer que tous les maîtres sont petits, que tous les mots sont vains et que la vérité n’existe pas.
Tout de même que certaine scénographie peut se détacher du fantasme et cesser de représenter le Lien sauvé, de même il arrive que tel sujet qui passe (ou ne passe pas) pour un maître profère un mot, ancien ou nouveau, avec un accent de vérité. Alors, pour un instant, la dispersion s’installe et les pouvoirs du Maître-mot apparaissent suspendus : l’énoncé qui se profère, ne s’autorisant plus d’aucun autre, ne s’autorise que de lui-même.
Certes, l’inexorable effet des synonymies demandées et des homonymies subies fera que, par cette profération, le mot nouveau pourra être, au second temps, validé comme un nouveau Maître-mot et celui qui l’a dit, comme un nouveau maître. Cela peut ne pas aller sans tragédie pour le sujet : à peine pointé un réel dispersant, cela même qui le nommait désormais réssemble et colle ; le sujet qui, en tant que sujet, l’avait proféré et s’y était inscrit se découvre alors irrémédiablement bâillonné et pris aux rets du Lien continué : d’où suit, en quelque circonstance éternelle, la nécessité des dissolutions qui répètent, en la renversant, la loi d’un monde réaliste et synonymique.
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La distinctivité du réseau se trouve alors investie par les requêtes de la communication absolue et efficace : une langue où tout se dirait, de tous à tous, et sur toute chose, en toute occasion. On sait que Leibniz en rêva et en parla, mais n’en rêvent pas moins certains qui n’en parlent pas : logiciens, mathématiciens, philosophes – depuis surtout que l’on a sous les yeux un discours organisé suivant la même homonymie : l’économie marchande. Là, en effet, l’Un de l’objet matériel se trouve capté par l’Un symbolique du numéraire, suivant des voies qui n’avaient pas attendu Marx pour être opérantes. Dès lors, la monnaie devient la figure la plus achevée de la langue, et la libre circulation des marchandises dans le monde se propose comme un idéal, obscurci seulement par les hasards de l’histoire et les passions des hommes. Il est structural qu’une semblable figure émerge dans les lieux et dans les temps où se concentre et s’atteste l’équivalence du marché et d’un monde, et non pas moins les ordres politiques libéraux qui convertissent toute homonymie des Uns en synonymie : démocraties antiques ou libéralisme bourgeois.
L’accolement de la langue idéale, comme point à l’infini, et d’une langue de réalité, confère à cette dernière tous les prédicats, perfection, clarté, universalité, qui sont la menue monnaie de la synonymie des Uns. On les lui croit volontiers intrinsèques : il suffit de parcourir la succession qui du latin a mené au français, puis à l’allemand, puis à l’anglais, pour savoir, sans nécessairement en être persuadé, qu’il n’y a là rien que d’extrinsèque et de contingent. À chaque fois quelques traits de réalité peuvent être invoqués : ainsi entendra-t-on vanter l’exactitude de l’une, la précision et l’élégance de l’autre, la richesse surabondante de la troisième, la brièveté de la quatrième. Le vrai, c’est qu’il y a toujours quelque chose de ce genre à faire valoir, mais que de là nulle conséquence ne suit, car toute langue est parfaite, toute langue est distincte, toute langue est universelle – sauf que, dans une conjoncture de réalité donnée, une seule l’est.
Dans une succession si bien attestée, les temps présents se distinguent pourtant sur un point : il n’y a rien de nouveau, il est vrai, à ce qu’une langue particulière se soit accolée au point idéal. Il n’y a rien de nouveau à ce que cette langue en retire des privilèges d’autant plus efficaces dans la réalité qu’ils sont entièrement imaginaires. mais l’inédit, c’est que, plus décidément que jamais auparavant, la langue idéale se propose comme ce qui doit dispenser de toute langue. « Les langues sont un mal », murmure-t-on, puisqu’elles offusquent par leurs accidents la transparente synonymie des Uns, et l’Univocité qui s’en fonde. Ce qu’on rencontre au point idéal, étant saisi comme cette transparence sauvée, est aussi saisi comme la mort des langues, désormais inutiles. Or, il est symptomatique que ce soit la langue anglaise, entre toutes langues, qui se soit appropriée à une telle fonction, puisqu’elle est la langue disparaissante par excellence : Joyce en a marqué la fin, et simultanément les talkies et le journalese, qui témoignent de l’atomisation de l’anglais en jargons. Mais, de cette mort journalière, dont chaque sujet, anglophone ou non, se fait l’agent, il ne faut pas sourire : ce qui s’y dit et accomplit, c’est le secret funèbre du monde moderne : la haine de lalangue, ou le regret irrité que les hommes soient parlants.
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Mais il arrive qu’au lieu d’un pur signifiant, quelque incarnation, à cette place, se propose : un individu ou un appareil. Source des discriminateurs, ils s’en réservent l’usage et la maîtrise, accomplissant deux effets contradictoires : maintenir le principe des Indiscernables comme principe suprême de toute Réalité, et abandonner à tous, excepté eux-mêmes, un monde livré à l’indiscernabilité. Nécessairement infaillibles, puisque d’eux seuls procède le départ ultime entre ce qui compte pour faute ou non, leur activité de prédilection est de faire valoir des différences là où les simples voyaient des ressemblances, et de mettre dans le même sac ce qu’on aurait cru séparé. Le Chef, le Parti, Al Capone, Tante Léonie, tous les petits leaders ont là leur position définie : ils n’ont rien d’autre à faire que de déconcerter les raisonnements et les attributions, de refuser les déductions les mieux fondées au profit des non sequitur les plus patents, sans s’interdire pourtant, en quelques circonstances, de suivre les consécutions ordinaires. Le point est, en toute occasion, de n’être pas là où le subordonné les attendait. On reconnaît la structure de l’autorité et des dominations, et le caprice qui détermine tout sujet pour peu qu’il ait donné à la place du discriminateur des traits individués : les siens propres quand il s’agit de commander, ceux d’un autre quand il s’agit d’obéir.
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Il y a trois suppositions. La première, ou plutôt l’une, car c’est déjà trop que d’y mettre un ordre, si arbitraire qu’il soit, est qu’il y a : proposition thétique qui n’a de contenu que sa position même – un geste de coupure, sans quoi il n’est rien qu’il y ait. On nommera cela réel ou R. Une autre supposition, dite symbolique ou S, est qu’il y a de lalangue, supposition sans laquelle rien, et singulièrement aucune supposition, ne saurait se dire. Une autre supposition enfin est qu’il y a du semblable, où s’institue tout ce qui fait lien : c’est l’imaginaire ou I. (…)
On entend en particulier par les trois propositions ceci : que rien ne saurait s’imaginer, c’est-à-dire se représenter, que de I, rien ne saurait exister que de R, rien ne saurait s’écrire que de S. Rien, c’est-à-dire pas non plus la supposition homonyme : ainsi l’imaginaire ne s’imagine que de l’imaginaire, le réel n’existe que du réel, le symbolique ne s’écrit que du symbolique. On reconnaît dans cette dernière conséquence l’axiome qu’il n’y a pas de métalangage. Il apparaît ici comme le cas particulier de la loi générale des suppositions. (…)
Face à S qui distingue et à I qui lie, R est donc l’indistinct et le dispersé comme tels : ce que, dans son langage bivalent, Freud opposait comme Thanatos à l’Éros de la liaison. (…)
Que les ronds soient indestructibles tous trois de la même manière, cela peut s’imager en disant qu’ils sont noués. À quoi l’on ajoute qu’ils sont noués borroméennement. On sait ce que cela signifie : qu’il est impossible – c’est le réel du nœud – de défaire un des ronds, sans que, du même coup, les deux autres – ils sont distinguables : c’est le symbolique du nœud – soient libérés. Par là, s’image pour la représentation – c’est l’imaginaire du noeud – ceci que rien n’existe comme réel qui ne doive comme tel s’écrire – au point qu’y vaille l’impossible à écrire -, et se représenter – au point qui vaille l’irreprésentable.
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Sans doute, il convient de tout chercher à savoir sur l’art passé de dire le vers. Mais on y découvrira, par les témoignages documentaires, qu’à chaque période, on n’a jamais fait que savoir la langue. Il est arrivé qu’on ait cru découvrir des secrets de diction ; c’étaient, au vrai, des règles de la langue qu’on n’avait pas su reconnaître pour telles. Car on ignora longtemps ces règles ; en revanche, on n’était pas toujours romantique et l’on croyait parfois aux règles de l’art. Qu’il y eût des genres et des formes, tous ne se hâtaient point d’en douter. Quoi de plus explicable si, par une méprise trop excusable, les règles linguistiques ne furent saisies que sous un déguisement artisanal ? Mais la méprise aujourd’hui ne saurait continuer. Plutôt que de se faire antiquaires fictifs, il convient que les modernes, comme les anciens et plus exactement qu’eux, se confient à la seule régulation qui vaille : la langue.
Or, qui dira le vers ? Tout le monde, c’est-à-dire personne, s’il n’y a pas d’acteurs. Aussi faut-il penser à eux. De là suit qu’il faut penser au vers de théâtre, c’est-à-dire, essentiellement, à l’alexandrin de Corneille et de Racine. Il est possible que tout se déduise de là : qui dira bien l’alexandrin du théâtre classique saura peut-être dire toute espèce de vers français. Mais à supposer même que cela ne soit pas vrai, il reste qu’il faut dire ce vers-là et que, de manière générale, peu de sujets le disent comme il doit être dit. Pourtant, répétons-le, rien n’est plus naturel que de le dire, si l’on emprunte les voies du savoir sur la langue.
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