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Citations de Jean-Luc Cattacin (75)


J'ai dit je ne sais pas comment vous faites pour savoir toutes ces choses et elle a ajouté en riant oui ces choses parfaitement inutiles, et m'a dit qu'elle aimait les langues justement parce qu'on y apprenait mille choses sur tout le reste puisque ce sont elles qui en parlent.
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Nous passions notre vie à nous raconter des bêtises, des blagues le plus souvent seulement drôles par le fait qu'elles ne l'étaient pas, un babil imbécile ininterrompu, et le simple fait de voir son visage ou sa silhouette déclenchait chez moi un réflexe de rire presque pavlovien.
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L'homme de la bibliothèque avait passé la porte le premier et s'était éloigné en me lançant au passage un regard mauvais et peu de temps après c'était elle qui était sortie dans la lumière oblique du soleil descendant et qui m'avait souri, exacte antithèse de l'être qui l'avait précédée, son négatif précis, lumineuse comme il était sombre et chaleureuse comme il était froid, belle au fond comme il était vilain et comme elle approchait m'est venue à l'esprit l'image cent fois vue ici sur l'île de ces étendues plus claires sur la surface de l'océan qui brillent et approchent en glissant sur la toile d'eau noire depuis des kilomètres au loin, quand le ciel est bas mais qu'un bras du soleil se fraie un chemin quelque part à travers les nuages et dessine un lac de lumière mouvant sur l'océan.
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Elle était logique et têtue et m’entraînait sur un terrain que je savais glissant, je le sentais et ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même, je m’étais fourré seul dans cette situation délicate et il fallait rapidement que je parvienne à passer à autre chose.
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Einstein disait que la mémoire est trompeuse parce qu’elle a les couleurs d’aujourd’hui, et Ezra Pound que ce qu’on sait du passé vient par vagues qui partent de nous-mêmes, et du présent. Et s’ils avaient raison ? Et si je ne faisais pas autre chose qu’inventer, induire, ce passé que je croyais retrouver ?
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anodins. Le passé est là en continu, tout le passé, chaque détail, sans filtre, réveillé par n’importe quelle date entendue, n’importe quel mot ou nombre, n’importe quel objet. De tels cas, pour extrêmes qu’ils soient, nous permettent de mesurer à quel point il est handicapant de porter avec soi l’intégralité de son passé, de littéralement le traîner comme un sac, si l’on veut vivre vraiment le présent, y être librement la personne qu’on est aujourd’hui. Il apparaît clairement que pour cela en effet il faut laisser derrière soi, au moins en partie, celui qu’on a été et avancer, dépasser les histoires, les visages, les affections.
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– Oui, on a vu des cas exceptionnels, rarissimes, de mémoires qui ne flanchent jamais. De gens qui se souviennent de tout.
– Tout ? Vraiment tout ?
– Il semblerait. Ça s’appelle la « mémoire autobiographique hautement supérieure », en jargon médical on dit aussi hyperthymésie, une forme extrême d’hypermnésie. On en connaît quelques cas documentés. Ce sont des gens qui se rappellent absolument chaque instant de leur vie. Donnez-leur une date, n’importe laquelle, et ils se souviendront immédiatement de quel jour de la semaine c’était, de la couleur du ciel, et de ce qu’ils ont fait ce jour-là, heure par heure, presque minute par minute.
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Oh, ça… en fait il n’y a pas de mémoire qui ne flanche pas, vous savez. On oublie presque tout, tous autant que nous sommes. Presque tous.
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Parfois dans mon métier mentir peut se révéler nécessaire, pour rendre plus crédible ce qu’on sait être la vérité, et certes je n’étais pas très fier d’avoir inventé cette histoire de prénom, mais la fin justifiait les moyens. Cela dit, ne prenant aucun plaisir à mentir, je ne souhaitais pas m’attarder sur le sujet.
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Le matin quand on en sort on revient souvent sur les décisions prises au milieu de la nuit, dans la forêt du sommeil, mais cette fois j’ai tenu bon : j’avais beau ne pas me sentir parfaitement à l’aise avec ce que j’allais lui dire, j’ai appelé Léna. Elle ne m’a pas aidé lorsqu’elle m’a repris dès mes premiers mots. J’avais dit « Madame Carpentier ? » et elle avait répondu « Prairie » et je m’en étais voulu quel imbécile j’aurais dû m’en douter : elle ne veut plus porter le nom de son mari.
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La puissance du souvenir suscité est alors si extraordinaire qu’il peut, au réveil, mordre sur la réalité et la transformer, et donner à vivre quelques instants d’une vie alternative où le disparu est bien vivant, pour un bref laps de temps ressuscité. Quelques instants précieux qui se terminent par un autre d’autant plus cruel que l’on comprend finalement qu’on a rêvé et que la peine revient, pour un temps plus aigüe qu’avant. Ce qui a revécu meurt à nouveau, et la douleur de devoir reperdre le dispute à la joie d’avoir un instant pu revoir, réentendre, toucher encore. Au-delà des sentiments, ce qui engage la mémoire est le fait que le rêve a dans ce cas utilisé le souvenir, est allé y puiser des images dans la collection de stock-shots accumulés, pour créer un de ces rêves faits d’un mélange incertain de passé et de fantaisie, un rêvenir.
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Qu’on réimplante dans votre mémoire des souvenirs certes réels, mais dans une version modifiée par le récit que d’autres personnes en feraient.
Car un souvenir peut être à la fois globalement correct (oui, c’est bien arrivé…) et parfaitement faux (… mais ça ne s’est pas du tout passé comme ça). Cette fois je me suis abstenu de dire à Léna que j’avais consacré un chapitre d’un autre de mes livres au caractère flottant des détails que la mémoire attache à des souvenirs dont l’existence même n’est pourtant pas mise en doute. J’y racontais par exemple la détresse d’un patient qui n’était jamais parvenu à retrouver la maison dans laquelle, enfant, il avait passé ses vacances sur une île de la côte atlantique. Il se souvenait du nom du village à l’extérieur duquel elle se trouvait, perchée sur une dune, baignée sans répit par le vent de l’océan, se rappelait prendre le chemin menant à la plage, il la revoyait, avec ses volets, son perron, son jardin surplombant la dune et sa barrière aux piliers surmontés de boules vertes, mais lorsqu’il était retourné sur l’île trente ans plus tard il n’avait pu la retrouver. Lorsqu’il avait réemprunté les chemins qu’il était certain d’avoir pris dans son enfance, il avait débouché sur une bosse de sable désespérément vide. Tout était là pourtant : le lent fracas des vagues, les brebis blanches dans le ciel, l’euphorbe et l’oyat et les queues de lièvre, les panicauts bleus et le vent, ce vent outré des odeurs du sel de l’océan et de la réglisse de l’immortelle, et le petit club de jeux pour enfants sur la plage en contrebas. Tout y était sauf la maison, disparue.
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On ne peut pas faire repousser la mémoire une fois qu’elle a perdu ses racines, écrit-elle, avant d’ajouter que si elle a poussé une fois il est à jamais impossible de la faire disparaître. Il m’a fallu des années avant d’être frappé par le fait que les deux propositions, pour contradictoires qu’elles puissent paraître, sont aussi de façon surprenante toutes les deux justes. Je le constate patient après patient, passé après passé, plante après plante, aussi impossibles à faire renaître qu’à faire disparaître. Léna n’en est-elle pas l’exemple parfait, dont la mémoire disparue ne cesse de la hanter par son absence même ?
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"Ça ne sert à rien de retourner à hier, j’étais quelqu’un d’autre hier ", Fitzgerald répond par le cri du cœur de Gatsby : « Mais bien sûr qu’on peut répéter le passé ! » Qui croire ? Je ne sais pas encore, et si la question me fait réfléchir depuis des années ma réponse change lecture après lecture, patient après patient. Quand je crois pouvoir enfin décréter que Montaigne l’emporte, quelqu’un s’assoit dans Gilbert et ce qu’il me raconte est une illustration parfaite du propos de Zweig, et la question à laquelle je me croyais près de répondre une fois pour toutes ressurgit dans toute son urgente simplicité : est-ce qu’on se rappelle davantage ce qu’on veut retenir, ou ce qu’on veut oublier (ou encore est-ce que ni l’un ni l’autre n’y change rien) ? Quand je me dis avec Proust que décidément, non, on ne peut pas retrouver ce qui faisait le charme du passé, quelque chose dans l’histoire qu’on est en train de me raconter vient invoquer Fitzgerald : mais bien sûr que si, on peut !
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Peut-être qu’un jour je publierai une anthologie de la littérature mémorielle. Pour l’instant mon éditeur n’a pas l’air convaincu, mais j’insisterai : car si la science donne les réponses sur la mémoire, c’est souvent la littérature qui pose les questions, et les écrits mémoriels sont aussi innombrables que variés. Certains sont jolis mais obscurs, comme cette phrase de George Sand qui dit que le souvenir est le parfum de l’âme, que je n’ai jamais vraiment comprise. D’autres sont plus scientifiquement corrects, mais moins poétiques, comme lorsque Jane Austen évoque l’inégalité devant la mémoire. Parfois les auteurs se contredisent. À Montaigne par exemple qui écrit : « il n’est rien qui imprime si vivement quelque chose en nostre souvenance, que le désir de l’oublier », Zweig répond que la mémoire est au contraire « la faculté d’omettre les événements » et de les rejeter dans l'oubli.
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Ah ! jeunesse – L’homme ne la possède qu’un temps, et le reste du temps la rappelle », Gide.
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On emploie généralement aujourd’hui le terme de réminiscence en lui donnant à peu près le même sens que « souvenir », mais à l’origine, c’est plus compliqué que cela : au IVe siècle avant notre ère à Athènes, Platon s’interroge sur ce qui peut pousser l’homme à chercher à comprendre le réel. Comment l’homme saurait-il ce qu’il doit chercher s’il ignorait tout ? Comment pourrait-il ne se fier qu’à ses seuls sens s’il ne savait déjà vers quoi les diriger ? La réponse du philosophe est qu’en réalité le savoir est une résurgence : l’âme est éternelle et immortelle et a acquis, avant d’être « incorporée » dans un être de chair, des connaissances qu’elle perd lors de cette incarnation, qu’elle oublie littéralement. Le travail de connaissance par l’homme se fait donc bien à l’aide des sens, mais par un processus non pas d’acquisition mais de ré-acquisition, et la connaissance est davantage une re-connaissance, c’est-à-dire la réminiscence, ou ressouvenir, de connaissances autrefois possédées, puis perdues.
La Mémoire, comment ça marche ?, p. 19.
 
Qui pouvait aider Léna ? Réamorcer la fontaine aux souvenirs ? Qui, à part moi ? Je savais au moins une chose sur sa première vie, et le dilemme qui me tourmentait déjà m’a brûlé les lèvres : le moment n’était-il pas venu de lui dire que je l’avais croisée un soir, vingt ans plus tôt ? Est-ce qu’elle me croirait, seulement ?
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Je prenais des notes dont je savais que je n’aurais pas besoin de les regarder pour me souvenir presque mot pour mot de ses réponses lapidaires. J’ai levé les yeux vers son visage. Elle avait un air boudeur et ses doigts torturaient maintenant avec lenteur le bout des accoudoirs de Gilbert. Parler de son mari ne faisait rien pour la détendre, décidément, alors je suis passé à autre chose.
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La regarder prendre le soleil. Parler, marcher dans les chemins, aller voir la rivière, la faire rire à la lumière d’une bougie sous l’arbre au bord de l’eau. J’avais eu beau dire non à Vigo je m’étais rendu compte que j’en avais envie. En fait j’avais envie d’être avec elle. Mais elle était ma patiente. Elle me faisait confiance. J’étais son médecin, j’étais un professionnel. Je n’avais jamais rien ressenti pour mes patientes, même celles dont j’avais conscience qu’elles étaient pourtant belles,intelligentes, sensibles, et même si j’étais seul. Elle, c’était différent. Elle me faisait le même effet chaque fois qu’elle entrait dans mon bureau.
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J’avais de plus en plus de mal à avancer et en même temps ne pouvais plus vivre sans le faire : écrire les interrogations que mes patients pouvaient avoir sur leur passé avait nourri en moi les interrogations connexes que j’avais sur le mien. Vigo disait qu’en fait c’était exactement le contraire, mais quoi qu’il en soit je n’imaginais plus de ne pas fouiller mon passé pour y questionner mes souvenirs, en particulier ceux de l’enfance. Après le départ de Coralie me détourner des années passées avec elle s’était révélé indispensable, et pour les fuir je m’étais plongé dans ce qui les avait précédées : une jeunesse-âge d’or, ou au moins voulais-je la voir ainsi, dorée à l’or fin du temps qui passe. Qu’en avais-je gardé ? Dans quelle mesure pouvais-je être sûr de ce que je croyais être ce passé, être sûr de qui j’y avais été ? Être sûr, seulement, que j’en savais l’essentiel, que je n’avais pas manqué quelque chose ? Écrire des gens qu’ils avaient oublié une partie de leur passé avait précipité chez moi la réalisation que bien qu’étant leur guide dans cette quête je n’avais pas retenu du mien beaucoup plus qu’eux du leur. Comme eux, des bribes de la vie que j’avais vécue s’accrochaient à ma mémoire avec une pertinacité que rien ne pouvait prendre en défaut, des bribes têtues, obsédantes, sources d’autant plus d’étonnement qu’elles n’avaient en apparence aucune importance. Pourquoi restaient-elles, quand des années entières que je pensais cruciales semblaient au contraire s’être effondrées comme des pans de falaise dans l’océan de l’oubli ?
L’empathie ressentie face à mes patients avait envahi mes travaux d’écriture, mais de façon clandestine.
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