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EAN : 9782752911834
240 pages
Phébus (18/04/2019)
5/5   1 notes
Résumé :
Qu’est-ce que tu as vu de plus extraordinaire ?Quand on me pose la question je dis oh il y a plein d’endroits magnifiques dans le monde, les chutes du Niagara peut-être, ou le Grand Canyon, ou la baie de Phang Nga... Je réponds ce que les gens veulent entendre ; mais si je pouvais dire la vérité, je dirais vous savez cet endroit que vous me demandez, ce n’est pas vraiment un endroit... ou plutôt c’est un endroit dans le temps.Mon lieu à moi ça a été quelque part dan... >Voir plus
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Les gens qui viennent me consulter sont en général envoyés par leur praticien habituel, celui des rhumes et des vaccins et du réconfort quotidien, qui me les adresse quand il comprend qu’il ne pourra bientôt plus faire grand-chose pour eux. Pour cette dame qui se portait si bien jusque-là mais a cette année en deux ou trois occasions peiné à retrouver dans quel sens prendre sa rue pour rentrer chez elle en sortant du métro. Ou cette autre qui de plus en plus souvent ne se rappelle plus pourquoi elle s’était levée de son fauteuil un instant plus tôt pour venir dans la cuisine où elle se trouve maintenant, une pièce dont elle avouera d’ailleurs un peu plus loin dans la conversation qu’elle lui a parfois ces derniers temps soudain semblé comme… étrangère. Il est temps alors qu’elles viennent me voir. Je prends le relais et je fais en sorte que l’océan qui monte ne fasse pas trop vite des châteaux compliqués de leurs souvenirs une simple bosse de sable, qui s’érode et fond à mesure que passent les vagues des jours qui passent. Pourquoi elles ? C’est comme ça. C’est injuste : certains n’arrivent pas à se débarrasser du souvenir d’un moment de leur vie où ils ont souffert, quand d’autres n’arrivent pas à retenir le nom ou le visage de celui ou celle qu’ils ont aimé. C’est mon terrain de travail, un bourbier fascinant où j’œuvre enfoncé jusqu’à mi-cuisses dans la vase du temps qui aspire les gens, en ayant à l’esprit qu’un jour peut-être ce sera mon tour. Il y a bien des pompiers qui se retrouvent pris par les flammes, alors…
Car ce qui est drôle – si on veut – c’est que moi-même je ne suis pas forcément dans une relation de confiance aveugle avec ma mémoire.
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J’avais de plus en plus de mal à avancer et en même temps ne pouvais plus vivre sans le faire : écrire les interrogations que mes patients pouvaient avoir sur leur passé avait nourri en moi les interrogations connexes que j’avais sur le mien. Vigo disait qu’en fait c’était exactement le contraire, mais quoi qu’il en soit je n’imaginais plus de ne pas fouiller mon passé pour y questionner mes souvenirs, en particulier ceux de l’enfance. Après le départ de Coralie me détourner des années passées avec elle s’était révélé indispensable, et pour les fuir je m’étais plongé dans ce qui les avait précédées : une jeunesse-âge d’or, ou au moins voulais-je la voir ainsi, dorée à l’or fin du temps qui passe. Qu’en avais-je gardé ? Dans quelle mesure pouvais-je être sûr de ce que je croyais être ce passé, être sûr de qui j’y avais été ? Être sûr, seulement, que j’en savais l’essentiel, que je n’avais pas manqué quelque chose ? Écrire des gens qu’ils avaient oublié une partie de leur passé avait précipité chez moi la réalisation que bien qu’étant leur guide dans cette quête je n’avais pas retenu du mien beaucoup plus qu’eux du leur. Comme eux, des bribes de la vie que j’avais vécue s’accrochaient à ma mémoire avec une pertinacité que rien ne pouvait prendre en défaut, des bribes têtues, obsédantes, sources d’autant plus d’étonnement qu’elles n’avaient en apparence aucune importance. Pourquoi restaient-elles, quand des années entières que je pensais cruciales semblaient au contraire s’être effondrées comme des pans de falaise dans l’océan de l’oubli ?
L’empathie ressentie face à mes patients avait envahi mes travaux d’écriture, mais de façon clandestine.
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Qu’on réimplante dans votre mémoire des souvenirs certes réels, mais dans une version modifiée par le récit que d’autres personnes en feraient.
Car un souvenir peut être à la fois globalement correct (oui, c’est bien arrivé…) et parfaitement faux (… mais ça ne s’est pas du tout passé comme ça). Cette fois je me suis abstenu de dire à Léna que j’avais consacré un chapitre d’un autre de mes livres au caractère flottant des détails que la mémoire attache à des souvenirs dont l’existence même n’est pourtant pas mise en doute. J’y racontais par exemple la détresse d’un patient qui n’était jamais parvenu à retrouver la maison dans laquelle, enfant, il avait passé ses vacances sur une île de la côte atlantique. Il se souvenait du nom du village à l’extérieur duquel elle se trouvait, perchée sur une dune, baignée sans répit par le vent de l’océan, se rappelait prendre le chemin menant à la plage, il la revoyait, avec ses volets, son perron, son jardin surplombant la dune et sa barrière aux piliers surmontés de boules vertes, mais lorsqu’il était retourné sur l’île trente ans plus tard il n’avait pu la retrouver. Lorsqu’il avait réemprunté les chemins qu’il était certain d’avoir pris dans son enfance, il avait débouché sur une bosse de sable désespérément vide. Tout était là pourtant : le lent fracas des vagues, les brebis blanches dans le ciel, l’euphorbe et l’oyat et les queues de lièvre, les panicauts bleus et le vent, ce vent outré des odeurs du sel de l’océan et de la réglisse de l’immortelle, et le petit club de jeux pour enfants sur la plage en contrebas. Tout y était sauf la maison, disparue.
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On emploie généralement aujourd’hui le terme de réminiscence en lui donnant à peu près le même sens que « souvenir », mais à l’origine, c’est plus compliqué que cela : au IVe siècle avant notre ère à Athènes, Platon s’interroge sur ce qui peut pousser l’homme à chercher à comprendre le réel. Comment l’homme saurait-il ce qu’il doit chercher s’il ignorait tout ? Comment pourrait-il ne se fier qu’à ses seuls sens s’il ne savait déjà vers quoi les diriger ? La réponse du philosophe est qu’en réalité le savoir est une résurgence : l’âme est éternelle et immortelle et a acquis, avant d’être « incorporée » dans un être de chair, des connaissances qu’elle perd lors de cette incarnation, qu’elle oublie littéralement. Le travail de connaissance par l’homme se fait donc bien à l’aide des sens, mais par un processus non pas d’acquisition mais de ré-acquisition, et la connaissance est davantage une re-connaissance, c’est-à-dire la réminiscence, ou ressouvenir, de connaissances autrefois possédées, puis perdues.
La Mémoire, comment ça marche ?, p. 19.
 
Qui pouvait aider Léna ? Réamorcer la fontaine aux souvenirs ? Qui, à part moi ? Je savais au moins une chose sur sa première vie, et le dilemme qui me tourmentait déjà m’a brûlé les lèvres : le moment n’était-il pas venu de lui dire que je l’avais croisée un soir, vingt ans plus tôt ? Est-ce qu’elle me croirait, seulement ?
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anodins. Le passé est là en continu, tout le passé, chaque détail, sans filtre, réveillé par n’importe quelle date entendue, n’importe quel mot ou nombre, n’importe quel objet. De tels cas, pour extrêmes qu’ils soient, nous permettent de mesurer à quel point il est handicapant de porter avec soi l’intégralité de son passé, de littéralement le traîner comme un sac, si l’on veut vivre vraiment le présent, y être librement la personne qu’on est aujourd’hui. Il apparaît clairement que pour cela en effet il faut laisser derrière soi, au moins en partie, celui qu’on a été et avancer, dépasser les histoires, les visages, les affections.
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