Jean-Michel Asselin

Le bonheur ne veut pas dire grand-chose, et je n'aime guère le cliché des paysans heureux, mais pourtant je sais que le dénuement est aussi une richesse. Je n'échangerais pas mon dénuement de riche contre leur richesse de pauvre, je veux juste apprendre d'eux ce que j'ignore ou que je sais trop bien.

L'odeur est une chose que l'altitude altère. Dans l'oxygène rare on sent peu, on goûte peu, on éprouve le salé, le sucré, l'amer, mais jamais rien de subtil dans la bouche. L'odeur appartient à la chaleur, ...

L'étoile des neiges

Si les lupins fleurissent admirablement ces fermes d'alpage, c'est l'edelweiss, l'étoile des neiges, qui symbolise la haute montagne. On le rencontre bien évidemment sur les terrains rocailleux d'altitude mais aussi en plein champ. L'edelweiss, de la famille des astéracées, ne peut être confondu avec aucune autre fleur : un duvet laineux argenté recouvre sa tige, ses feuilles et surtout les bractées en étoile qui entourent ses fleurs. L'edelweiss peut fleurir jusqu'à 3500 mètres. Son nom latin Leontopodium alpinum rappelle que la fleur a la forme du pied d'un lion !

11 août

Au sommet, chacun y va de son offrande, c'est ainsi que l'Everest a connu des bustes de Mao, des photos du pape, des statues du Bouddha, des crucifix, et bien souvent des photos de fiancées ou d'épouses, à qui cela fait une belle jambe !

Marcher devient une joie pure... Les pensées se calent sur les pas, voici que l'esprit avance à son rythme, marcher, c'est ne plus trahir le corps ni l'âme. Marcher pour croire que l'on n'est plus le jouet du temps, mais qu'il se déroule sous nos pieds, marcher pour confondre le temps et l'espace, les secondes et le sol. Marcher pour substituer les aiguilles de la montre au compas des pas. Marcher pour lutter contre l'inquiétude de la stabilité, l'immobilité de la mort, marcher pour apprendre à mourir.

Il m'a fallu du courage et de la révolte pour apprendre qu'on pouvait vivre sans écraser les autres, mais je n'avais pas vu que j'avais opéré un trop facile glissement symbolique en pratiquant l'alpinisme : une manière des plus commodes de se hisser sur un podium imaginaire.

Les montagnes ne sont pas des stades où je cherche à satisfaire mon ambition, mais les cathédrales où je pratique ma religion.
(Anatoli Boukreev)

Cairn

Cet empilement de pierres est un cairn.
Ce petit monument se retrouve dans toutes les montagnes du monde, véritable repère sur les sentiers ( ou hors des sentiers ). Il peut atteindre une hauteur respectable ou, à l'inverse, ne présenter que quelques pierres entassées en vrac. Le cairn montre le chemin, indique un changement de direction, ou un détail particulier dans le paysage.

13 mai

Quoi que vous éprouviez, au-delà de 4000 m c'est l'altitude qui est responsable de la plupart des maux, et comme par miracle, les gens qui toussent, qui ont des migraines, qui ne dorment plus sont très étonnés quand, 2000 m plus bas toutes leurs douleurs s'évanouissent. L'altitude, c'est le domaine des dieux. Un point c'est tout !

C'est fait, les voilà, franchissant cette ligne d'arrivée imaginaire que représente la première rangée des tentes du camp de base. Nous crions, nous applaudissons, ce sont des rires, des pleurs, des embrassades. Et puis ce sont les visages ambigus, on y lit la joie, la douleur. Les mots sont avares, les lèvres collées par la soif, la fatigue... Ils irradient tous quelque chose. Ils ne peuvent dire le sommet, sinon qu'ils y étaient. Nous, ceux du bas, on voudrait tout savoir, tout connaître de ce que l'on découvre à 8850m. Est-ce réel, voit-on mieux les étoiles et Dieu dans tout ça ?

Je m'étais beaucoup amusé quand, après son ascension de l'Everest, dans des conditions météo très violentes, il avait coupé court à la rumeur qui courait dans le camp de base et qui laissait planer le doute sur sa réussite. Il avait simplement, l'air de rien, sorti de sa poche un crucifix qu'un autre alpiniste avait déposé au sommet quelques jours plus tôt : "Tu as dû oublier cette croix au sommet !"
(L'auteur parle d'Anatoli Boukreev)

Et si Tenzing Norgay, premier vainqueur de l'Everest en 1953 avec sir Edmund Hillary, enterra au sommet quelques bonbons pour la déesse ainsi que le stylo bleu et rouge de sa fille Nima, Hillary posa dans la neige le crucifix que lui avait confié son chef d'expédition John Hunt. Ce geste délicat fut sans doute compensé le surlendemain lorsque Hillary retrouvant Hunt lors de la descente, lui asséna : "On l'a eu, ce salopard !" Oubliée, la déesse !

Descendre, s'évader, vite, le plus vite. Il faut partager cette bonne nouvelle qui n'a aucune espèce d'importance. J'ai fait le sommet. La bonne blague !

« La solitude des neiges ! Quelle volupté lorsqu’elle est complète. Elle représente alors la pleine liberté dégagée de toute contrainte sociale. Là-haut : où la moindre goutte d’eau à son prix, la solitude vous fait mieux comprendre la vanité de ces hochets : honneurs, richesses vers lesquels tant d’hommes rampent. »

Léon Zwingelstein.

Lachenal et Terray ne couraient pas après la gloire. C’est la montagne qu’ils aimaient, et c’est après eux-mêmes qu’ils couraient. Cette soif de se battre, de vivre des moments difficiles, ce goût de la difficulté, c’était leur combat intérieur.

Plus encore, il [Louis Lachenal] a compris quelque chose : le sommet n’est pas la finalité. Le sommet l’intéresse moins que la voie qui y mène. Ainsi n’a-t-il pas achevé son ascension de la République qui nécessitait un lancer de corde peu élégant.

Le Verdon, peut-être le seul ami intime de Patrick!

Les sommets se banalisaient, le discours appauvrissait la réalité. La voie normale de l’Everest devenait un sentier pour les yacks. Le K2 a remis sévèrement les pendules à l’heure. [13 morts en 1986]. On ne joue pas sur les plus hauts sommets du monde. On risque.

Et les doigts! Longuement étirés puis pliés, coincés, pendus, accrochés, déchiquetés, poncés... et reblanchis de magnésie pour une longueur de plus.
Les doigts d'Edlinger, ses mains. Comme les serres de l'Aigle...

Pour un prétendant à l'Everest dans la version "je paye ce qu'il faut pour m'assurer toutes les chances de sommet", il faut compter six à huit bouteilles d'O2 et environ 45 000 à 60 000 euros ! Sans jeu de mots, c'est une sorte d'usine à gaz...
Je récapitule : une pharmacie éprouvée, un sherpa devant et un sherpa derrière, un manager au camp de base, six ou huit bouteilles d'O2, une bourse bien remplie, deux jours de beau temps sans vent, et vous voilà (peut-être !) au sommet. Vous voici peut-être également mort ! Le paradoxe est toujours valable : on peut tout vous vendre en termes de moyens, mais celui qui vous assure le sommet et un retour vivant à 100% est probablement un escroc !
L'Everest est encore une maladie mortelle.

(Pardon à mes amis chimistes, mais il est impossible de mettre le 2 en indice pour noter le dioxygène !)