Douceur qui encombra
Comme tout alla vite
les rivières coulèrent claires
n'importe où s'arrêter fraîchissait en baignades
longs zigzags sur la route en vélo en silence
vallons comme ignorés perdus dans le grand monde
sous l'alcôve des saules flambaient les caressades
c'était hier et fraternel c'était la vieille France
comme sans loi sans auto les fruits dans les vergers
se dévoraient sans crainte dans l'herbe sans barrière
la terre s'écoutait sans radio sous le bras
et dans les baies la mer semblait ignorer l'homme
la lumière tremblait sans poison insidieux
la lune au bord du soir n'appartenait qu'aux dieux
oui comme tout alla vite douceur qui encombra.
Douceur qui encombra
Où tes racines plongent
Merveille plate tranquille qui m'exile
la terre à parcourir l'ardeur de ses déserts
la prolifération des chairs sous la lumière
on voudrait s'écarter de tes mois qui défilent
de tes mois de tes morts du jeu des avrils
des saisons et des phrases qui entre elles s'annulent
laisser partir ta vie qui devant nous recule
les formes s'en aller de nos mains immobiles
mais nous voilà rivés au chaos de tes forces
rongés parmi nos mots rongés sous notre torse
pierre en sable limée dans la marée des songes
et malgré nous roulés nous faudra-t-il alors
nous débattre à saisir cet insondable morse
des sèves et des cris où tes racines plongent
DANS L'ÉPAIS DE LA NUIT
La vie lèche la page et se retire blanche
vaste mer incertaine aux hommes qui l'attendent
me manquent tes photos tes lèvres tes pointes dures
me manque ton passage portant cette cambrure
bonjour encore soleil étrange aux longues mèches noires
que tu vives que tu meures : toujours lumière et désespoir
vivace te voici pendant que se déhalent
les images gravées des chagrins enfouis
toi visage du passé dont pâlira le hâle
parure qui s'affale dans l'épais de la nuit.
LOIN
Au plus près du plus près
de nos yeux à vos yeux
de nos peaux à vos peaux
au plus près du plus près
de vos langues dans nos bouches
de vos seins dans nos mains
au plus près du plus près
de satin à satin
de nos sexes dans le vôtre
comme on est encore loin !
Dans la solitude la plus grande, celle de la bête la plus seule, tu es. On peut admettre que c'est triste de n'avoir que çà à dire, quand on a tant rêvé de fraternité. Où sont les hommes, dit le solitaire malgré lui, pourquoi ne m'ont-ils pas appelé? Même pas la peine de poser la question au présent. C'est la fin du film, l'affaire est entendue, le monde a changé.
( Extrait de "L'abandon" )
C'ETAIT NOUS
Quand je suis las je repense au lisse de la mer. À l'aube qui montait sur la mer Intérieure, entre les îles endormies, parmi leurs mauves immobiles. Silence et fraîcheur parmi les temples cachés, vers les côtes, sous les frondaisons basses. Bonheur, c'était presque ton heure. L'étrave du bateau fendait précise l'or du monde et sa splendeur.
Et toi, salueuse de soleil, à l'avant me semble-t-il, qui n'avais pourtant vu aucun film de naufrage, chevelure qui battait à l'épaule, cou dressé de jeunesse vive, ton corps surpris par le matin écartait aussi la brise. J'avais décidé que l'amour nous mènerait. Pas toujours le monde noir.
Que d'autres épaules se haussent, qu'on grogne encore par-ci par-là: «l'amour, ah bon, l'amour!», que l'on émette plus retors des sifflements sur le je et le nous qui s'avancent, sur la chute que ça promet, qu'importe après tout, je passe, quelquefois la beauté nous tatoue, et plus rien ne s'efface. Étoile encore bleue parmi la mort qui vient, étoile au-dessus, étoile au-dessous. Jeunes, beaux, la chair souple : c'était nous.
QUI VOUS NOMME
Pourquoi gagner sa mort
si vite sous les cieux
un peu de temps encore
supplient les malheureux
moi qui suis justicier
leur répond le Bon Dieu
j'ai bien dû ne donner
à chaque homme qu'un peu
le temps était si grand
la liste était si longue
j'ai bien dû faire des plans
pour vos rounds et mes gongs
à chacun son morceau
son bout de vie et salut
à chacun son cadeau
puis de l'avoir dans le cul
à mon tour d'implorer
le pardon de mes hommes
à mon tour de pleurer
le mystère qui vous nomme.
Bien sûr amour il faut compter
à s'en tromper le bout des doigts
nos beaux printemps bien trop moqués
par ceux plus jeunes qui se croient
nous sommes au bout de la vallée
si près déjà de l'embouchure
où notre vie va s'en aller
au goût de sang et de blessure
c'est encore toi c'est encore moi
ces splendeurs si tôt fanées
sous nos soleils si mal comptés
dans la nuit blanche sur nos doigts.
Sur nos doigts
(p. 24)
Rien. Aucune trace de passage : seul le parfum de sa chair dans le futon froissé, et la porte coulissante laissée à peine quelques centimètres entrouverte, sur sa disparition.
La terre était déjà devenue une orange, c’est bien qu’elle devienne enfin une agate, verte et bleue, lancée dans la cour d’école de l’enfance du monde.
Un saute-mouton diabolique avec le péché.
Contrairement à tous ceux qui disent que partir ne change rien, et qui le disent parce qu’ils ont toujours été des paresseux ou des peureux, il sait de plus en plus que le bonheur de l’ailleurs, c’est qu’il volatilise.
Et plus que jamais notre sourire perpétuel doit demeurer notre politesse envers la fatalité. Être léger, c’est notre flottement victorieux sur les forces maléfiques du monde, les nôtres et celles des autres.
Le sport, cet ersatz de raison de vivre pour cervelles élémentaires…
Si vieillir est rouspéter et se plaindre, manière de gratter ses nostalgies, il va falloir que je commence à me surveiller et à me soigner.
Pour venir au Japon, il fallait maintenant prendre l’avion. Ça vous raccourcissait la terre et vos rêves d’enfant. On l’avait privé du plaisir des préliminaires. « On ne voyage plus, on arrive ».
Son visage à la fenêtre lui permettait de percevoir et recevoir la nuit veloutée de Tokyo et son tiède crachin, mais aussi ses lumières bariolées et ses lueurs douces de lanternes de papier. Calé sur la confortable banquette arrière, il se laisse dériver dans l’engourdissement causé par le décalage horaire et cette moiteur dont il a l’impression qu’elle est en train de lui changer la peau, de le faire déjà glisser, il le sent, sous d’impalpables influences.
Leurs pieds, chaussés, pour ne pas dire gantés, de tabi en tissu blanc au seul gros orteil détaché, avaient glissé à petits pas chuintants entravés, sur des planchers sombres, tout au long de couloirs obscurs, où régnait le silence. Ces pieds de tabi blancs des servantes, après les mains gantées de blanc du chauffeur, lui avaient semblé continuer de dérouler, dans la pénombre de l’hôtel, les rites feutrés de l’accueil du plus lointain des pays lointains.
On procède au vide pour accueillir l’oubli. Le soulagement des idiots quand le passé les juge. C’est encombrant la mémoire, vous savez, encombrant, pesant…
Son sourire, encore plus rapide que le silence, s’est fait cruel.
J’ai voulu fuir qui j’avais été, et tout un pays qui chaque jour un peu plus me semblait de moins en moins le mien. J’ai voulu lâcher la France, et me quitter, ensemble.
Il n’y aura plus que du quantifiable, des chiffres, ou du froid, dans les rouages glacés des cervelles impassibles. Qui tourneront sans fin, en nous et au dehors, enserrant la terre de leurs petits comptes. Tout sera chronométré, mesuré, pesé, opposé : des olympiades perpétuelles, le cauchemar ! Le muscle et le chiffre ! Le corps et l’objet ! Les deux veaux d’or des temps qui viennent ! On va les retrouver souvent devant nous, nos deux ennemis les plus terribles… Et les hommes seront comme des chiens malheureux, vous savez, comme ces chiens du Grand Nord, aux vastes yeux bleus élargis de manque, qui vous fixent, muets, moitié perdition et moitié envie de mordre, par manque d’espace, de neige, de tourbillons, d’horizons.
Les clichés défilent comme dans une soirée diapos mais, pour l’écouter, ma politesse est sans faille.
Enfant solitaire, infime vie arrimée au flanc d’un paquebot de l’histoire, il en percevait vaguement les rumeurs.
Tout au bout de la vallée, au plein sud, où la lumière tendait son grand transparent, le train n’était plus que ce panache oblique de fumée transpercée de rayons.
Il avait choisi, pour sa santé mentale, et l’accompagner dans ce long voyage, Mallarmé, Cocteau, Nerval, Michaux, tout ce qui pouvait se situer au plus loin de l’air qui circulait dans les casernes. De l’esthétisme. Du précieux. Du maladif. Du nerveux. De l’anti muscle. Du vrai désespoir d’adjudant.
D'où vient le vent ?
Extrait 2
j'aime paysan ton sourire de complice
ton clin d'œil qui se fige où tu scrutes le ciel
tes propos avec lui à nuages couverts
debout à la proue casquette rejetée
tu détermines les bons vents
alors viens dans mes terres
parcours mes simulacres d'horizon :
d'où vient le vent ? que faut-il faire ?
sous mes côtes aujourd'hui
mes bêtes tirent leur licou.
D'où vient le vent ?
Extrait 1
La porte tournante du soir
les visages emportés vers la salle inconnue
le bruit huilé du jour qui vire
et mon torse de chair tout fléché d'hirondelles
envahissent ma demeure
bidons-plastique de la vieille fermière
bidons-plastique aux cognements mats
finis les tintements des heures crépusculaires
vampire électrique sous le ventre des vaches
la trayeuse boit
…
L'attente
Salut au matin même le plus pauvre
tout taché de neige et de forêts noires
changeant l'horizon en mur décrépi
où le plâtre bis des longs champs s'écaille
salut au matin posé sur ma table
à sa joue frottée sur le papier blanc
à la plaine creuse où peinent les hommes
aux collines fades pliant sous la brume
chaque aube rapproche l'homme que j'attends
la montée du jour au fond de mes paumes
les raisons tombées leurs faisceaux formés
et celui qui dit : voilà, c'est là, c'est là !
La vie dure
Est-ce faiblesse de la tête
ou suis-je un pâle volontaire
plus de vigueur pour cette quête
rien que sommeil goût de se taire
lente érosion d’un terrain mou
et jour à jour l’humble négoce
le pain l’argent le toit les gosses
le chant happé dans quel remous
mais talon frappe et je remonte
à la surface où l’air est vie
de l’air encore je veux mon compte
qu’à d’autres fêtes on me convie
crache l’eau crache l’eau
rouge soufflet qui te déplie
poumon terrible – poésie –
relance en moi le sang des mots !
Je la connais
Le tintement de l’heure au sommet des églises
scande un pas solitaire et mon ombre perdue
se débat sur les murs en sursauts de pendu
la nuit vient maquiller la maigre fiancée grise
si je dors elle arrive et tempête chez moi
si je dis le vin bon elle brise mon verre
si je gagne au bonheur elle envoie d’un revers
rouler le jeu je ne sais plus ce que je crois
si je serre une main elle crache dessus
si je montre le blanc elle exhibe le noir
elle brille et s’aiguise à la meule du soir
elle rit elle danse et je suis son bossu
ma sans-sommeil ô ma grinçante
ma questionneuse ma rusée
ma radoteuse ma butée
mon frein brûlé ma folle pente
je suis ta chose et tu me hantes
toi le marteau qui sans fin plantes
dans mon étau les treize coins
des questions de ta question.
Pour une morale
La rose et la rosée pour la beauté du diable
la flamme déroulée au fond de l’herbe drue
et cette majesté de belle femme nue
marchant contre mon corps à l’aube sur le sable
la famille laissée à sa mauvaise table
pour la chair partagée sous un ciel inconnu
pour le plaisir très pur pour la taille tenue
pour le souffle accouplé et la joie habitable
la très nue étirée au soleil inlassable
la rivière emmêlée aux cheveux de nos corps
le secret dévoilé aux étranges accords
chaque nuit bien tissée par un fil incassable
et l’aube et la rosée offertes le matin
lorsque l’homme dépose la rose entre les seins
de la femme qui dort sur le ciel et le sable
ont rendu sous mes mains tous vos barreaux friables.
Quelque part…
Quelque part
Entre la flamme et la fumée
la page blanche et le cerveau
une clarté – bien à l’abri sous mes épaules
Où la journée vient s’appuyer
s’éveille
un duvet de secret bouge
à faire battre le silence
très timidement retiré
dans l’aube chaude de mon sang.
Corps ouvert
Vie et mort chacune tire
sur l’étoffe de mon corps
cette peau qu’on sent frémir
va craquer sous leurs efforts
on verra parmi tant d’os
et de nerfs mal assemblés
le silence les yeux clos
le soleil qui l’a comblé.
On le sait
On le sait par cette écume
où frissonnent nos poitrines
par ce phare qui s’allume
cette voile qui s’incline
le vent glisse sur la toile
bruit de sable qui s’écoule
on le sait qu’on va chez toi
l’acharnée où mon sang roule
sur la côte tremble un feu
on le sait qu’on nous attend
vague à vague creux par creux
que s’affale cet élan.
Comme en septembre à Sceaux
Aujourd’hui je descends et j’atteins la douceur
c’est d’un sceau qu’il s’agit
plaqué sur fond de veines
aujourd’hui je m’atteins où je passe parfois
et dis-moi
n’est-ce pas de septembre et de brume
que s’emperle ce parc
je –
Marche marche
dès la grille rouillée reculent les allées
dès l’orgueil humilié s’en revient l’oublié
le secret oublié
la douceur oubliée
marche marche
on te fait grâce des années.
Milieu de la vie
Côté ombre côté flamme
tu traverses la vallée
tant de nuit qui te réclame
accélère ta foulée
et ton sang tu le surprends
au delta des tempes folles
dérouté car il comprend
quelle terre à ton pied colle
le soleil tombe plus vite
chaque soir dans son mystère
une sève en toi gravite
une graine encor se terre.