Certains livres marquent leurs lecteurs, les impressionnent : on éprouve à la lecture de ce type d’ouvrages une admiration grandissante au fur et à mesure que l’on progresse dans leur découverte ; on y puise aussi des raisons de se réconforter sur la nature humaine : le récit intitulé « Souvenirs et solitude », écrit par Jean Zay pendant sa captivité sous l’Occupation dans la prison de Riom est un de ceux-là.
Jean Zay hérite du Ministère de l’Education Nationale et des Beaux-arts en 1936 pendant le Front populaire .Sans doute aurait-il pu être un de ces innombrables ministres , vite oubliés dès leur démission de ce ministère stratégique : il n’en fut rien .Jean Zay créa le CNRS, le Musée de l’Homme, le festival de Cannes, le musée d’Art Moderne , l’ENA .Après un simulacre de procès , il est incarcéré à Riom , assassiné par la milice le 20 juin 1944 ,à peine âgé de quarante ans .
Ce sont ces années de captivité qu’il décrit dans ce récit .On y découvre bien sûr le caractère contraignant de l’univers carcéral, les mises en évidence des natures véritables des détenus, leurs espoirs, souvent chimériques ou injustifiés, de réduction de peine ,d’évasion, de révision de leur procès .
Pourtant, c’est à une véritable radiographie de la vie politique, des institutions, du comportement du personnel dirigeant de la France des années trente que se livre Jean Zay .Et il est terriblement actuel , pertinent , d’une lucidité peu commune : ainsi dénonce-t-il un dogme, celui de l’équilibre budgétaire défendu par l’Inspection des finances : « Une puissante cohorte veillait jalousement sur le respect de la sainte orthodoxie : au premier rang , se distinguaient la presse et ses chroniqueurs spécialisés, les économistes, les banquiers, les partis conservateurs .Mais , derrière ces troupes de choc se dessinait toujours la toute puissante inspection des Finances . »
D’autres analyses sont pénétrantes ; elles portent sur des sujets multiples et variés : l’incapacité chronique de notre diplomatie à élaborer une politique cohérente face au danger hitlérien, son manque de clairvoyance : « Mais que savaient la plupart de nos agents diplomatiques à l’étranger ? Quelle aura été leur clairvoyance, leur action dans les années décisives ? »
Autre constat lumineux : la dénonciation du cynisme, de la dérision comme mode permanent de réaction .En évoquant des caricatures injustifiées, Jean Zay en dénonce les effets pervers de leur usage systématique : « Elles affaiblissaient la cohésion nationale. Elles divisaient et surexcitaient .Les Français souffraient, a-on-dit, de n’avoir personne à aimer : on ne leur apprenait qu’a railler. »
Pourtant, le récit de Jean ZAY est loin de ne contenir que des constats amers, faussement désabusés : il souligne aussi la force des sentiments positifs, de l’enthousiasme, de l’entraînement des convictions. Lorsqu’il apprend la mort de Léo Lagrange au combat en 1940, Jean Zay lui rend un vibrant hommage, en tant qu’ancien ministre, comme lui, du Front populaire : « Mon chagrin évoque la collaboration affectueuse qui nous rapprocha (…) Pendant près de dix mois, j’eus la joie d’un travail solidaire avec Léo Lagrange, et dans quelle communauté de pensée, dans quelle atmosphère de juvénile entrain ! »
Jean Zay était ce qu’on appelle une belle personne, un grand homme .Ce récit rédigé dans les conditions les plus difficiles, le confirme amplement .La récente décision de transfert de ses cendres au Panthéon n’en est que plus justifiée et évidente.
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Une très belle page d'histoire
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Les lettres regroupées dans ce livre sont écrites à la femme de ce député, Jean Zay, qui s'est proposé pour aller sur le front en Septembre 1939, plutôt que rester à l'arrière. Ces lettres mêlent vie privée, intime (on lit les nombreux surnoms donnés à sa femme et sa fillette, ainsi que les périphrases qui annoncent une deuxième grossesse) et réflexions politiques et citoyennes. Jean Zay semble assez rapidement regretter sa mobilisation parce qu'elle ne sert guère une cause (la drôle de guerre voit trois millions de soldats mobilisés et pas d'ennemis), que pendant ce temps-là, il a peur d'être oublié (de nombreuses remarques sur ceux qui ne lui écrivent pas, ceux qui font voter des lois à des députés non présents car au front...!).
Il est par contre très bien placé pour observer et relever les inepties de l'armée française, qui plus que le Front populaire, est responsable de la défaite en Juin 1940 et de la capitulation. Il s'inquiète notamment des difficultés que le commandement a pour mettre en place les permissions;
Jean Zay est un homme habitué à prendre des décisions et il se trouve ici confronté à l'inertie militaire, à l'obligation de délayer durant des heures le travail à fournir. Il visite aussi l'arrière-pays (les provinces d'aujourd'hui) et constate les conditions de vie et d'hygiène d'une France "sale" : pas d'eau courante parfois et surtout pas de "bic", c'est à dire des toilettes à l'intérieur des maisons.
Ce livre m'a été envoyé par les Editions Belin lors d'une masse critique; un constat (étonnant) sur un livre qui reste relativement cher et qui ne vise qu'un public averti, c'est le défaut d'impression sur la tranche, sans séparation entre "drôledeguerre". Personnellement, j'ai pris plaisir à cette lecture, très facile (style épistolaire très classique) mais je suis enseignante en Histoire!
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Les lettres de ce recueil sont celles qu'il a adressées à son épouse pendant qu'il était à la guerre. C'est un véritable roman épistolaire qui navigue entre Buzzati et Courteline. Merci Masse critique pour cette découverte
Ces missives sont d'abord les lettres d'un soldat à son épouse, elles retracent son quotidien et transmettent une tendresse touchante. Officier du Train, Zay retranscrit son quotidien dans "une guerre croupissante et fonctionnarisée" où 6 personnes font le travail de 2, l’attente des permissions, l'incertitude des ordres...
Il fait vivre les anecdotes et se moque du cirque des visites officielles, du tourisme militaire, rend compte des médisances de Gringoire à son encours, de l’ingratitude de ses anciens collaborateurs ou collègues qui l'ont presque tous oubliés :
Homme politique, progressiste, Jean Zay est aussi très attentif aux troupes et au "front du moral," il organise un cinéma aux armées pour distraire les soldats. Le régime spécial accordé aux ouvriers spécialisés qui sont renvoyés en arrière ne lui semble pas le meilleur des signaux, notamment vis à vis de la classe paysanne, d'autant qu'il lui est difficile de retourner à Paris pour assurer son rôle de député.
Jean Zay est aussi très critique et dur envers son colonel qui "ne l'utilise pas intelligemment."
Chronique complète sur le blog http://jimpee.free.fr/index.php/19332/lettres-de-la-drole-de-guerre/
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Très belle leçon de vie, de courage, de dignité et de force intérieure.
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Autant j'avais été marqué dans ma jeunesse par les "Carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918", autant là j'avoue être resté sur ma faim.
Même si elles ont l'originalité de montrer un début de 2nde guerre mondiale où il ne se passe rien, ces lettres ont fini par me lasser.
Ce n'était peut être pas la bonne période pour les lire pour moi...
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